Décembre 2012 : après un cycle de 5 200 ans, le calendrier maya annoncerait la fin du monde. Partout de nouveaux prophètes s’y préparent. Mais qu’en pensent les principaux intéressés ? Enquête de terrain au Mexique et au Guatemala.

« Dites au monde de ne pas s’inquiéter : 2012 ne sera pas la fin de l’humanité, nous souffle Pedro Cruz, un célèbre chaman guatémaltèque du village de San Pedro, assis devant l’autel dédié à ses ancêtres. Au contraire, nous allons connaître un grand changement que les Mayas attendent dans la fête et l’allégresse.  » Décembre 2012 : une prophétie maya prédirait l’apocalypse. Résultat, le calendrier de ce peuple issu d’une des plus anciennes civilisations d’Amérique est devenu un véritable phénomène de société et la planète entière est en émoi. Sur Internet, des milliers de sites alarmistes ont été créés autour de la date fatidique. Il suffit de taper  » maya 2012  » sur Google pour voir apparaître pas moins de 3 800 000 références. Partout, des adeptes des mouvements New Age se préparent à l’apocalypse et, dans les librairies, les ventes de livres aux théories fumeuses explosent. On y parle de cataclysmes naturels, de punitions divines ou encore du débarquement d’extraterrestres.

Pourtant, dans le petit village de Pedro Cruz, situé sur les rives de l’Atitlán, considéré comme l’un des plus beaux lacs du monde, aucun des habitants, tous d’origine maya tzutuhil, ne semble se soucier d’une quelconque calamité planétaire. Les rues sont calmes, seulement occupées par quelques Indiennes tisserandes qui, leurs enfants sur les genoux, confectionnent des vêtements chatoyants. La plupart des hommes sont partis tôt ce matin pour pêcher à bord des cayucos, de petites embarcations taillées dans un tronc d’arbre, les autres travaillant dur dans les champs de maïs et les cultures d’oignons. Un quotidien qui semble bien éloigné des préoccupations apocalyptiques.

Face aux exégèses confuses de ce calendrier millénaire, une question se pose : qu’en pensent les Mayas ? Et qui est donc ce peuple dont on reconnaît la splendeur du passé au point de penser qu’il aurait pu dessiner avec précision l’avenir de l’humanité ?  » La terreur n’existe que dans la tête des gros producteurs de films qui veulent gagner de l’argent, poursuit Pedro Cruz, qui partira en décembre prochain, avec quelques acolytes, à Tikal, un majestueux site archéologique enfoui dans la jungle, pour célébrer « dans la joie » l’avènement d’une nouvelle ère de paix post-2012. C’est la religion catholique qui vient nous imposer la peur. L’idée de l’enfer et du paradis n’avait pas cours chez nos ancêtres. Pourquoi craindrions-nous de mourir ? Pour nous, les descendants des Mayas, dès la naissance nous devons prendre soin du corps car il est sacré. Une fois son travail terminé, il retourne à la terre. L’esprit alors se réincarne dans un autre corps et la vie continue ailleurs.  » Les propos de Pedro Cruz viennent conforter celui des scientifiques. D’après les experts du centre d’études mayas de l’Unam, l’université la plus réputée du Mexique, aucune des interprétations  » occidentales  » du calendrier n’exprime la pensée des Mayas. Contrairement à la vision catastrophiste proposée par le film à succès 2012 du cinéaste allemand Roland Emmerich, les Mayas contemporains ne s’attendent pas à la fin du monde pour le 21 décembre 2012. Cette date serait même largement méconnue par la plupart d’entre eux.

JAGUAR OU COLIBRI?

Parmi les découvertes importantes faites sur le peuple maya, nous savons aujourd’hui que sa perception de la vie n’est pas linéaire, contrairement au calendrier grégorien, mais cyclique. Une des raisons majeures qui explique notamment pourquoi les Mayas n’auraient pas pu prédire la fin du monde mais seulement la fin d’une ère. Cette vision cyclique, dont témoigne leur croyance en la réincarnation, ne colle simplement pas à l’idée d’une fin brutale de l’humanité.  » Après ce cycle commencera un autre, explique Guillermo Bernal, archéologue à l’Unam. Pour preuve, dans la zone archéologique de Palenque, au sud-est du Mexique, il existe une stèle qui cite une date bien plus lointaine dans le futur : l’anniversaire d’un dirigeant de la cité préhistorique en 4772 de notre calendrier. « 

Dans la tradition maya, chaque être humain aurait une mission sur terre. À l’époque des anciens, les prêtres se servaient ainsi du calendrier pour prédire l’avenir, planifier les guerres, les mariages royaux ou les sacrifices. Passionnés par les astres, ils calculaient le moment pour que chaque activité du quotidien, de la naissance aux semailles, soit placée sous les meilleurs auspices. Aujourd’hui encore, le découpage traditionnel du temps est utilisé dans certaines communautés rurales d’Amérique centrale : tous les jours ne sont pas bons pour se marier, organiser une cérémonie religieuse, construire une maison ou travailler. Sage-femme dans le village de San Juan, au Guatemala, Ana Toc Cojbox a 74 ans et ne compte plus le nombre de naissances qu’elle a accompagnées. Comme le faisaient ses ancêtres, lorsqu’un nouveau-né pousse ses premiers cris, après lui avoir nettoyé le visage et enterré son placenta à l’extérieur de la maison, elle révèle à la famille les dons et la mission de l’enfant. Elle peut aussi, en se basant sur le jour de naissance, établir le nahual du bébé et esquisser la personnalité et les traits physiques qui seront les siens. Si c’est un jaguar, il aura la force pour gouverner, briller ou se battre. Colibri, il pourrait bien devenir chanteur, poète, conteur ou photographe.  » Je compte avec les doigts de la main le jour de naissance, affirme Ana Toc. Je note le nahual du bébé. Et quand les parents me le demandent, je leur dis s’il pourra être prêtre ou guérisseur, s’il sera riche, s’il faudra l’encourager à devenir agriculteur. « 

Pour ces véritables utilisateurs, le calendrier millénaire reste donc un  » outil  » qui n’annonce en rien l’arrêt brutal de l’humanité. Sages-femmes, agriculteurs, prêtres, guérisseurs, chacun utilise à sa façon cette chronologie ancestrale pour mener à bien ses activités professionnelles, agricoles ou spirituelles. Des villes coloniales aux communautés rurales les plus reculées, nous sommes bien loin de l’angoisse de la fin du monde. Mais une inquiétude revient souvent dans la bouche des Mayas, aujourd’hui principalement des paysans modestes à la vie rude : les bouleversements climatiques et leur impact direct sur leur quotidien.  » À l’avenir, il y aura plus de sécheresses, de tremblements de terre et d’inondations, assène Mariano de Jesus Perez, promoteur culturel du village chiapanèque de Zinacantán. Ce sera la conséquence de l’action déraisonnable des hommes et pas d’un nouveau cycle du calendrier.  » Loin du brouhaha 2012, les Mayas semblent victimes d’une réappropriation ethnique de leur calendrier.  » Le véritable problème, c’est que la prophétie maya a été créée de toutes pièces par les Occidentaux et que personne n’est jamais venu nous demander si c’était vrai, conclut Mariano de Jesus Perez. À l’extérieur de la maison, des rires de femmes éclatent, noyant dans l’allégresse les paroles de cet Indien tzotzil, représentant d’un monde orgueilleux de ses traditions qui a décidé de survivre à 2012.

PAR CAROLINE CHAPEAUX

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