Chaque jour, la capitale russe se dote d’une nouvelle boutique, d’un club ou d’un musée de plus. Et le grand lifting moscovite commence tout juste. De quoi susciter notre curiosité pour cette ville si longtemps ignorée.

Il y a des villes qui fascinent. Moscou fait, sans conteste, partie de celles-là. Les rues y sont presque aussi larges que nos autoroutes, les immeubles affichent de faux airs de gratte-ciel, les souterrains abritent une vie urbaine insoupçonnable. Le regard passe sans transition d’une colossale construction stalinienne à une ravissante église orthodoxe toute de bleu et d’or. La capitale russe ressemble à un anarchique patchwork d’époques, de styles et de pastiches architecturaux. Et ce n’est pas près de s’arrêter. Le tintamarre des chantiers se fait entendre de toute part. A tel point que Moscou, par endroits, rappelle le Berlin d’il y a quinze ans. On y retrouve l’effervescence d’une ville, non pas réunifiée, mais ressuscitée. C’est bien un nouveau visage, plus en phase avec sa puissance recouvrée, que la métropole a décidé de se façonner.

Dans le centre, la plupart des façades ont déjà été, une à une, ravalées. Les peintures font éclater leur couleur blanche ou pastel. On déambule avec ravissement sous l’arche à créneaux néomédiévale du passage Tretiakovski, à ciel ouvert. De part et d’autre de cette allée pavée s’alignent des vitrines au décor léché. Un peu plus au nord, le passage Petrovski fait partie des plus charmantes galeries marchandes de la ville. Avec sa couleur vert guimauve, il rassemble des créateurs de toute nationalité. Côté grands magasins, le Tsoum a, depuis son ouverture, volé la vedette au Goum – l’ancien magasin d’Etat fut, un siècle durant, le plus vaste espace commercial de Moscou – et à sa grande verrière qui jouxte la place Rouge. Situé dans le quartier des théâtres, donc à deux pas du Bolchoï, ce bâtiment vient d’être réaménagé en un magnifique temple de la mode à l’architecture intérieure tout en verre, dernier cri. Autour, de nouvelles boutiques ouvrent chaque semaine leurs portes, faisant de cet endroit un point de ralliement de fashion addicts digne de ceux de Londres ou de New York. Rien d’étonnant, quand on sait que la capitale russe concentre un nombre impressionnant de millionnaires (ils seraient près de 60 000) et qu’elle était encore classée, en 2007, comme la ville la plus chère du monde pour les expatriés, prenant ainsi la place de Tokyo. Dans les lieux huppés de la capitale, les prix s’envolent. Mais, à Moscou, les grands écarts sont permanents. Entre les voitures taxis capables de vous déposer où vous voulez (du moment que c’est sur leur route) pour quelques roubles et les limousines qui circulent dans le centre, il y a un monde.

Faste, luxe et lieux select

Une chose est sûre : les (nouveaux) Russes veulent désormais le meilleur. Que ce soit en architecture – les agences de Norman Foster et de Zaha Hadid sont à pied d’£uvre pour édifier le futur quartier de la City, en bordure de la Moskova. Qu’importe aussi que le caviar soit en ce moment interdit à la vente (pour cause de pénurie d’esturgeons), pourvu qu’il reste le foie gras !  » Les Russes aiment la profusion, mais ils ont aussi une réelle curiosité et du goût « , constate David Hemmerlé, le chef français qui officie à la Cristal Room de la toute nouvelle maison Baccarat, rue Nikolskaïa. Le restaurant, inauguré en mars dernier, fait déjà partie des derniers lieux chics à découvrir. Comme à Paris, Philippe Starck a actionné sa baguette magique. Cette fois, il a transformé une ancienne pharmacie ouverte sous Pierre le Grand en un palais de conte de fées, avec lustre géant en cristal, tête d’ogre sculptée et banquettes capitonnées. S’il faut réserver un mois à l’avance pour être sûr d’obtenir une place à l’étage, reste la chance de déambuler dans ce décor de rêve. Et de prendre la mesure du nouveau faste de Moscou. De lieux sélects, la ville ne manque pas.  » Toutes les semaines quasiment, une nouvelle boîte, un nouveau bar s’ouvrent, c’est devenu impossible de suivre « , témoigne un expatrié. A croire qu’il n’y en a jamais assez pour satisfaire le besoin de fête des Russes. Que ce soit au GQ, au Most ou au Nivanivolstock, chaque restaurant branché possède son club privé, avec danseuses sur podium et écrans géants. Et certains spots se logent dans des endroits improbables. Comme le Sky Lounge, un restaurant qui garantit une vue imprenable. Et pour cause, il est situé au 22e étage de l’immense tour de l’Académie des sciences, toujours en activité et donc gardée par des militaires en faction ! Pour sentir battre le c£ur du nouveau Moscou, attardez-vous du côté de Vinzavod. Cette zone industrielle, à l’est du Kremlin, est constituée d’anciens réservoirs de gaz du xixe siècle ainsi que d’usines de vins et de spiritueux (d’où son nom). Ses entrepôts de briques rouges composent désormais une sorte d’ East End local, depuis qu’un couple de businessmen russes les a réhabilités pour y accueillir les meilleures galeries de la ville.  » Les Russes achètent beaucoup, et principalement des £uvres de leurs compatriotes, explique Claire Savoretti, qui dirige à Moscou une fondation en faveur de l’art contemporain russe. C’est une façon pour eux de se réapproprier leur histoire. Collectionner, pour les Moscovites, c’est aussi une façon de se faire accepter dans un certain cercle, c’est une manière de vivre. « 

De fait, les musées privés, comme celui d’Igor Markine, n’arrêtent pas de se multiplier. Les puissants renouent avec la tradition des mécènes du xixe siècle. A l’instar de l’entrepreneur et grand amateur d’art Pavel Tretiakov, qui permit au public de découvrir sa collection en 1881, avant d’en faire don à la ville. Dans la Nouvelle Galerie Tretiakov, on admirera les £uvres de Malevitch, de Kandinsky et, fait exceptionnel, depuis deux ans, une collection d’art moderne et contemporain russeà non officiel. Soit des centaines d’£uvres censurées par les Soviétiques ou totalement inconnues. Pour les réunir, le conservateur Andreï Erofeev a mené des recherches pendant près de vingt ans. Si, aujourd’hui, il peut rendre compte de l’audace critique des artistes à l’égard du régime, il a plus de mal à en faire de même pour la période actuelle. Les £uvres des Blue Noses sont exposées en fin de parcours, mais certaines toiles, jugées scandaleuses par la direction de la galerie, n’ont plus droit de cité.

S’il y a un endroit à Moscou sur lequel ni le pouvoir ni le temps ne semblent avoir de prise, c’est bien le Bolchoï. Fermé pour travaux de sauvetage depuis trois ans, le mythique théâtre rouvrira ses portes à la fin 2009. Et dans un décor rigoureusement identique. Bientôt, la troupe des 250 danseurs, qui officie toujours dans un théâtre voisin, le temps du chantier, pourra donc retrouver une scène toute neuve. Et reprendre les entrechats là où elle les avait arrêtés. A Moscou, quoi qu’il arrive, les ballets russes resteront toujours une parenthèse d’éternité.

Marion Vignal Photos : Alexandre Zemlianichenko/ WpN/pour Weekend

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