Les rêves de Leïla

© CAROLE BELLAICHE

Elle a oeuvré plus de cinquante ans à la scénographie des vitrines Hermès. Une exposition au Grand Palais, à Paris, rend hommage à ses compositions fantasmagoriques. Elle voulait frapper au coeur, pari gagné. Ce qu’il faut savoir de Leïla Menchari.

L’enfance tunisienne

Elle dit que les frontières sont des cicatrices de l’histoire, que sa terre natale, la Tunisie, a vu se succéder et s’emmêler tissé serré les civilisations, qu’elle est riche de ces strates culturelles, elle se sait le fruit d’une hybridation méditerranéenne ; elle en fera sa source inépuisable d’inspiration. Leïla Menchari voit le jour en 1927 au sein d’une famille qui n’a rien d’ordinaire : un père avocat qui lui apprend à boxer, une mère greffière au tribunal qui lui montre la voie, cette petite-fille du dernier sultan de Touggourt est l’une des premières Tunisiennes à oser enlever son voile.

Le jardin des merveilles

A 11 ans, elle découvre par hasard le jardin sublime d’un couple d’esthètes, Violet et Jean Henson, qui côtoient Luchino Visconti, Jean Cocteau, Diego Giacometti, Serge Lifar. C’est là qu’elle comprend soudain ce qui déterminera son parcours sur cette planète : la beauté et la liberté. A l’exacte image de ce bout de paradis à la fois anarchique et construit, de cette jungle folle où des paons blancs se pavanent, où les rosiers grimpent à l’assaut des palmiers tandis que s’épanouissent les daturas exubérants et les nénuphars bleus du Nil.  » Je suis entrée dans la rareté par ce chemin-là.  » Leïla Menchari se constitue pour la vie des souvenirs d’une féerie ravageuse, qui sentent le citron et le jasmin, un bagage formel et émotionnel saisissant, un souffle puissant qui animera sa destinée, ses créations, ses mises en scène des vitrines d’Hermès.

La rencontre décisive

En 1961, elle frappe à la porte du 24, rue du Faubourg Saint-Honoré, son carton à dessins sous le bras. Elle a étudié les beaux-arts à Tunis puis à Paris, rencontré le couturier Azzedine Alaïa avec qui elle économise sur les repas pour pouvoir aller au cinéma, défilé pour Guy Laroche et enfin décidé  » d’arrêter de faire le clown sur un podium, de reprendre les pinceaux « . Annie Beaumel, directrice des vitrines de la maison Hermès, jette un oeil pressé sur ses croquis et l’invite sur le champ à  » dessiner ses rêves  » pour cette dernière. L’Orientale entre chez les protestants, la greffe prend.  » J’ai acquis la rigueur et la discipline, dira-t-elle, et bénéficié d’une largesse d’esprit, de beaucoup de générosité et d’un grand respect. Hermès a été le plus beau piège de ma vie.  » En 1978, elle est nommée à la tête des devantures du magasin amiral et du Comité couleur de la soie, qui veille notamment à la destinée de l’iconique carré.

L’imagination débridée

 » Quand on fait un décor, il faut qu’il y ait toujours du mystère, c’est un tremplin pour le rêve. Il incite à combler par l’imagination ce qui n’est pas révélé.  » En plus d’un demi-siècle, quatre fois par an, Leïla Menchari, qui a horreur de la banalité et aspire à la perfection, a orchestré dans les vitrines Hermès des voyages imaginaires. Avec cette exubérance tout sauf décorative, elle a fait surgir des mondes rêvés et follement désirés – vestiges égyptiens, sérail byzantin, jungle mexicaine, savane africaine -, des univers fantastiques traversés de préférence par des griffons et des paons, des papillons bleus et des aras insolents. Entre les marbres, les dorures, les soieries et les cuirs, des sacs, des foulards, des accessoires siglés qu’il faut parfois chercher. On ne s’étonnera pas que Jean-Louis Dumas, alors président de l’ancestral sellier, lui confie un jour :  » Elle est magnifique ta vitrine, mais il n’y a rien à vendre. « . Réponse de Leïla Menchari :  » Ce n’est pas pour vendre, c’est pour rêver.  »

L’hommage

La créatrice de l’ombre a eu droit à un documentaire signé Josée Dayan, M par M, pour Menchari par Moreau, avec la voix de Jeanne en fil conducteur, et à une première exposition parisienne titrée Orient-Hermès, voyages de Leïla Menchari, à l’Institut du monde arabe, en 2010. Celle que son ami Michel Tournier a baptisée la Reine Mage trône aujourd’hui au Grand Palais, en filigrane, par le truchement de ses mises en scène qui ont compté. Un hommage à tire-d’aile.

Hermès à tire-d’aile – Les mondes de Leïla Menchari, Grand Palais, galerie sud-est, à 75008 Paris. Du 8 novembre au 3 décembre prochain.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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