Créé il y a trois décennies par Yves Saint Laurent, ce parfum révolutionna son époque et a su rester, année après année, au top des ventes. Voici la saga de ce mythique succès cosmétique et, en exclusivité, les coulisses de sa nouvelle campagne publicitaire.

Septembre 1977, avenue Marceau, à Paris, dans les salons de réception de sa maison de couture, Yves Saint Laurent lance une bombe. L’objet s’appelle Opium, c’est un parfum (son quatrième à l’époque), et cela fait un an et demi qu’il y travaille avec obstination, sans savoir, toutefois, quelle intense et pérenne déflagration il va provoquer dans l’univers feutré de la cosmétique. Le nom, le flacon, le jus : pas un élément qui puisse laisser indifférent, et pas un point sur lequel il ne se soit battu pied à pied. A la suite de ses collections de couture de l’époque, qui magnifiaient l’Orient et la Russie, le créateur veut concevoir, selon ses propres mots, le  » parfum de l’impératrice de Chine « , mais de là à oser le baptiser  » Opium « , et cela alors que la branche parfums de la maison appartient précisément aux laboratoires américains Squibb, connus pour leur lutte antidrogue : il y a là comme une véritable inconscience… à moins qu’il ne s’agisse d’une totale provocation ?

 » Ce qui est certain, raconte Chantal Roos, présidente d’Yves Saint Laurent Beauté (qui était déjà dans la maison à l’origine du projet), c’est qu’il serait sans doute impossible aujourd’hui de faire un lancement si osé, si politiquement incorrect. Et d’ailleurs, ajoute-t-elle, les Américains avaient mis leur veto à cette création. Il a fallu que Pierre Bergé mette tout son poids dans la balance pour qu’ils cèdent… avec une certaine terreur, car ils pensaient que cela serait aussi catastrophique pour eux en termes d’image que de ventes.  »

Le flacon, à l’aspect d’une laque chinoise au subtil coloris rouge brique, est inspiré des inrô (les petites boîtes contenant les onguents médicinaux des samouraïs). Audace incroyable, il est presque totalement opaque : seul un £il de verre, rond comme un petit soleil, laisse entrevoir le parfum. Plus étonnant encore pour ce jus hors de prix, la fiole est en plastique ! En Nylon, plus exactement, une première dans cet univers du luxe.

Enfin, last but not least, la dernière audace d’Opium, c’est sa fragrance. Alors que les parfums fleuris sont le grand succès de l’époque, Saint Laurent ose une partition presque oubliée depuis le Shalimar de Guerlain (1925) : un jus oriental et épicé, le tout avec une incroyable concentration. Pour porter Opium, il faut s’assumer. C’est un parfum de parti pris qui laisse un sillage et déclenche des réactions violentes. On adore ou on déteste cette note d’£illet très poivré, cet enivrant accord de patchouli et de jasmin, ce fond puissant d’ambre vanillé. Bref, rien qui puisse convenir à une femme effacée.

Avec un nom plus que dérangeant, un flacon totalement inédit et un jus à contre-courant, peu de gens auraient misé un kopeck sur ce parfum. Erreur ! Trente ans plus tard, il s’en est écoulé plus de 100 millions d’exemplaires à travers le monde, et il est l’un des seuls, avec le N° 5 de Chanel, à n’être jamais sorti du  » top ten  » des ventes en France. Opium est devenu un parfum mythique, une référence.

Ce succès, il le doit aussi à ses campagnes publicitaires. Coïncidence extraordinaire, Bela Malgosia, qui est depuis quelques jours la nouvelle égérie d’Opium, est née dans une petite clinique polonaise, loin du tumulte de la mode, exactement l’année de lancement du parfum. Depuis celui-ci, elle est la dixième jeune femme à incarner  » celles qui s’adonnent à Yves Saint Laurent « , selon le fameux slogan. Avant elles, Jerry Hall, Linda Evangelista, Kate Moss ont porté haut les couleurs de cette fragrance, et cela devant l’objectif de photographes aussi prestigieux que Helmut Newton, Jean- Baptiste Mondino ou David Lynch… C’est au Britannique Glen Luchford, habitué des pages de  » Vogue « , de  » i-D  » ou de  » Arena « , qu’est revenue la responsabilité de cette nouvelle image. Pendant deux jours, au début du mois de mars dernier, Bela, habillée de créations inédites de Stefano Pilati (directeur artistique d’YSL), a posé au milieu de bambous, de laques et d’orchidées installés pour la circonstance dans un studio parisien. Si l’on multiplie en bien plus grand nombre ces éléments de décor et qu’on y ajoute un tapis de pétales de roses, un bouddha géant en bronze et quelques centaines de lanternes chinoises, on peut d’ailleurs avoir une idée de ce que fut la fête magique que donna Yves Saint Laurent pour le lancement de son parfum aux Etats-Unis. Cette inoubliable soirée où le couturier recevait au milieu de mannequins revêtus de ses ultimes collections d’influence orientaliste eut lieu sur une jonque amarrée aux docks de New York et se termina pour les plus résistantes des célébrités présentes (la chanteuse Cher ou l’écrivain Truman Capote, notamment…), par un petit déjeuner composé de champagne et d’omelettes au Club 54, le grand temple disco de la ville. Alors que le succès, ici aussi, allait être colossal, le lancement américain avait toutefois fait l’objet de controverses virulentes et la communauté chinoise new-yorkaise avait multiplié les manifestations pour interdire la venue d’Opium, apologie de la drogue à son sens. Une enquête de la Food and Drug Administration finit par démentir cette rumeur : moins de 1 % des sondés y voyaient une quelconque incitation… Ce qui n’empêcha pas toutefois la campagne publicitaire d’être légèrement modifiée outre- Atlantique : au pays des wasp, les femmes ne s’adonnent pas à Yves Saint Laurent, elles se contentent de l’adorer. Nuance…

Guillaume Crouzet

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