Ils créent sous leur nom,

mais dessinent aussi les collections des marques les plus prestigieuses. Portrait de cinq créateurs qui nous mettent à leurs pieds…

Q uelque chose a changé au royaume des bottiers. Le soulier n’est plus un accessoire posé aux pieds de la couture, mais un  » vêtement  » à part entière qui décide, lui aussi, de la tendance. Le retour à une mode plus sage, le renouveau des basiques expliquent en grande partie cette minirévolution. Il est vrai qu’une chaussure permet, à elle seule, de faire la différence. Portez la même tenue avec des bottes cavalières ou des escarpins bijoux et vous aurez l’impression (justifiée) d’en changer. Plus inattendue, et soulignée par Christian Louboutin, l’évolution des mentalités.  » Contrairement aux Américaines, les Européennes n’avaient pas la culture des terminaisons. Aujourd’hui, elles s’occupent de leurs mains et de leurs pieds et adoptent sandales et escarpins sophistiqués.  » Cette mise en vedette des chaussures en appelle évidemment une autre : celle de leurs créateurs. Comme les couturiers, ils font la mode et les marques de luxe se les arrachent. A juste titre. Roger Vivier, Clergerie, Jourdan… Ces belles enseignes, effacées ou brouillées par le temps, ont tout simplement recouvré leur prestige en s’attachant leur talent.

Cet automne, les maestros ont eu pitié de nous et ont rompu avec la tendance infernale du talon aiguille et du bout ultrapointu.  » Nos créations sont plus proches de la femme, moins de la victime « , commente avec humour Christian Louboutin. On retrouve le confort élégant des ballerines et des ghillies (chaussures traditionnelles écossaises) avec Pierre Hardy chez Hermès et Bruno Frisoni chez Roger Vivier ; le charme chic des trotteurs à petit talon chez Alain Tondowski pour Kélian, et Pierre Hardy encore nous fait même redécouvrir la noble stabilité des richelieus. Parallèlement à ce courant sagement élégant s’en développe un second, très hollywoodien, qui habille voluptueusement le pied de sandales et d’escarpins précieux. Mais, là encore, on respecte les règles de la morphologie et de l’aisance : les talons, parfois très hauts, sont parfaitement architecturés, et les formes, juste effilées. Une double tendance qui partage aussi les bottes : cavalières et cuissardes à semelle plate d’un côté, bottes et bottillons glamour de l’autre. En contrepoint de cette sobriété des formes, de savants jeux de découpes et une profusion inédite de couleurs et de matières. Rodolphe Menudier ose les plumes, la dentelle, le tweed et Michel Vivien, pour Clergerie, les vernis tricolores. Sergio Rossi pose des fleurs en cristal jusque sur les bottes et Christian Louboutin enveloppe de brocart ocre et turquoise ses escarpins. Beaucoup de satin aussi, de velours, et encore plus de fourrure et de peaux lainées, en corps de bottes ou bordures de bottines. Un hiver décidément placé sous le double signe du confort et du raffinement.

Bruno Frisoni

Créateur des collections Bruno Frisoni et Roger Vivier

Français d’origine italienne, Bruno Frisoni a suivi une formation classique de styliste. Mais, face à une demande croissante, il a très vite réalisé de plus en plus de chaussures, le seul accessoire qui, selon lui, se porte comme un vêtement. Il évoque même pour ses créations  » le tailleur et le flou « . Deux genres qui se complètent dans son style avec, d’une part, des tissus et des matières souples ; de l’autre, des formes très architecturées. Sa patte, parfois théâtrale mais toujours élégante, s’est inspirée cet hiver de l’esprit  » glamrock « . Escarpin en daim vert, vernis noir ou cuir mordoré, bottillon en gros grain violet… La chaussure se fait accessoire de la séduction avec de larges rubans pour enlacer les chevilles et des pompons qui donnent un éclat de couleur. Pour Roger Vivier, ces modèles s’inspirent de quelques grands classiques du cinéma, comme  » Belle de jour  » avec Catherine Deneuve, rebaptisé  » Belle toujours « . Plus inédit : la  » Madame Prozac « , une ballerine à gélules colorées et brodées.

Patrick Cox

Créateur des collections Patrick Cox et Charles Jourdan

S’il a appris le métier dans une école spécialisée en Grande-Bretagne, le Canadien Patrick Cox a débuté lui aussi par le stylisme de mode. Juste après sa formation, il dessine des souliers pour hommes mais rejoint très vite Vivienne Westwood et commence à créer des chaussures de femmes. Insensées et de formes sculpturales, il les imagine comme une architecture :  » Une surface extérieure de l’intérieur caché.  » Dans son travail, il se dit  » Anglais, trash et rock’n’roll « . Il reste fidèle à la chaîne ( » La première forme que j’aie dessinée « ) et ne dédaigne ni le rétro ni la profusion de couleurs. Cet hiver, il s’inspire du  » style pionnier  » pour des bottes à mi-mollet en cuir vieilli et des chaussures à talon bloc en croco. Passionné de technologie, il travaille le plexi, le métal, et réalise des modèles en fibres optiques. Pour Charles Jourdan, il a misé à la fois sur la forme et le détail avec, cette saison, des chaussures très ornées et portées par un talon-chaîne  » un peu chic et vieille dame « . Or, strass, estompe façon crocodile et imprimé léopard… Il joue aussi sur les matières. De quoi redonner du nerf à la maison !

Michel Vivien

Créateur des collections Michel Vivien et Robert Clergerie

Après une formation artistique aux Beaux-Arts et un passage par l’atelier d’Alechinsky, Michel Vivien a choisi la chaussure un peu par hasard, quand un ami lui a proposé de créer pour Pucci Verdi. Il collabore ensuite avec Carel ( » Une très bonne école « ) et de nombreux créateurs, dont Yves Saint Laurent et Thierry Mugler. En 1999, il se lance sous son nom et propose des chaussures plutôt sombres, dans un style épuré qu’il qualifie de  » parisien chic « . Modestement, il se voit non pas en créateur mais en artisan soucieux d’offrir des modèles équilibrés, dans lesquels les femmes se sentent bien. Depuis peu, il signe également les collections Robert Clergerie, avec, pour l’hiver, des formes sobres mais des tons vifs : fuchsia, rouge ou vert pomme.

Pierre Hardy

Créateur des collections Pierre Hardy et Hermès

Un bottier normalien, ça existe ! Ecole normale supérieure, agrégation d’arts plastiques, rien de ce qui est forme n’est étranger à Pierre Hardy. Les chaussures ont d’abord été pour lui une simple manie :  » Des croquis dessinés par jeu pendant toutes mes études.  » Au point qu’il finit par en dessiner vraiment et qu’au bout de quatre ans il travaille avec Gianfranco Ferré chez Dior. En 1990, il commence à créer les collections Hermès, puis lance sa marque en 1999, et ouvre boutique en octobre 2003. Dans tous les cas, c’est  » l’écriture, le graphisme  » qui le mènent :  » Je me concentre sur l’architecture, le détail ne m’intéresse pas et la couleur vient après.  » Cet hiver, elle est là et bien là, dans les variations métallisées des richelieus ou le nuancier  » tonitruant  » de ses escarpins de satin gansés d’or. Des  » chaussures objets  » qu’il oppose aux souliers  » coups de pinceau qui finissent discrètement la silhouette « . Pour lui,  » une belle chaussure est une chaussure qui disparaît ou qui se voit beaucoup « . Chez Hermès, il a retravaillé cette saison les mythiques ghillies et griffé toutes les bottes d’équitation d’une bride inspirée… par le fermoir de Kelly.

Créateur des collections Alain Tondowski et directeur artistique chez Stephane Kélian

Styliste formé au Studio Berçot, Alain Tondowski se voit proposer d’entrer chez Stephane Kélian après ses études.  » J’ai tout de suite accepté.  » Il crée ensuite en exclusivité pour Dior, s’arrête pour se consacrer à son autre passion, le théâtre, et reprend du service comme consultant en achat d’accessoires au Printemps :  » Une expérience enrichissante, qui permet de voir les choses de l’autre côté.  » Finalement, il lance sa propre ligne,  » sur un coup de tête « . De Colette à Bergdorf, de Saks à Harvey Nichols, ses collections font un tabac dans les magasins les plus pointus du monde. Pour lui, la chaussure conjugue deux langages,  » celui de son créateur et celui de la femme qui la porte « . L’histoire qu’il nous raconte cet hiver lui a été inspirée par  » Cyd Charisse, toute en vert, dans  » Chantons sous la pluie « . Du vert, donc, pour l’escarpin de la saison, en daim et en lézard, décolleté sur les côtés et drapé sur le devant. Chez Kélian, on retrouve son  » goût du talon un peu aérodynamique « , dans des compensées profilées, des escarpins bicolores et, bien sûr, dans le  » patrimoine de la maison  » : le tressage fait main. Enfin, mention spéciale pour avoir osé le bleu marine devenu introuvable et dont il nous promet une débauche au printemps prochain.

Martine Marcowith et Antigone Schilling

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content