Carnet d’adresses en page 67.

L’homme y va au culot, c’est une règle. En 1997, Laurent Taïeb écrit à Philippe Starck, designer star, pour qu’il lui dessine le restaurant de ses rêves. Si le second a plusieurs centaines de créations à son actif, le premier, jeune trentenaire, n’a dans son cartable que Le Trésor, un resto à succès du quartier du Marais à Paris, bricolé avec quelques copains. Deux jours après la missive, le gourou répond au débutant, se laisse charmer et concevra bientôt avec lui Bon, un spectaculaire restaurant avec trois salles en cascade, un faux rhinocéros empaillé aux murs et des tables électroluminescentes où l’on mange des menus régressifs appelés  » maman « . Entre-temps, Laurent a pris contact avec Andrée Putman, la célèbre styliste d’intérieur, pour lui proposer de réaliser le Lô Sushi, un drôle de restaurant japonais où l’on mange des portions de poisson cru sur un tapis roulant. A l’époque, c’est une petite révolution dans le paysage de la gastronomie. Le concept fait fureur et l’honorable Laurent Taïeb marque des points. Mieux, en devançant ses concurrents dans la course aux tendances, il s’est acheté une vraie crédibilité.

Premier au box-office, voilà une belle revanche pour cet investisseur pressé qui à 16 ans rêvait de devenir producteur de cinéma. Avec un copain d’enfance, Alain Attal, il fonde d’ailleurs dans les années 1990 les Productions du Trésor, une société qui financera les premiers courts- métrages de l’acteur Guillaume Canet avant de produire avec succès, l’an passé, son long-métrage,  » L’Idole « . Mais Laurent Taïeb, qui ne garde aujourd’hui qu’un £il de producteur associé dans l’aventure, a trop la bougeotte pour se satisfaire du rythme pachydermique propre au montage financier du 7e art. Son truc ? Elaborer dans son coin des restaurants hauts de gamme, ludiques et… rentables. Ses deux dernières productions ont débarqué cet été à Paris. Après Bon 1 et Bon 2 en 2001 (Starck toujours), après Lô Sushi, rue de Berri, en 1999, voici la suite promise : Lô Sushi-Pont-Neuf. Un retour qui n’a de commun avec l’épisode précédent que le nom. Autant le premier opus se déclinait dans une belle variation de bois sombres, autant celui-ci se révèle dans la blancheur électrique d’un futur devenu réalité. Certes, il y a toujours quelques protagonistes au rendez-vous (le convoyeur, les tabourets et l’architecte d’intérieur Andrée Putman) mais question atmosphère, la rupture est complète. Dans cet univers proche de la galaxie manga, les comptoirs en corian couleur glacier éclairés par un flux continu de lumière fluorescente vous projettent dans une troublante ambiance de science-fiction. Pas farouche, Taïeb a équipé chaque place d’un ordinateur et d’un système de communication interne où les clients du Lô peuvent entrer en contact les uns avec les autres. Du bout de leur baguette, les consommateurs effleurent leur écran tactile et  » tchatent  » en direct avec leur voisin de table…  » C’est une façon moderne d’aller au restaurant, explique Laurent Taïeb. Avant on prenait son journal lorsqu’on était tout seul, maintenant on le lit sur l’ordinateur entre deux messages reçus.  »

Dans le même immeuble que Kenzo, mais au 5e étage, notre producteur s’est à nouveau associé avec Starck pour concevoir le Kong. Un fauteuil de style griffé  » Laurent « , en lettres de strass, planté à côté de son homologue griffé  » Philippe  » tient à rassurer la clientèle ; aucun des deux n’a pris la grosse tête. Hypnotisé, comme le Lô par la culture nipponne, le Kong, s’inscrit dans la meilleure veine de son designer qui s’amuse à malmener les codes de la restauration. Cela commence par une console de DJ aménagée sur un meuble d’inspiration Louis XV, se poursuit par un alignement de belles androïdes décalquées sur les dossiers de chaises et se termine par une batterie d’écrans à plasma où le client prend connaissance des résultats de son vote. Car au Kong, on ne se contente pas de choisir entre les saveurs franco-asiatiques de Fumiko Kono (formée chez Alain Passard), on élit d’un même appétit l’un des programmes musicaux réalisés par Béatrice Ardisson, programmatrice en vogue depuis la sortie de ses compils  » La musique de Paris Dernière « . C’est bien connu, au cinéma, la bande originale, c’est capital.

Texte et photos : Antoine Moreno

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