Scoop ! Pour la toute première fois, Franco Dragone dévoile les études vestimentaires de son nouveau spectacle aquatique qui envoûtera Las Vegas dès le 29 avril prochain. Des projets esquissés par le dessinateur Claude Renard et imprégnés de cette féerie poétique déjà palpable dans les ateliers Costumes du groupe Dragone à La Louvière. Reportage en coulisses… et production de mode en prime !

Il a magnifié le Cirque du Soleil en terre québecoise,  » décroché la Lune  » dans son fief louviérois, orchestré la fête pour la présidence belge de l’Union européenne et créé le spectacle de la mégastar Céline Dion à Las Vegas. Entre autres. A 52 ans, Franco Dragone peut se targuer d’être l’un des plus grands magiciens mondiaux de la scène artistique et de la poésie urbaine. Un passeur de lumières et d’émotions sincères qui n’a pas oublié pour autant ses origines modestes. Car c’est dans le Hainaut que ce fils d’immigrés italiens a décidé de revenir, après avoir embrassé la reconnaissance et la gloire internationales. Pour réveiller sa région et l’ouvrir sur le monde, en toute modestie.

Désormais, pour bénéficier du savoir-faire Dragone, il faut en effet s’arrêter à La Louvière, même si l’on est milliardaire et que l’on souhaite investir massivement dans un show titanesque aux Etats-Unis. C’est dans cette commune hennuyère, rue de Belle-Vue très exactement, que les bureaux du maître scénographe trônent sans arrogance. Et il faut franchir le seuil de cet antre du  » Dragon  » pour ressentir pleinement la création ambiante. Pas moins de 76 personnes y £uvrent à temps plein, constamment tournées vers un futur tissé de rêve et d’imaginaire, de talent et de savoir-faire.

Infographistes, chorégraphes, couturières, accessoiristes… tout ce petit monde s’active gentiment dans la concrétisation du dernier projet en date : un spectacle aquatique pour le Wynn Las Vegas, un hôtel de tout grand standing qui sera inauguré dans la capitale mondiale du jeu à la fin du mois d’avril prochain. Les budgets sont tout bonnement étourdissants : ce palace de quelque 3 000 chambres (doté de casinos, de restaurants, de galeries commerçantes et même d’un golf 18 trous !) a nécessité un investissement de près de 2 milliards d’euros, dont 55 millions d’euros consacrés à la conception d’une salle de spectacle inédite et 27 millions d’euros prévus pour la production d’un show censé occuper les lieux pour plusieurs années.

Derrière cette entreprise colossale se cache un homme d’affaires qui incarne superbement le rêve américain : Steve Wynn, 62 ans, promoteur immobilier, 547e fortune mondiale selon le magazine  » Forbes  » et ami de Franco Dragone depuis que ce dernier lui a concocté les spectacles  » Mystère  » et  » O  » pour deux autres grands hôtels de Las Vegas dans les années 1990. Vu le succès phénoménal de ces deux shows qui sont toujours à l’affiche aujourd’hui, il était naturel que la collaboration entre les deux hommes reprenne de plus belle pour ce nouveau défi artistique. Sur les murs du bureau louviérois de Franco Dragone, des images tirées de simulations informatiques donnent déjà un bon aperçu de la majesté du spectacle. Mais attention : interdit de les photographier ! La surprise doit être totale pour les 2 200 personnes qui assisteront à la première le 29 avril prochain et surtout pour l’épouse de Steve Wynn qui fêtera son anniversaire ce jour-là. Joli cadeau en perspective…

Sacré Dragone

D’un réalisme surprenant, ces photos virtuelles plongent immédiatement le spectateur dans l’onirisme et l’admiration. Installé à 360 degrés autour d’un vaste bassin de 20 mètres de diamètre, le public découvre des créatures fantastiques qui plongent, volent et virevoltent en se moquant des lois de la pesanteur. Au-dessus de lui, une vaste coupole garnie des 6 écrans vidéo surdimensionnés sert de relais poétique sur le monde extérieur. Les atmosphères sont irréelles mais rassurantes et fascinantes. L’histoire ?  » La thématique qui a inspiré le spectacle est la relation au sacré dans un sens très large sans être lié à une religion en particulier, confie Franco Dragone. Moi, je suis tout à fait athée, mais comme on assiste aujourd’hui à des prises de position de plus en plus intégristes au nom des religions, j’avais envie de développer l’idée de la vraie relation au sacré. Le show repose donc sur des tableaux qui évoquent cette relation-là et sur le fait que l’homme est capable du meilleur comme du pire. C’est un peu ça le thème sous-jacent du spectacle.  »

Pour illustrer son propos, le scénographe a choisi de découper son show aquatique en une douzaine de tableaux baptisés  » les grosses pierres « . Une métaphore qui indique clairement que le public sera guidé d’une rive à l’autre, passant de tableau en tableau, de pierre en pierre, pour construire finalement sa propre histoire au cours de cette traversée spectaculaire. Pour Franco Dragone, le costume se révèle primordial dans cette odyssée du xxie siècle :  » Comme il n’y a pas beaucoup de décors dans ce spectacle, j’ai choisi de travailler surtout sur des corps, précise-t-il. Dans cette logique, le costume est fondamental parce qu’il va nous ouvrir des portes vers des personnages et des univers qui peuvent raconter des histoires. Donc, il est vraiment la matière première. Personnellement, je n’avais pas envie que les costumes du show fassent penser à quoi que ce soit de déjà-vu. Le plus gros défi de Claude Renard, le concepteur des costumes, était donc celui-là : créer des silhouettes qui n’aient pas d’étiquette ni aucune référence à un vêtement d’époque ou à la science-fiction. Je ne voulais surtout pas que l’on puisse dire :  » Ah oui, c’est inspiré de ceci ou de cela.  »

De fait, les dessins que l’on découvre au fil de ces pages dégagent leur propre singularité. Femmes fleurs, hommes plantes, danseuses étranges, guerriers improbables, anges et démons, la panoplie est impressionnante et l’originalité réelle. Les esquisses ne sont évidemment qu’un aperçu très réducteur des silhouettes définitives que l’on verra au spectacle, mais elles suggèrent déjà à merveille toute la magie qui imprégnera les artistes voltigeurs.  » J’avais envie de travailler avec des Belges et de renouer avec la région, se souvient Franco Dragone. J’ai donc approché le dessinateur Claude Renard que je ne connaissais pas très bien et, avant de lui parler du spectacle, je l’ai amené avec moi à Las Vegas pour lui montrer ce que j’avais fait. Il a vu  » O  » et il a été convaincu que nous devions travailler ensemble. Je lui ai donné quelques pistes, des images et des tableaux très approximatifs. Il est venu ensuite avec une première génération de dessins et à partir de là, nous avons commencé à discuter. Il y a eu un dialogue permanent car le plus important pour moi était de découvrir son univers. En vérité, mon travail consiste surtout à aller chercher le meilleur chez les gens. Il est important que cela vienne d’eux. Sinon, à quoi ça sert de travailler avec un créateur si c’est pour lui demander uniquement d’exécuter des choses ? »

La troisième dimension

Encerclée de dessins et d’étoffes en tout genre dans son bureau louviérois, Janet Grant, la responsable de la production des costumes, se souvient avec le sourire des premières contraintes liées à la réalisation des tenues. Car le rôle de cette Canadienne désormais installée en Belgique est précisément de veiller à faire passer une silhouette couchée en deux dimensions sur le papier dans le monde beaucoup plus complexe de la troisième dimension. Avec, bien sûr, toutes les prouesses techniques qu’un tel exploit suppose : liberté de mouvement pour les acrobaties, qualité du tissu et compatibilité avec le milieu aquatique, identification immédiate du personnage,…  » Je suis le lien entre le dessin de Claude Renard et la création réelle du personnage pour le spectacle, précise Janet Grant. Evidemment, le concepteur des costumes donne l’impulsion première à l’atelier de confection, mais le rôle de mon équipe est d’inspirer aussi Claude Renard dans l’évolution de ses silhouettes en raison des problèmes précis sur lesquels nous attirons son attention.  »

Dans le couloir principal de l’atelier Costumes, un grand panneau témoigne d’ailleurs de ce souci permanent à vouloir concilier technique et esthétique. Pour la réalisation des silhouettes, des tissus commandés aux quatre coins de la planète ont ainsi subi le  » test de la piscine « , comme le précise le chef d’atelier Joseph Taibi :  » Chaque tissu retenu pour son aspect pratique et/ou esthétique doit d’abord prouver ses réelles qualités techniques avant d’être introduit dans le processus de fabrication du costume proprement dit, commente- t-il. Un morceau de tissu est donc plongé pendant 48 heures dans l’eau de la piscine et est ensuite épinglé juste à côté d’un échantillon témoin du même tissu qui n’a pas subi cette immersion. Si les deux morceaux sont identiques après le test, nous gardons le tissu. En revanche, si la texture a souffert ou si la couleur n’est plus la même, le tissu n’est pas retenu.  »

Grandeur nature

Vient ensuite le stade de la confection proprement dite. Dans les locaux de la société Dragone, l’atelier Costumes couvre tout un étage du bâtiment et se répartit entre différents pôles créatifs : l’atelier Chaussures où il faut concevoir des modèles allant des pointures 35 à 48 ; l’atelier Chapeaux pour les coiffes, les casques et les masques ; les ateliers Accessoires  » moulage  » et  » non moulage  » pour les parures qui dépassent la stricte création textile ; le département Sérigraphie et Peinture qui réalise, grâce aux pigments de base, des couleurs spécifiques ; un salon d’essayage avec éclairage de scène et perspective idéale grâce à un double jeu de miroirs ; et enfin, le saint des saints, l’atelier Confection où le costume proprement dit prend enfin son envol. Là, une dizaine de modélistes et une dizaine de couturières s’évertuent à donner forme, le plus fidèlement possible, aux dessins du concepteur Claude Renard, sur les instructions de Janet Grant, responsable de la production. Une tâche pas toujours facile, comme le reconnaît Marieve Schiettecatte, l’une des employées du groupe Dragone qui porte le titre officiel de coupeuse :  » Le plus difficile, c’est de trouver le bon volume et la justesse à tout point de vue, reconnaît cette jeune femme de 29 ans qui a travaillé jadis sur les costumes de Céline Dion. Il y a toujours une interprétation personnelle par rapport à un dessin à plat et le plus dur est justement de rester en accord avec l’idée de base tout en s’adaptant aux contraintes techniques. On discute, on livre un premier volume, on travaille sur la matière, on ajoute les couleurs et puis, il y a seulement un premier essayage sur l’artiste retenu pour porter le costume. C’est assez captivant même s’il arrive parfois qu’une maquette sur laquelle on a travaillé ne soit finalement pas reprise !  »

Depuis quelques jours, Marieve se trouve à Las Vegas pour les répétitions  » grandeur nature  » du spectacle et les retouches nécessaires aux vêtements. Elle voit enfin les costumes portés en situation réelle dans une chorégraphie aussi subtile que musclée. Pour ce show inédit, 70 artistes ont en effet été réquisitionnés pour un contrat de trois années minimum (évidemment renouvelable si cette superproduction emprunte la même voie du succès que les autres spectacles de Dragone toujours installés à Las Vegas) et tous proviennent essentiellement du milieu olympique. Majoritairement américains, canadiens, polonais et français, ces athlètes de haut niveau ont vécu pendant cinq mois dans le Hainaut avant de s’envoler, au début de cette année, vers les Etats-Unis, direction la capitale mondiale du jeu. Entre la piscine de Houdeng près de La Louvière et le bassin installé dans le hall multifonctions de Mons Expo, ils ont passé leur brevet de plongée, se sont essayés à l’art du cirque, répété minutieusement chaque tableau de ce nouveau show aquatique et surtout découvert une région dont ils ignoraient jusque-là l’existence.

A douze semaines du Jour J, ces artistes très sportifs ont désormais pris possession du Wynn Las Vegas pour les ultimes répétitions de ce show d’ores et déjà mythique. Objectif de Franco Dragone dans cette ville hors du commun qui accueille chaque année près de 40 millions de touristes : séduire plus de 2 000 personnes 2 fois par jour, 5 jours par semaine, durant plusieurs années. Irréaliste ? Quand on arrive à décrocher la Lune, un tel pari terrien n’a vraiment rien d’impossible…

Frédéric Brébant

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