Les saveurs sortent du terroir
Qu’elle soit poularde, chapon ou pintade, la volaille de nos campagnes se montre noble et variée. Anik Brasseur, éleveuse à Piétrebais dans le Brabant wallon, raconte son combat au service de la saveur.
» Je suis sur tous les fronts : j’élève, je planifie les lots, je prends des décisions et je suis en contact avec les clients. C’est ça qui me plaît. » Anik Brasseur témoigne avec ferveur de son métier. Pendant que parle cette ancienne enseignante, le regard glisse par hasard vers ses pieds. Van Gogh n’est pas loin… Cette femme à la voix douce est campée sur deux solides godillots. Des chaussures au cuir ridé qui, à elles seules, racontent une vie de passion. En les observant, on devine tout : les doutes, les peines, les joies. Pas besoin d’être peintre pour mesurer toute la force d’évocation de ces chaussures. En creux, on y lit un véritable sacerdoce rythmé par les travaux et les jours. On imagine Anik au petit matin froid, assise devant un bol de café fumant. On la voit filer vers les champs… Alors que le soleil se lève à peine, ses pas s’enfoncent dans le sol humide. On devine également que les godillots ont connu les soleils de plomb et les ciels sans nuages. Humbles et fidèles, ils sont le symbole le plus emblématique de l’amour de la femme et de la terre. De la femme et du terroir.
Une reconversion audacieuse
Logée dans un recoin du village de Piétrebais, la ferme d’Hacquedeau découpe aujourd’hui sa silhouette sur fond d’azur. Encerclée par les champs, ses tuiles sommeillent au soleil. Le printemps sort enfin de sa tanière et c’est toute la nature qui se réjouit. Il se répand comme une traînée verte. Fleurs et bourgeons donnent la direction à suivre. Au bout d’un chemin de campagne, l’imposante arche qui mène dans la cour salue le visiteur. A droite, quatre grands chiffres informent quant à l’ancienneté des lieux : 1669. La ferme possède aussi ses seigneurs : deux grands terre-neuve épris de liberté trimbalent leurs longs poils noirs au soleil. Ils aboient pour un rien. Mais ici il n’y a que l’écho pour les inviter au silence.
» Cela fait cinq ans que l’on s’est mis à la volaille, explique Anik. Cela n’a pas été facile au début. Mon mari et moi élevions du bétail. Mais avec les premiers problèmes liés à la crise de la vache folle, on a pensé qu’il valait mieux changer notre mode de fonctionnement. » Un choix épineux lorsqu’on sait que le bétail représente une valeur cruciale du monde rural. » Difficile de faire comprendre une telle décision aux parents de mon mari, confie Anik. Les anciennes générations vivent cela comme une trahison par rapport au métier de fermier. «
Mais les crises successives donnent raison à Anik et Joseph Brasseur. » On a bien réfléchi avant de se lancer dans une nouvelle aventure, poursuit Anik. On voulait un projet rentable, qui soit de taille humaine, qui privilégie la qualité par rapport à la quantité et, surtout, qui s’inscrit dans un mouvement de retour au goût véritable des aliments. On pressentait bien qu’il y avait une demande pour cela. Du coup, produire de la qualité en sachant que les gens vont l’apprécier s’avère extrêmement motivant. On a commencé tout petit, je recevais les gens dans ma cuisine. Mais l’engouement était là. «
Anik a suivi une formation en aviculture et a été épaulée par un technicien avicole pendant un an. » Au départ, c’était angoissant, dit-elle. Mais c’est devenu une véritable passion. Toutes ces responsabilités m’ont permis de m’épanouir et de trouver ma place dans la ferme. Il est regrettable que souvent les fermières n’aient pas la possibilité de s’investir dans un projet propre. «
Mais Anik ne se limite pas seulement à appliquer ce qu’on lui a appris. Elle innove. C’est ainsi qu’elle s’est lancée dans l’élevage de pintades en plein air: un élevage reconnu par la Région wallonne comme Centre de référence et d’expérimentation. Pour les abris dans lesquels évolue sa volaille, Anik n’a pas voulu céder à la facilité. Elle s’est même rendue en France pour acquérir des modèles qu’elle voulait mobiles et intégrés au paysage.
Un projet cohérent
Anik achète les poussins quand ils ont un jour. Après commence une gestion rigoureuse des lots qui se doit de répondre à un cahier des charges précis. Anik a choisi d’exploiter un élevage dans des conditions strictes lui permettant de revendiquer le label de » volailles de chair « . Pour cela, trois conditions doivent être réunies: choisir une souche de volaille à croissance lente; assurer une alimentation composée de 75% de céréales et garantie sans antibiotique, ni farine d’origine animale, ni ajout de graisse; disposer d’un environnement naturel avec parcours herbeux. Anik avoue toutefois ne pas » courir » à tout prix derrière les labels. Elle a dédaigné celui de » bio » parce qu’elle estimait qu’il ne garantissait pas pour autant son sacro-saint credo du goût.
La ferme d’Hacquedeau produit quatre sortes différentes de volaille : les poulets, les pintades, les chapons et les poulardes. Chacune d’entre elles possède ses particularités et ses caractéristiques gastronomiques.
Plus communs, les poulets appartiennent à la race des » Cou nu « . Assez rustique, celle-ci a la particularité d’être résistante aux maladies. Ce détail est important dans la mesure où le cahier des charges européen proscrit tout traitement médicamenteux. Les » Cou nu » ont une chair particulièrement tendre qui leur confère un goût assez fin. Ils sont élevés pour une période qui oscille entre 12 et 14 semaines. A titre de comparaison, un poulet standard, élevé à l’intérieur et le plus souvent en » batterie « , est abattu 42 jours après sa naissance. Soit la moitié du temps.
Les pintades, plus racées, se distinguent par un goût plus sauvage qui rappelle celui du gibier. Il s’agit d’une viande riche en protéines et peu calorique, elle est naturellement pourvue en vitamine E, en fer et en calcium. La pintade fermière est élevée en plein air et est abattue à 94 jours. Son poids avoisine alors 1,6 kg. Anik élève des pintades pour répondre à la demande des fêtes de fin d’année.
Les chapons, eux, sont des coqs que l’on castre après 2 mois. En raison de leur vie plus » tranquille « , ils acquièrent une chair plus fondante. A la fin de l’élevage, ils pèsent entre 3,5 et 4 kg. Pour beaucoup de consommateurs, ils constituent le » must » en matière de volaille.
La poularde est, quant à elle, une jeune poule qui ne pond pas encore. Elle est élevée durant 17 semaines. Elle offre une viande diététique, riche en matière azotée, pauvre en graisse et cholestérol. » De nombreuses personnes veulent absolument du chapon, alors que la poularde, grâce à la graisse qu’elle emmagasine, a une excellente longueur en bouche, précise Anik. Il y a parfois là une injustice gastronomique. «
Mais au-delà de toutes les particularités propres aux espèces, l’aspect saisonnier de l’élevage de la volaille fermière est délicat à gérer. » On travaille par lots de 600 poussins, explique Anik. Il n’est pas facile de coordonner les différents temps d’élevage relatifs aux espèces. Avec le temps cette gestion est devenue plus aisée. Je me souviens d’avoir été beaucoup plus angoissée à mes débuts. Le premier Noël où l’on avait vendu notre volaille, je me rappelle avoir été terrorisée par la responsabilité qui était sur nos épaules : des centaines de personnes consommaient nos produits pour les fêtes. «
D’autres horizons
La ferme d’Hacquedeau possède une petite pièce au charme magique. C’est l’endroit où Anik a choisi d’installer son magasin. Un jour par semaine, le samedi, elle se consacre entièrement au contact avec le client.
Et pourquoi pas une table d’hôte? Anik en rêve. Mais, malheureusement, le temps lui manque… La jeune femme évoque alors le goût des ailes de poulet caramélisées au barbecue. Ou les accords inédits avec les épices. Anik éprouve un plaisir inlassable à partager son enthousiasme. Elle empile les livres de recettes pour donner de l’imagination à ses clients et aiguiser les appétits des citadins en quête de nouveautés. Elle ouvre bien grand les portes des saveurs. Elle répète aussi les gestes simples – pourtant si souvent oubliés – qui permettront de partager un poulet. En famille. Ou entre amis. Le temps d’une pure communion gastronomique au goût authentique.
Carnet d’adresses en page 84.
Prochain thème dans notre numéro du 22 juin: le poisson.
Michel Verlinden Photos : Philippe Saenen
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