Dominique Forma
Scénariste et réalisateur, le Français Dominique Forma s’est fait connaître avec un premier film, Scenes of the Crime (distribué sous le titre La Loi des armes). Ce banlieusard prouve également ses talents d’écrivain avec un roman noir gouailleur situé dans le Paris des années 1980. Jean Guillot, son héros, s’est rebaptisé Johnny Trouble, un nom qui swingue nettement plus. Ce loustic fait ce qu’il veut, n’a de compte à rendre à personne et gagne très bien sa vie. Dandy moderne, Trouble lit Carco et Huysmans, roule en DS 21, carbure à un étrange cocktail composé de pommes vertes, cigarettes américaines et cognac, dort nu et sans chauffage. Professionnel de la vente, notre homme enregistre les concerts auxquels il assiste, les grave sur vinyle et les commercialise ensuite sans vergogne auprès d’un public chaque jour plus nombreux. » Un skeud était bien plus qu’un acte marchand, c’était un acte d’amour, un acte de collectionneur maniaque, un geste érotique pour celui qui achetait comme pour celui qui vendait « , se justifie-t-il, expliquant à l’intention des néophytes qu’un » skeud » est un disque illégal de chansons enregistrées de manière illégale, pressé et vendu illégalement ! Epatant portrait d’une époque et d’un milieu qui combine comme il peut la passion et le business, l’excellent coup d’essai de Dominique Forma bénéficie de surcroît d’une bande-son irréprochable. Avis aux amateurs ! A.F.
Skeud, Fayard, 360 p.
Antoine Chainas
Baptisé secrètement Hitler par ses collègues, le major Paul Nazutti est persona non grata partout où il passe. Brutal, grossier, raciste, homophobe, sexiste, pervers, misanthrope et surtout très remonté contre les tueurs d’enfants : rarement personnage de flic aura été aussi antipathique ! Rarement personnage littéraire met aussi mal à l’aiseà Mais voilà qui en dit long sur le talent de son créateur, Antoine Chainas, à peine trentenaire, auteur d’un premier polar dérangeant, Aime-moi, Casanova, où un flic peu recommandable croisait une faune repoussante de sadomasochistes tendance zoophile. Avec Versus, plus abouti, le jeune romancier, dont on sait seulement qu’il est père de famille et qu’il travaille à La Poste dans l’arrière-pays niçois, s’impose sans conteste comme la nouvelle voix du polar français. Rongé par la haine des autres, le » rouleau compresseur » Nazutti a épuisé huit partenaires en vingt ans. C’est ce qu’apprend Andreotti, son nouveau collaborateur à la brigade des m£urs, un idéaliste au passé cabossé. Charge au tandem d’élucider une série de meurtres pédophiles, qui fait ressurgir le souvenir d’un autre assassinat : celui de la petite Samantha. Présenté comme ça, Versus a tout l’air de suivre honnêtement les règles du genre. Erreur ! Par l’extrême crudité de ses descriptions morbides comme de son propos sur une société en totale décadence, par son écriture survoltée avec plein d’éclats du meilleur argot et des ruptures de rythme fréquentes, par ses ellipses et ses fulgurances, ce polar éprouvant renouvelle la veine explorée, notamment par le Britannique David Peace. Si Versus donne la nausée, ce n’est pas par hasard. L’intelligence d’Antoine Chainas ne fait aucun doute, son art du polar non plus. D.P.
Versus, Gallimard/Série Noire, 538 p.
Chris Haslam
L’histoire démarre à Marrakech. Martin Brock cavale vers la sortie d’un restaurant chic sans payer l’addition. C’est un habitué des petits vols minables qui lui permettent de se remplir l’estomac avant de jouer les guides auprès des touristes un peu paumés. Son accent anglais, son costume de lin font bonne impression. Mais, cette fois, la combine tourne mal et, sans l’aide d’un homme d’affaires américain, Eugene Renoir, il croupirait en prison. Fini Marrakech, Martin et Eugene s’en vont trafiquer du côté de la Floride. Cette fois, il s’agit d’écouler des pièces d’or, de les acheter, de les revendre, selon l’humeur. Tout pourrait s’arranger mais une strip-teaseuse, son petit ami adepte des armes de poing et un crotale trop agressif vont encore pourrir la vie de Martin jusqu’à la fin de ce roman complètement déjanté. Chris Haslam est un nouveau venu et son humour british devrait séduire les lecteurs en quête de polar humoristique. Un genre plutôt rare aujourd’hui. Aucune morale, un ton fantaisiste, un sens de la mise en scène farfelue s’accompagnent d’un regard sur une Amérique de ploucs, vivant dans des mobile homes et rêvant de belles nanas. Il paraît que Chris Haslam fut professeur de ski et forgeron avant d’écrire. En fait, il a dû essentiellement parcourir les Etats-Unis et lire Harry Crews avant de pondre ce polar savoureux comme une bière glacée au milieu du désert. C.F.
Alligator Strip (Alligator Strip), traduit de l’anglais par Jean Esch, Le Masque, 330p.
John Katzenbach
Ce qui intéresse le romancier américain John Katzenbach, c’est la psychologie des personnages, comprendre leur démarche. Le succès de L’Analyste (Grand Prix de littérature policière en 2004) l’a fait connaître des amateurs de thrillers, et les adaptations cinématographiques – Un été pourri avec Kurt Russell et Juste cause avec Sean Connery – lui ont ouvert les portes de Hollywood. Ce cinquième roman est une bonne surprise, prouvant qu’il sait se remettre en cause et prendre des risques littéraires dans un genre plutôt convenu. Comment une histoire d’amour peut-elle tourner à la destruction, au meurtre ? D’un côté, la jeune Ashley, une jolie fille qui poursuit ses études et couche un soir avec Michael O’Connell, persuadée que le lendemain tout sera oublié. Mais en face, Michael est fou. Il fait une fixation sur elle, commence à lui écrire des lettres enflammées puis à lui pourrir la vie, agressant ses petits copains, s’attaquant à sa famille par tous les biais possibles. Pour échapper à cet homme dangereux, parents, grands-parents, détectives privés agissent comme ils peuvent mais l’ennemi est intelligent. John Katzenbach sait faire monter l’angoisse, passant de O’Connell à Ashley, son père, sa mère. L’étau se resserre grâce à son écriture très descriptive, évitant les effets pour se concentrer sur les pensées et les actions de ses héros qui ressemblent de plus en plus à des animaux traqués. Evitant le manichéisme, Katzenbach ne condamne ni les cinglés en mal d’amour, ni les bourgeois prêts à tout pour retrouver leur confort. Il parle de conscience, et c’est sûrement son expérience de journaliste judiciaire qui lui permet de scruter la société sans la couper en deux. Délicate balance. C.F.
Faux coupable (The Wrong Man), traduit de l’américain par Jean-Charles Provost, Presses de la Cité, 476 p.
Martin Solanes
Recto, un décor magnifique : Majorque, la plus grande des îles Baléares, son soleil généreux, ses montagnes majestueuses, ses criques splendides, ses champs d’oliviers, l’odeur enivrante des figuiers, etc. Verso, un scénario macabre : la découverte d’un bras coupé dans le système sophistiqué de récolte des ordures à Palma, la capitale, et des bouts de cadavre qui s’accumulentà La carte postale n’est pas banale, sacrément prometteuse ! Promesse tenue par ce polar inattendu, sensuel et sanglant. A partir des sinistres exactions d’un mystérieux tueur et de l’enquête menée par Bruno Montaner, patron de la Guardia Civil, Quand la lune sera bleue met en scène les retrouvailles de la jeune Pilar Màs avec son île natale mais aussi avec son pénible passé. Photographe de vocation, Pilar est devenue technicienne de scène de crime : en saisissant les moindres détails, son objectif peut révéler une piste inespérée. Après des années de formation sur le continent, Pilar est donc de retour à Majorque où elle a rejoint l’équipe de Montaner, son cousin. Mais cette fois, ses photos ne disent rien de plus. Pire, les soupçons finissent par la désigner comme la principale suspecte. C’est donc Pilar elle-même qui va mener l’enquête, quitte à affronter ses propres démons. Tout l’intérêt de ce premier roman vraiment réussi est d’entremêler solidement une intrigue originale à un contexte local qui sort des sentiers battus. Martin Solanes, pseudonyme de la romancière française Martine Mairal, connaît intimement Majorque et en restitue formidablement l’âme, les saveurs, les traditions autant que les contradictions – à commencer par l’appât du gain immobilier et le saccage architectural de certains bords de mer. Elle y parvient sans fausse note grâce à des personnages très incarnés, complexes, pleins de cicatrices, au final très attachants. Grâce aussi à une écriture stylée, ni trop basique, ni trop bavarde. Vivement la suite du premier volet de ces Suites majorquines ! D.P.
Quand la lune sera bleue, Flammarion Noir, 340 p.,
Une suite à Millénium ?
Le 12 mai dernier, les éditions Actes Sud annonçaient que 1 153 515 exemplaires des trois tomes de Millénium avaient été déjà écoulés. A cette date, il continuait de se vendre chaque jour 2 000 à 3 000 exemplaires de chacun des volumes signés Stieg Larsson. L’occasion de faire taire les dernières rumeurs autour de ce phénomène littéraire venu de Suède. Décédé le 9 novembre 2004, douze jours après avoir envoyé le troisième roman à son éditeur, l’écrivain avait déjà entamé la rédaction de la suite. Car il ne prévoyait pas une trilogie mais une série, initialement baptisée » Salander « , du nom de son héroïne, Lisbeth Salander. Grâce aux e-mails échangés avec son éditrice, imprimés en tirage limité, on sait depuis que la punkette enquêtrice fut inspirée à Larsson par Fifi Brindacier, personnage légendaire de la littérature pour enfants, créé par la Suédoise Astrid Lindgren. Mais qu’en est-il d’une éventuelle suite à Millénium? Eh bien non, il n’y aura pas de quatrième volume ! Les deux cents pages rédigées (sur sept cents en moyenne par tome) ne suffisent pas selon Actes Sud. S’ajoute un problème juridique : le seul fichier disponible de cet inédit demeure dans l’ordinateur professionnel de Larsson, par ailleurs propriété de la revue antifasciste Expo, dont il était rédacteur en chef. Un disque dur sous haute surveillance car Expo redoute les attaques des néonazis… T.S.
A.F. – C.F. – D.P. – T.S.
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