Les micro-organismes qui peuplent le fond des mers, des lacs et des rivières ont développé au fil du temps des mécanismes de défense exceptionnels. De plus en plus de marques de cosmétiques entendent bien mettre ces armes fatales au service de la peau. Explications.

Il faut bien se rendre à l’évidence. L’homme a beau avoir sauté à pieds joints sur la Lune, envoyé des sondes sur Mars et saturé l’espace de satellites en tous genres, les fonds aquatiques lui restent encore inconnus. Recouvrant 71 % de la surface terrestre, sources, lacs, rivières et océans, qui parfois plongent jusqu’à 11 kilomètres de profondeur, débordent d’une vie qui ne nous est pas si étrangère finalement quand on sait que, comme tout ce qui vit sur Terre, nous venons de l’eau et que notre corps en est constitué pour une part essentielle.  » Il y a de fortes raisons de penser que les molécules extraites de plantes marines sont plus proches, en termes d’évolution, de celles de l’homme que de celles des plantes terrestres, assure Bernard Kloareg, directeur de la Station Biologique de Roscoff, en Bretagne. Les cellules humaines pourraient reconnaître ces molécules plus facilement que les fragments extraits de végétaux. « 

L’hypothèse séduit en tout cas de nombreuses marques – La Mer, Biotherm, Phytomer, Phytocéane ou encore Iroisie – aux noms plus évocateurs les uns que les autres. Toutes surfent sur la vague bleue en partant du même constat. Les micro-organismes qui peuplent les mers survivent pour une bonne part dans des conditions environnementales extrêmes : pollution, stress mécanique des vagues, attaques bactériennes constantes, températures pouvant descendre jusqu’à – 40 °C et monter jusqu’à 70 °C, absence de lumière ou au contraire attaques frontales des UV… Tout comme les algues, ils ont développé des mécanismes de défense complexes pour éviter de geler, de brûler, pour filtrer les rayons et empêcher les toxines de pénétrer dans leurs cellules. Autant de bottes secrètes que les chercheurs en cosmétologie entendent étudier de près pour mieux les mettre au service de la peau.

Chez Biotherm, cela fait soixante ans que le Vitreoscilla filiformis – rebaptisé plancton thermal pour les profanes – issu des sources thermales de Molitg-les-Bains entre dans la composition des produits. En 2012, la marque a décidé de se recentrer sur son ADN aquatique ( lire en page 46) en lançant trois nouveaux soins construits autour d’un ingrédient marin phare au nom savant mais à l’action facile à comprendre. Ainsi, le micro-organisme P.antartica confronté, comme on l’imagine aisément, à des températures dignes de l’époque glaciaire produit en réaction à ce milieu hostile une glycoprotéine  » anti-gel  » que l’on retrouve aussi dans les formules anti-âge de la marque Polaar. En bout de course, les réserves naturelles en eau de cette minuscule trace de vie ne gèlent pas et la formation de cristaux de glace susceptibles de détruire ses membranes cellulaires est bloquée. Ces capacités naturelles à retenir l’eau en font un allié majeur dans la lutte contre la déshydratation de la peau qui peut voir s’évaporer ses réserves jusqu’à quatre fois plus vite la nuit que le jour. Dernière-née de la gamme Aquasource, la texture fraîche de la Gelée Hydratante Haute Densité enrichie en huile de soja se transforme en baume nourrissant spécial nuit au contact de l’épiderme.

Même topo pour la nouvelle ligne Pure-Fect Skin mais cette fois, c’est une macro-algue brune savamment prénommée Laminaria digitata qui distillera dès le début du mois de mai ses vertus antibactériennes dans cinq produits – gel nettoyant, lotion, gelée hydratante, roller anti-boutons et savon scrub – destinés aux peaux plus grasses. Soumise à l’assaut incessant des vagues et des courants, la macro-algue Laminaria ochroleuca, capable d’augmenter sa fermeté en se rigidifiant, dope désormais les capacités tonifiantes et raffermissantes de la crème corps Firm-Corrector.

 » La fascination qu’exercent les produits à base d’ingrédients marins est assez primale finalement, constate Dimitri Mouton, responsable du département Haute Cosmétique chez Senteurs d’Ailleurs, à Bruxelles. C’est sans doute lié à l’image que l’on se fait du fond des océans. Les gens se disent que ce qui vient de la mer est forcément riche en minéraux. Cela nous ramène à nos origines. À la base même de la vie. Et certaines marques, comme La Mer, par exemple, jouent la carte du mystère. Les arguments avancés ne sont pas rationnels : il est question d’un « bouillon miraculeux » ( NDLR : l’expression Miracle Broth? est même protégée) que l’on retrouve dans toutes les formules et dont on se garde bien de révéler dans le détail la composition et le procédé de fabrication.  » Une recette qui fait mouche quand on voit le succès de cette gamme premium qui vient encore d’élargir son offre en lançant une toute nouvelle Émulsion Régénérante Corps tellement hydratante qu’il n’est pas nécessaire de l’appliquer tous les jours.

Chez Helena Rubinstein on n’hésite pas non plus à parler de prodige lorsque l’on évoque l’incroyable robustesse de la criste océanique, une algue millénaire capable de survivre sur les rochers et sur les sols saturés de sel et dont les cellules souches extraites par biotechnologie aident à la reconstruction de la barrière cutanée, prévenant ainsi la déshydratation et l’apparition précoce des premières rides et ridules. Quant à Givenchy, ses laboratoires ont mis en évidence les propriétés d’une  » algue millénaire au mystérieux don de survie « . Les chercheurs français ont réussi à isoler les molécules actives qu’elle renferme pour en soutirer un extrait aussi black qu’elles. Après le Soin Noir et le Soin Noir Yeux, deux luxueux anti-âge à la couleur aussi troublante que singulière dans un monde où les galéniques ivoire, voire pastel restent toujours la norme, Givenchy propose désormais un sérum doux et frais qui diffuse sur le visage un éclat irisé.

Lancée en 2011 sur le marché belge, la marque niche Apot-Care s’appuie quant à elle sur les vertus anti- oxydantes d’une algue préhistorique rouge – la crème l’est tout autant – de l’archipel d’Hawaï. Ici aussi, on remonte aux sources de l’humanité avec en toile de fond la beauté des plages du Pacifique. Cette part de rêve exotique, on la retrouve également dans le nouveau gommage corps de la gamme Phytocéane qui fait appel aux pouvoirs du sable de Bora-Bora. Des particules exfoliantes qui complètent l’action de l’ingrédient pilier de la gamme, le Jania Rubens, un corail végétal orangé récolté et cultivé de manière durable en Bretagne. C’est d’ailleurs pas bien loin de cette Baie du Corail, en mer d’Iroise, cette fois, qu’Anne Bontour, l’ex-top devenue créatrice de la ligne de soins bio Iroisie, vendue chez La Feuille, à Bruxelles, que sont cultivées les algues – encore elles -, entrant dans la composition de ses formules.  » Le milieu marin est l’élément naturel le plus proche de notre organisme, insiste- t-elle. Les ingrédients issus de la mer d’Iroise, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, présentent une très bonne tolérance par la peau et le respect absolu de la vie cellulaire. « 

La marque de luxe La Prairie, parlant de sa collection Biologie Marine Avancée, n’hésite pas, pour sa part, à comparer la peau à un  » écosystème holistique aussi fragile que l’écosystème marin  » pour la protection duquel elle déploie des efforts considérables en n’intégrant dans ses produits que des plantes marines cultivées – algues, laminaires, lichens… – combinées à une eau de mer purifiée. Un discours durable prôné aussi par Phytomer qui s’ingénie depuis sa création, en 1972, à développer des procédés d’aquaculture durable. Toutes les marques  » marines  » en sont d’ailleurs convaincue : si les océans regorgent de richesse, ils ont surtout besoin de protection. Un engagement qui figure d’ailleurs dans le cahier de charge de la plupart d’entre elles et qui se traduit, chez La Mer, par un don annuel de 150 000 euros à l’organisation Oceana qui lutte pour la préservation des habitats marins récoltés par la vente d’une édition limitée de sa Crème de la Mer.

PAR ISABELLE WILLOT

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