La marque Gucci a franchi le cap des 90 ans. Sa directrice artistique revient sur la décennie qu’elle vient de passer à la tête de la création du groupe.

Ne pas se fier à sa blondeur diaphane tout en délicatesse et en sourires angéliques. La sylphide romaine de 39 ans cache un sacré tempérament. Entrée chez Gucci comme chef de studio sous la direction de Tom Ford en 2002, elle a gravi tous les échelons, chapeautant d’abord la mode Femme dès 2005, puis l’ensemble de la création (homme, enfant, accessoires, joaillerie) à partir de 2006.  » J’ai beaucoup de chance de pouvoir exprimer ma vision de la mode d’une façon aussi globale « , confie-t-elle. Quand elle ne travaille pas ou qu’elle n’est pas en mission pour l’Unicef, dont elle est une des marraines (depuis 2005, Gucci vend, de novembre à décembre, quinze modèles exclusifs dont 25 % du prix est reversé à l’association), Frida Giannini écoute David Bowie, cuisine et monte à cheval. Un jeune poulain nommé Bientôt, qui lui fait oublier  » tout le reste « , et lui inspire à l’occasion des motifs équestres, telle une ligne de bijoux reprenant la forme d’un mors, image emblématique de la maison. Même son c£ur est désormais impliqué dans l’entreprise : début novembre dernier, Frida Giannini s’est affichée pour la première fois au grand jour, lors du festival de Venise, au côté de son amoureux, le PDG de Gucci, Patrizio di Marco… Mi-septembre, la griffe a inauguré son musée à Florence, niché dans un palais du XIVe siècle. Sur plus de 1 700 m2, il retrace la saga de la marque aux deux G, depuis les débuts de Guccio Gucci – portier à l’hôtel Savoy de Londres, qui avait lancé, en 1921, une ligne de bagages – jusqu’aux it bags créés à foison par Frida. Une histoire à découvrir aussi dans Gucci. The Making Of , sorti en novembre dernier (*).

Gucci a 90 ans. À votre arrivée dans la maison, étiez-vous impressionnée par ce patrimoine ?

C’est une grande responsabilité. Et en période de crise, comme actuellement, la tentation est grande pour les marques de vouloir insister sur la force de leur héritage et sur leurs valeurs. À titre personnel, j’ai toujours considéré les archives comme une opportunité géniale de voyager dans les décennies passées, sans jamais m’enfermer dans une relecture trop linéaire. Je suis rentrée chez Gucci en 2002 comme chef de studio de la maroquinerie sous la direction de Tom Ford. Quand j’ai pris la responsabilité des accessoires en 2004, je me suis plongée dans les archives, car je voulais revenir aux sources de la maison ; revisiter les icônes, les symboles qui ont fait le succès de Gucci.

Lesquels avez-vous retravaillés ?

J’ai dessiné le sac Flora en réinterprétant l’imprimé du foulard en soie créé en 1966 pour Grace Kelly, et qui était aussi celui de ma grand-mère dans les années 70 ! Le sac Guccissima, lancé dans la foulée, a remis au goût du jour notre célèbre logo avec ses G entrelacés. Je cherche l’équilibre entre une modernité de forme, de matière et ces multiples références à la marque. C’est le sens de notre slogan,  » Forever Now « , l’héritage contemporain, en quelque sorte. Mais Gucci n’est pas que cela, nous ne regardons pas seulement vers le passé, vers notre histoire et nos traditions. Gucci s’adresse aussi à des trendsetters glamour et innovants : modernes !

Vous soutenez justement trois trendsetters engagées : Charlotte Casiraghi et ses amies, qui ont lancé, avec votre concours, un sac écologique…

Charlotte Casiraghi et ses amies (NDLR : Alexia Niedzielski et Elizabeth von Guttman, corédactrices du magazine écolo Ever Manifesto) ont élaboré, avec une étudiante de l’IFM, Laura Popoviciu, un Bamboo Bag en coton biologique, précieux et responsable à la fois : le Ever Bamboo, vendu en série limitée. Les jeunes filles ont passé du temps avec nos artisans pour le mettre au point dans le respect de nos codes. C’est une prouesse encore difficile à produire à grande échelle. Mais ce genre d’initiatives aiguillonne notre conscience et notre créativité. Les marques de luxe doivent soutenir cette cause. C’est le futur. Chez Gucci, nous travaillons à la limitation des dépenses d’énergie dans les usines, ainsi qu’à une sélection attentive des matières. C’est un nouveau défi pour moi, j’apprends ! Je dessine des sacs depuis vingt ans, et, il y a encore dix ans, personne ne parlait de matières naturelles respectueuses de l’environnement. La technologie nous aide considérablement. Espérons que, dans un délai relativement réduit, nous aurons l’opportunité de travailler des matières écologiquement vertueuses qui nous changeront des sempiternels coton-soie-laine.

Faut-il être italienne pour dessiner Gucci ?

Je suis italienne et Gucci fait partie de mon histoire, presque depuis que je suis née ! À 16 ans, mes premiers stilettos étaient des Gucci… Les femmes de mon enfance, terriblement italiennes, m’influencent aussi forcément. Ma grand-mère était une femme très élégante qui possédait à Rome une boutique de prêt-à-porter nommée Elle. Chaque jour, après l’école, j’allais la rejoindre et je restais une heure ou deux à épier les clientes, à observer leur plaisir de se découvrir dans un vêtement qui les embellissait. À la maison, il y avait des crayons partout – mon père est architecte, ma mère, professeur d’histoire de l’art – et, dès 6-7 ans, je passais mon temps à dessiner des princesses aux robes insensées. En fait, je me suis toujours sentie couturière et, une fois mon bac en poche, j’ai naturellement intégré l’Académie du costume et de la mode de Rome… Pour Gucci, le  » made in Italy  » est une valeur capitale. En fabriquant tout en Italie, nous contrôlons parfaitement notre chaîne de production, et nous veillons au respect scrupuleux des normes sociales.

On a parlé de vous comme d’une créatrice discrète laissant le produit être la star… plus que vous.

Moi, j’ai l’impression qu’on me voit beaucoup ! Forcément, Gucci a besoin d’une image pour faire sa promotion, et aujourd’hui j’ai davantage d’expérience pour répondre à cette exigence. Je le fais notamment via l’application iPhone et iPad Gucci Style, en livrant mes bonnes adresses de restaurants à Rome ou mes coups de c£ur musicaux – en ce moment, je réécoute beaucoup de musiques de films, Drôle de frimousse, Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été, Scarface…

Que recherchez-vous quand vous pensez à la femme Gucci ?

Je pense à une femme sensuelle. Tout le monde veut être sensuel dans sa vie personnelle, non ? C’est très utile de l’être, je crois… Les années 70 sont évidemment une période de grande lascivité dans l’allure, et une de mes plus puissantes inspirations, pour leur force culturelle autant que stylistique. J’ai grandi dans ces années-là, au milieu de parents non pas hippies mais amateurs de liberté. Je me suis nourrie des mythes de David Bowie et de Patti Smith. Elle est pour moi une icône absolue, très inspirante, dont j’admire la force de caractère. Pour la collection de cet hiver, j’avais en tête Anjelica Huston : j’ai imaginé de la fourrure, du python, des robes longues aux volutes de soie sur un Colorama spectaculaire courant du rouge framboise au bleu turquoise profond.

Pour l’été prochain, vous avez plutôt relu le glamour sculptural des Années folles…

Ce n’est pas antinomique, prenez Ossie Clark : ce styliste britannique majeur des Swinging Sixties et des années 70 se réfère complètement aux années 20. J’aime la puissance créatrice de l’Art déco, les formes très architecturées de l’époque, les gratte-ciel new-yorkais qui sortent de terre à ce moment-là. J’affectionne beaucoup aussi le style des designers Charlotte Perriand et Le Corbusier. Je m’en suis inspirée pour imaginer des robes graphiques où le noir et blanc s’entrechoque avec les broderies lamées. J’avais en tête Louise Brooks, Nancy Cunard, des femmes androgynes et fortes. Et glamour !

Vous semblez défendre une vision résolument optimiste de la mode ?

Oui, l’optimisme est pour moi une morale personnelle. Même si tout n’est pas toujours rose, on vit mieux avec cet état d’esprit. Je ne pleure jamais sur mon passé, je regarde toujours vers l’avant. Et j’ai espoir en le futur. Particulièrement pour la condition féminine. Ce n’est pas facile d’être une femme dans l’industrie de la mode. J’ai moi-même consenti beaucoup de sacrifices personnels, surtout quand j’étais plus jeune. L’indépendance d’esprit est une des clés de la réussite.

(*) Éditions Rizzoli, 384 pages.

PAR KATELL POULIQUEN

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