En collaboration avec les organisateurs de la Triennale de Milan, l’ASBL Grand-Hornu Images organise une superbe exposition rétrospective intitulée  » Maestri. Design Italiano. Collezione Permanente Triennale di Milano « . Zoom sur les plus grands créateurs de l’histoire du design transalpin.

(1)  » Dopotolemeo « , par Michele de Lucchi, paru en Italie chez Skira.

(2)  » Designing the 21st Century « , par Charlotte et Peter Fiell, paru chez Taschen.

E ttore Sottsass, Achille Castiglioni, Anna Castelli Ferrieri, Gae Aulenti, Joe Colombo, Antonio Citterio… En quelques décennies, ces illustres designers italiens ont révolutionné nos intérieurs et nos modes de vie. Sans eux, nous n’aurions jamais connu le bonheur de nous enfoncer dans un moelleux fauteuil  » Sacco  » de Zanotta, une sorte de sac en cuir ou en tissu rempli de billes de polystyrène qui épouse la forme du corps. De ranger nos objets dans un  » container 4970/44  » de Kartell, une sympathique commode en plastique coloré lisse et brillant. Ou de nous éclairer avec une lampe  » Boalum  » d’Artemide qui ressemble à s’y méprendre à un grand serpent lumineux. Pour rendre hommage à leur talent et à leur génie créatif, l’ASBL Grand-Hornu Images s’est associée à la Triennale de Milan pour présenter, dans le cadre du Festival Europalia Italia, une exposition qui retrace la grande aventure du design italien. Au programme, les meubles et objets mythiques qui ont marqué de leur empreinte indélébile le xxe siècle.

 » Dans l’exposition, nous ferons en sorte que tous les objets se parlent en confrontant en permanence leurs ressemblances et leurs différences, explique Françoise Busine, directrice de Grand-Hornu Images. Les visiteurs seront invités à écouter le dialogue qui se crée entre les £uvres et leurs concepteurs. En outre, le titre  » Maestri. Design Italiano  » n’est pas innocent : chacun des designers sélectionnés peut être considéré comme un maître, un modèle emblématique de l’époque et de la société dans lesquelles il a évolué mais surtout, qu’il a contribué à faire évoluer.  »

C’est Italo Lupi, l’un des plus grands  » graphic designers  » contemporains qui signe la scénographie de l’exposition. Les meubles et objets présentés proviennent, eux, de la collection permanente de la Triennale de Milan. En effet, depuis les années 1950 et 1960, la Triennale de Milan joue un rôle majeur dans la mise en lumière des tendances du design contemporain. C’est en 1923 que le critique Guido Marangani conçoit une biennale pour exposer des £uvres artisanales locales à Monza. Dès 1930, la manifestation prend une nouvelle dimension et se transforme en Triennale internationale d’arts modernes décoratifs et industriels, un véritable tremplin pour les activités d’avant-garde en Europe. En 1933, la Triennale se déroule pour la première fois à Milan, dans le Palais des Arts, construit expressément à cette occasion. Ce superbe bâtiment néoclassique Novecento a été dessiné par l’architecte italien Giovanni Muzio. Au fil de ses nombreuses éditions, cette institution a acquis une collection permanente d’objets et de meubles design d’une richesse fabuleuse.  » Les pièces qui la composent témoignent de la diversité et de l’hétérogénéité de l’histoire du design italien, ainsi que des innovations et des recherches qui l’ont rendu célèbre et reconnaissable entre tous « , précise le Pr Davide Rampello, le président de la Triennale de Milan.

Et le design, les Italiens l’ont dans le sang, à l’instar de la mode, des belles mécaniques ou encore de la gastronomie… Cependant, de longues années durant, le terme  » design  » ne fit pas partie de leur vocabulaire. En effet, les premiers designers étaient des autodidactes. Il fallut en effet attendre les années 1980 pour que naisse une formation en la matière. Les pionniers de l’étude des formes et de la fonction étaient donc des architectes, des artistes, des ingénieurs, des chimistes ou des constructeurs d’avion. Le design italien a littéralement explosé sur le marché international au sortir de la Seconde Guerre mondiale, grâce au miracle économique des années 1950. C’est en effet à cette époque que l’Italie a lancé un programme d’industrialisation à grande échelle et que le design industriel a supplanté les productions plus artisanales. Même un seau en plastique se devait d’être élégant. En 1955, Gino Colombini a d’ailleurs remporté le Compasso D’Oro ( NDLR : l’oscar du design italien créé en 1954 par le grand magasin Le Rinascente et aujourd’hui décerné par l’Associazone per el disegno industriale fondée, elle, en 1956 pour défendre les intérêts des créateurs) pour son seau en polyéthylène KS1146 édité par Kartell.

Au début des années 1960, le  » Bel Design  » italien connu un tel succès qu’il supplanta carrément le design suédois. C’est d’ailleurs l’époque où eut lieu le premier Salone del Mobile à Milan, la plus grande foire du meuble et du design du monde, qui, chaque année, permet aux créateurs les plus en vue de la planète de présenter leurs dernières créations. Giulio Castelli, le fondateur de la société Kartell, spécialisée dans l’édition de meubles en plastique, n’hésitait d’ailleurs pas à affirmer :  » Si les hommes craignent la nouveauté, donnons-leur quelque chose d’encore plus nouveau.  » Arrive alors l’âge d’or du design italien où Joe Colombo dessine le siège  » Tubo  » pour Flexform, où Gae Aulenti signe la lampe  » Pipistrello  » pour Martinelli Luce, où Achille et Pier Giacomo Castiglioni réalisent le récepteur  » RR 126  » pour Brionvega. Le ton est désormais donné. Il ne suffit plus que la fonction soit claire et évidente. La fantaisie doit être omniprésente. Cela tombe bien, c’est justement la période où le plastique permet toutes les folies. Mais, dans ce contexte très joyeux, les designers restent malgré tout très sérieux. Ainsi, Anna Ferrieri Castelli, célèbre, entre autres, pour ses révolutionnaires containers de rangement en ABS K 4970/84 édités par Kartell, disait-elle :  » Je continue sur ma voie, consciente de la responsabilité qui est la mienne chaque fois que j’ajoute une nouvelle présence à un monde physique déjà surpeuplé. Je me demande toujours si je suis fidèle à mon objectif, qui est d’améliorer d’une manière ou d’une autre la qualité de la vie, de ne pas trahir la qualité éthique de mon travail.  »

Malheureusement, la crise économique du milieu des années 1960 freine un peu cet enthousiasme débridé pour le design. Au lieu de s’intéresser à de simples objets, les créateurs proposent des solutions globales pour l’habitat afin de l’adapter aux nouveaux modes de vie de l’homme moderne. Joe Colombo, par exemple, présenta le Total Furnishing Unit, un ensemble modulaire de containers rassemblant dans un espace minuscule le salon, la cuisine, la salle de bains et le bureau. Ces différents éléments pouvaient s’assembler de multiples manières pour offrir un logement taillé sur mesure. Cet état d’esprit a donné naissance à des groupes de créateurs tels que Archizoom, Superstudio et UFO qui proposaient des projets utopiques grâce au soutien du designer Ettore Sottsass ou du peintre û qui se convertit rapidement au design û Gaetano Pesce. Ces créateurs de l’extrême ont créé le mouvement du Radical Design qui entendait modifier la société par le biais du design et de l’architecture.  » J’ai choisi l’architecture pour communiquer et donc pour changer le monde « , affirmait Anna Ferrieri Castelli, partageant ainsi le point de vue de cette nouvelle génération de designers. Attentive aux idées de ces jeunes rebelles, l’industrie du meuble italien les fait travailler à son service pour maintenir ses parts de marché. C’est ainsi que Mario Bellini, par exemple, présente des projets personnels hors norme tout en créant des fauteuils élégants pour la marque Cassina. Cette tactique fut payante, puisque la révolte des designers cessa de gronder.

Mais, très rapidement, une deuxième vague de design extrémiste vit le jour. Alessandro Mendini, qui recouvrait des meubles classiques de décorations multicolores, s’associa avec Michele de Lucchi et d’autres pour fonder le studio Alchimia dans le but de remettre en cause le bien-fondé de l’esthétique, de la beauté des formes et du fonctionnalisme industriel.  » J’ai horreur de l’industrie car elle pollue l’eau de la mer et l’air des montagnes, déclare Michele de Lucchi dans son autobiographie. Elle a standardisé le monde en homogénéisant et en banalisant la production, nous éloignant ainsi de la saveur des choses naturelles et en y immisçant l’artificiel  » (1). En 1981, un autre groupe, connu sous le nom de Memphis, connaît un grand succès en exploitant les ressources du design italien d’après-guerre. A la tête de ce mouvement, deux autres légendes du design italien : Andrea Branzi et Ettore Sottsass. Leur credo ? Dépasser les limites ergonomiques et se concentrer sur une relation affective entre l’homme et ses objets.  » Une table a peut-être besoin de quatre pieds pour fonctionner, mais personne ne peut me dire qu’ils doivent être identiques « , clame Ettore Sottsass. Les créations sont désormais axées sur les surfaces et les motifs colorés, sur le côté multifonctionnel de l’objet et son rôle de communication. La marque Alessi lance alors ses collections ludiques et bigarrées de petits objets usuels au design affûté. Dans ce cadre, Stefano Giovannoni n’hésitera pas à dessiner un porte-goupillon pour W.-C. qui ressemble à un cactus en pot et baptisé tout simplement  » Merdolino  » ! L’irrévérence et l’humour omniprésent de ce Nuovo Design italien font à nouveau mouche au niveau mondial. Partout, on associe désormais le terme design avec formes étranges et nouvelles.

Cependant, au début des années 1990, crise économique oblige, le design italien se fait moins fantasque, plus élégant et plus accessible. L’esthétique néominimaliste, qui se développe partiellement en réaction au mouvement Memphis inspire des designers tels que Antonio Citterio, par exemple.  » Pour moi, la pertinence du projet, sans réveiller le vieux débat sur la forme et la fonction, dépend avant tout de la capacité à créer des objets clairs et compréhensibles. Puis, de celle à susciter le plaisir et le désir de les posséder « , revendique le créateur.  » Je cherche moins à être surpris ou amusé par un objet qu’à travailler sur sa précision, résultat d’une utilisation adéquate de la construction et du détail « . (2) Les formes et les couleurs s’épurent à l’extrême et le style dépouillé s’impose comme le comble du bon goût. Parallèlement, l’avènement de l’outil informatique révolutionne le travail des designers. Les logiciels de dessin permettent d’accélérer la genèse des projets et de réduire drastiquement les coûts de production en évitant les erreurs lors de la phase d’étude.

En ce début de IIIe millénaire, l’Italie occupe toujours une place prépondérante sur la scène internationale du design bien que les fabricants italiens travaillent de plus en plus avec des designers venus du monde entier. Le mélange des genres et des cultures règne désormais en maître aux quatre coins de la planète et le design n’échappe pas à la règle. Un bon point pour la créativité et l’innovation.

Serge Lvoff

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