On pensait la world food complètement dépassée au profit des cuisines de terroirs. Erreur. Les restos asiatiques reviennent aujourd’hui en force. Au programme : nouvelles approches culinaires, concepts hype et architectes d’intérieur renommés. Gros plans sur ces lieux de délices qui mènent Paris, Bruxelles et Namur à la baguette.

Carnet d’adresse en page 71.

 » I l était temps, martèle Sébastien. J’avais beau être un fanatique des mets asiatiques, je commençais à saturer de devoir me contenter de bouis-bouis pour satisfaire mes préférences gastronomiques.  » A 38 ans, ce jeune informaticien se félicite de la nouvelle vague qui est en train de bouleverser les codes de la cuisine extrême-orientale à Paris.  » Il existe une forte demande quant à ce type de nourriture. Si sur le papier elle fait l’unanimité, sur le terrain c’est souvent la déception qui est au bout du repas. Atmosphère glaciale, décoration kitsch ou inexistante, service épouvantable… Beaucoup de fans comme moi baissent les bras et préfèrent aller dans un resto français servant des spécialités asiatiques. Même si c’est moins bon, en fin de compte, la soirée est meilleure.  »

Aujourd’hui, on assiste à la multiplication des concepts autour des cuisines asiatiques. Les projets les plus modestes proposent un cadre et une atmosphère enfin à la hauteur, tandis que d’autres, plus ambitieux, offrent de nouveaux  » chemins  » gastronomiques prenant place dans des espaces ultracontemporains. Pour Mariko Ueno, consultante culinaire entre Paris et Tokyo, la progression de la world food est inéluctable.  » Même si pendant un certain laps de temps on a moins parlé des cuisines du monde, elles constituent toutefois l’avenir de la gastronomie, estime-t-elle. Ceci de la même façon que la mondialisation est le destin de l’économie. Bien sûr, il y a des éléments à rectifier et des concepts qui disparaissent. Il est toutefois évident que le contenu de nos assiettes ne sera plus jamais le même. Ce qui se produit actuellement est assez encourageant. Au départ, on optait pour les produits et les plats les moins sophistiqués des cuisines asiatiques, maintenant une sélection s’opère. Le consommateur est de plus en plus exigeant. S’il mange thaï, par exemple, il voudra une authentique cuisine thaïe et pas un ersatz. Ce qui arrive à la cuisine japonaise est également symptomatique : progressivement les gens délaissent les sushis et les sashimis pour se tourner vers des spécialités plus élaborées comme le teppanyaki ou les nouilles au soba.  »

Musts parisiens

En matière de restaurants asiatiques  » nouvelle vague « , trois adresses s’imposent à Paris. Ensemble, elles synthétisent parfaitement les orientations du futur. C’est sans hésiter par Yen qu’il faut commencer. Un set de table en forme de soleil levant, deux baguettes, une pierre sur laquelle les poser, un verre et une serviette… Pénétrer chez Yen revient à pousser la porte d’un temple zen en plein Saint-Germain-des-Prés. La décoration s’affiche monacale et les plats relèvent de l’esthétisme haute couture. Pas étonnant que l’endroit ait été désigné comme culte par le milieu de la mode. La gastronomie fait ici un pas du côté de la dentelle : l’assiette sacre le triomphe de la lamelle filiforme, les mets conjuguent légèreté fraîche et sobriété diététique.

Yen appartient au groupe Onward Kashiyama, une entreprise japonaise qui possède plusieurs espaces de mode û le magasin Paul Smith du boulevard Raspail et la boutique Gaultier de la rue Vivienne û à Paris. Pas d’exotisme toc pour ce restaurant dédié au soba, un concept inédit en Europe. L’aménagement intérieur a été confié à Hisanobu Tsujimura, un architecte de Kyoto rompu au minimalisme. Ici, pas de décor. Un thermostat Airwell et un pictogramme extincteur sont les seuls éléments qui viennent distraire le regard. Une véritable leçon de dépouillement. Sur deux niveaux, Tsujimura a conçu un modèle de raffinement épuré. L’étage, où le papier de soie plonge les convives dans un aquarium atmosphérique, en est le meilleur exemple.

Les ingrédients ont été traités avec le même souci d’authenticité. Constatant l’uniformité de la cuisine nipponne en Europe, Onward a élaboré un projet alimentaire basé sur le soba, des pâtes à base de farine de sarrasin dont l’origine remonte au xviie siècle. Pour maîtriser parfaitement la recette, le directeur de l’établissement, Katsuki Sakurai, a délaissé ses fonctions dans le prêt-à-porter pour se former pendant un an dans la campagne japonaise. Chaque jour, plusieurs fois pendant le service, il prépare les nouilles fraîches au vu de tous. Ses gestes sont réglés comme du papier à musique. Le repas tient lui aussi du rite : on le choisit  » kake  » (chaud) ou plus judicieusement  » zaru  » (froid). D’abord, présentés dans une boîte en bois compartimentée, quelques tempuras de légumes et de crevettes, du tofu et une pointe de gingembre frais ouvrent l’appétit. Ensuite, on déguste les pâtes au sarrasin avec une sauce relevée de wasabi et accompagnée de petites rondelles de poireau. Le tout à gober  » tsuru tsuru « , c’est-à-dire en aspirant bruyamment. On termine en buvant le  » soba-yu « , l’eau de cuisson du sarrasin riche en vitamines et protéines. On peut également savourer de très belles omelettes au poulet, des tempuras délicieux, des soupes légères et des desserts au thé vert.

Autre endroit incontournable pour qui veut s’initier à ce nouveau souffle venu du bout de l’Est : Azabu. Cette enseigne étonnante est l’£uvre de Mami Nakamura. Ses parents ouvrent le premier restaurant dédié exclusivement aux sushis à Paris. Elle débute dans le métier par une petite brasserie française dans le quartier d’Azabu à Tokyo. A force d’aller et venir entre deux cultures, elle pointe les manquements et les méconnaissances mutuelles. Pour elle, c’est clair : les Parisiens ont une mauvaise image de la cuisine japonaise.

Au départ d’Azabu, l’idée de dresser un portrait fidèle de la gastronomie nipponne. Une cantine telle qu’on pourrait y manger à Tokyo. Tant côté cuisine que côté déco. Parmi la diversité des approches culinaires japonaises, Mami Nakamura, associée à Kuniaki Imoto, opte pour un genre encore peu répandu en Europe : le teppanyaki. Cette cuisson  » live  » û les convives sont à cinquante centimètres du chef û s’effectue sur une plaque chauffante géante. Une sorte de plancha du Soleil Levant. Le chef exécute des gestes simples, tranche sans emphase, découpe sans ostentation et assaisonne sans bruit. A noter aussi, la cuisine d’Azabu intègre û exactement comme au Japon û des produits venus d’ailleurs, selon une curiosité tout insulaire. Pas étonnant dès lors de retrouver du foie gras ou de la mozzarella dans l’assiette. Le midi, l’adresse décline des plats populaires comme l’okomiyaki (une galette de légumes et viande avec une sauce évoquant le sirop) ou le tsukuné (galette de poulet haché). Le soir, elle consacre à des recettes plus subtiles : aubergines façon Azabu, Saint-Jacques saisies, foie gras grillé nappé d’une sauce au miel…

Le décor du restaurant est l’£uvre de l’architecte d’intérieur japonais, Soichi Mizutani. L’homme est connu pour avoir réalisé la partie nipponne de la maison de Kenzo à la Bastille. Lignes épurées et matières nobles où le bois est omniprésent. Les vingt-huit couverts sont ainsi disposés dans une atmosphère intimiste. Au sous-sol, une table d’hôte dépouillée invite à la sérénité. Quant aux toilettes, elles signent le triomphe du sanitaire minéral dans une version hyperluxe de jardin zen.

Le Comptoir de Thiou, lui aussi, est un bel exemple du second souffle des restaurants thaïs. C’est l’histoire de Madame Thiou, une Thaïe surdouée de la cuisine. Grâce à la qualité de ses préparations, Thiou, son petit restaurant est, au fil du temps, devenu celui des stars. On y a vu la famille Hallyday, Robert Hossein et même Mick Jagger… Puis Madame Thiou a ouvert des succursales… la dernière en date étant située dans le Triangle d’Or, soit l’épicentre du chic parisien, avenue George V. Le Comptoir de Thiou affiche un décor ultraléché. Pour l’occasion, la patronne a fait appel à Miguel Cancio Martins. Cet architecte d’intérieur, qui a fait ses études en Belgique, a notamment participé à l’aménagement du Buddha-Bar ainsi que du Man Ray, à Paris, et s’est aussi distingué en réalisant le Khnopff, à Bruxelles. Pour le Comptoir de Thiou, il a réussi la prouesse d’élaborer un décor à la fois véritablement thaï et contemporain. Le tout dans des tonalités orange vif à l’esprit très bouddhiste. Le lieu a d’ailleurs été béni par des prêtres bouddhistes. La carte est on ne peut plus thaïe, avec une série de mets délectables à base de tamarin, coriandre, citronnelle et riz parfumés.

L’Asie en Belgique

En Belgique, également, les enseignes asiatiques ont su prendre le train de l’évolution en marche. Dernière adresse hype et joli coup de maître, Citizen signe une approche cosmopolite et brillante des cuisines extrême-orientales. Aux commandes : Laurence Bonte, une jeune Bruxelloise fascinée par l’Asie. Une passion sans £illères puisqu’elle a refusé de s’en tenir à une seule cuisine : son restaurant permet, en effet, dans le même mouvement de s’initier aux cuisines indiennes, chinoises, thaïes et vietnamiennes. L’ensemble étant préparé sans fausse note par une chef thaïe. Côté déco, Caroline Bonte a fait appel à Laurence Sonck, une architecte d’intérieur qui a imaginé un cadre à la fois minimaliste et chaud. Le tout pour un chic urbain qui évite les pièges du tape-à-l’£il. Cela donne des murs sombres û un marron intense mêlé de noir û, deux grands panneaux de Plexiglas illuminés par derrière, un plancher foncé et des accessoires de table en Inox pour une atmosphère feutrée. On retrouve également un brin de provocation puisque des films comme  » Fenêtre sur cour  » ou  » Les Temps modernes  » y sont projetés à même les murs.

Le Lotus-Bar s’affiche comme une autre adresse bruxelloise de choix. Conçu sur les bases d’un ancien restaurant japonais, cet endroit propose une carte 100 % thaïe. Pitou Engels, le propriétaire, a opté pour une atmosphère à mi-chemin entre l’ethnique et le contemporain, le restaurant et le bar. A l’entrée une fontaine de fumée û un système allemand fonctionnant avec des ultrasons û plonge les convives dans une ambiance mystique qui n’a rien d’incommodant. La décoration a été conçue par Laurence De Bolle, une spécialiste du feng-shui : espace fluide, lustre imposant et bar aux vitraux multicolores. Le sous-sol, plus intimiste, mêle fauteuils en osier et sièges en peaux de zèbres pour une note plus décalée. En cuisine et en salle, une équipe thaïe apporte savoir-faire et gentillesse spontanée à l’ensemble.

Avec le Tokyo à Namur, difficile de dire si l’on se trouve encore dans la capitale de la Wallonie ou si l’on a traversé l’Atlantique, direction New York. Grâce à cette adresse, la ville au confluent de la Sambre et de la Meuse est passée directement à la deuxième génération des adresses japonaises puisqu’on n’y trouve pas de restaurants à sushis. Cet endroit caché derrière une belle façade de brique affiche un concept tel qu’on les trouve aux Etats-Unis. Cinq grandes tables accueillent chacune douze convives pour une expérience surprenante. L’enseigne est, elle aussi, dédiée au second souffle de la cuisine nipponne : le teppanyakki. Derrière de grandes plaques chauffantes, une série de chefs se succèdent pour officier  » live « . Ils préparent un nombre incalculable de poissons et de viandes à un mètre des clients, en réussissant à chaque fois des cuissons parfaites. Le tout pour une expérience qui relève à la fois du théâtre, de la musique û la valse des instruments des chefs rythmant le dîner û et de la gastronomie. La fraîcheur des poissons, couplée avec celle des légumes frais et des sauces légères, débouche sur un repas diététique et savoureux. La recette a tellement bien  » pris  » qu’un autre Tokyo a tout récemment vu le jour à Charleroi.

Michel Verlinden

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