Barbara Witkowska Journaliste

Des nouds coquins, des rubans en satin, des laçages sexy et des dentelles précieuses… La jeune créatrice Alexandra Neel s’inspire des  » dessous chics « , pour dessiner des escarpins-bijoux, d’une finesse et d’une féminité sublimées.

Carnet d’adresses en page 114.

Alexandra Neel travaille chez elle. Elle nous reçoit donc dans son élégant appartement parisien, noir et beige, contemporain et graphique. Tout est impeccablement rangé. Ravissante, très souriante, filiforme en jeans et top minimaliste, la jeune créatrice évolue avec la grâce d’une danseuse sur des talons aiguilles de 10 cm, sa propre création, bien entendu. Elle prépare du thé, puis revient les bras chargés des échantillons de la collection automne-hiver 04-05. On s’installe confortablement sur la moquette beige du salon pour admirer ses petites merveilles d’escarpins très sexy. Le point fort de la saison ? Des jeux de matières. Python, lézard et croco n’hésitent pas à flirter avec des n£uds ou des rubans de satin, des ganses soyeuses et des dentelles arachnéennes. Le veau verni se pare de petites fleurs Liberty. Un lierre en métal cuivré grimpe sur le talon. Le travail sur le cuir est remarquable. Il est croqué, perforé ou associé à des talons  » lamé cuir  » et des n£uds. Très innovant, ce mariage du cuir et du cachemire, agrémenté d’anneaux de métal, construits comme des porte-jarretelles. Et toujours, le modèle Gisèle, le grand best-seller qui a propulsé, en 2001, le nom d’Alexandra dans les magazines les plus chics du monde entier. C’est un escarpin classique de lignes absolument parfaites, orné à l’arrière et sur le talon d’un laçage inspiré du corset. Devenu incontournable, il est reconduit, chaque saison, dans de nouveaux coloris. Pour la toute prochaine saison, Alexandra a décliné une belle palette cognac, taupe, vert d’eau, pétrole et vieux rose. Au total, 65 modèles vont chausser les pieds des élégantes à New York, Tokyo et Paris, sans oublier quelques stars, dont Cameron Diaz et Madonna, adeptes inconditionnelles.

Quel chemin parcouru depuis trois ans, lorsque Alexandra a commencé sa carrière de créatrice de souliers, très modestement, avec seulement 8 modèles ! La chaussure ? Ce n’est pas sa vocation première.  » A l’âge de 8 ans, ma mère m’a inscrite à l’école de danse de l’Opéra de Paris, confie-t-elle. C’est tôt. En général les filles commencent à 10 ans. La danse, c’était le rêve de ma mère, mais ses parents l’ont empêchée d’aller au bout de sa passion. Je pense que ma mère a tout projeté sur moi. Cela dit, enfant, j’étais extrêmement timide et m’exprimer avec mon corps me convenait bien.  » Alexandra tient le coup pendant dix ans. Une discipline de fer, une rivalité terrifiante et des jalousies féroces ont raison de sa personnalité délicate. Elle arrête tout à 18 ans. Avec le recul, elle reconnaît toutefois avoir été à bonne école pour apprendre la rigueur, le travail, la patience et le respect. Après le bac, elle s’inscrit à l’Institut supérieur des Arts appliqués et reçoit une formation générale qui peut lui ouvrir les portes de la pub, de la mode ou de la déco.  » Je dessinais très bien, poursuit Alexandra, et j’avais envie d’aller sur le terrain. J’ai envoyé mon CV chez Celine et ils m’ont engagée sur le champ.  »

Pendant deux ans, la demoiselle dessine des accessoires et se rend rapidement compte qu’elle a une passion pour les chaussures.  » Il y a sûrement un rapport avec la danse, embraye Alexandra. J’ai toujours été extrêmement exigeante et pointilleuse dans ce domaine. Je faisais faire mes ballerines sur mesure chez Repetto, en accordant une importance extrême au moindre petit détail.  » Après Celine, elle enchaîne de longs stages chez Balenciaga, puis chez Nina Ricci. En 2001, elle se sent prête pour lancer sa propre collection.  » Je ne connaissais rien sur le plan technique. Tant mieux. J’ai pu donner libre cours à mon imagination.  » Commence alors la recherche, parfois fastidieuse, d’un fabricant. Beaucoup de portes se ferment… Et puis, en voici une qui s’ouvre toute grande. Le fabricant Delage, à Fougères, est prêt à lui donner un coup de main. Le seul hic ? Delage fabrique pour Chanel et ne peut lui proposer que des peaux… noir et crème ou crème et noir. Alexandra accepte avec joie et dessine huit modèles, tous inspirés de la lingerie, dont le fameux modèle Gisèle, escarpin simple et classique, sur talon aiguille droit, inspiré du corset et orné d’un laçage à l’arrière de haut en bas. Il sera décliné en différentes versions : tout noir, tout crème ou encore tout noir avec l’arrière crème ou tout crème avec l’arrière noir. Dans un autre modèle, appelé String, un  » string  » noir perforé est appliqué à l’arrière d’un escarpin, noir ou crème.

Sa collection sous les bras, Alexandra loue un minuscule stand de 4 m2 au Salon Première Classe. Mille paires seront vendues, un record !  » C’était un grand challenge mais, heureusement, l’usine a suivi, sourit la jeune créatrice. Il est vrai que la palette réduite de couleurs a facilité les choses…  » Les collections suivantes sont toujours aussi raffinées, de plus en plus sophistiquées. Elle pousse ses idées de plus en plus loin. Le modèle String est traité en version métal, Gisèle est décliné en botte chocolat et orange. S’inspirant des Riva, les superbes bateaux des milliardaires, elle ajoute des talons aiguilles en acajou. La vraie dentelle fait son entrée dans certains modèles. Et maintenant, le cachemire, le lézard, le croco et le python. Aujourd’hui, Alexandra fait fabriquer ses modèles à Venise et à Florence. La grosse partie de sa clientèle, 70 %, est new-yorkaise. Le Japon occupe la deuxième place. Il n’y a qu’un seul point de vente en Europe, chez Biondini à Paris, sur les Champs-Elysées. La femme européenne, elle, se montre encore timide devant ses souliers d’une finesse extrême, conçus comme des objets d’art.  » Je sais, je sais…, s’exclame Alexandra en riant. On me le dit souvent que mes chaussures sont tellement délicates et précieuses que les femmes n’osent pas les mettre. Pourtant, je vous assure que ce sont des chaussures faites pour marcher tous les jours. Elles ne me quittent jamais.  » Cela dit, Alexandra a fait quelques concessions. Pour l’été 2005, il y aura des talons plus raisonnables (4 cm) et même… des mocassins. D’un raffinement et d’un chic fou.

Barbara Witkowska

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