C’est aux randonneurs que la fabuleuse cité rose dévoile le mieux ses merveilles. Le célébrissime Trésor, mais aussi plus de 3 000 monuments nichés dans le grès. De canyons secrets en montagnes aux parois multicolores, toute la splendeur des richesses jordaniennes.

D’abord, il y a Tintin. Le héros d’Hergé découvre, fasciné, le monumental Khazneh dans  » Coke en stock  » (1958). Puis, bien des années plus tard, Indiana Jones, sous les traits de Harrison Ford, explore le même temple au cours d’une  » Dernière Croisade « , signée Spielberg (1989). Ce palais aux reflets roses, creusé dans la montagne, est-il un décor hollywoodien, un mirage, un rêve de carton-pâte ? Non, il s’agit bien de Pétra. Et plus précisément de son Trésor (c’est le sens du mot Khazneh), le monument le plus célèbre de Jordanie, qui reçoit 1 million de visiteurs par an. Un Trésor à ce point photographié, dupliqué, que tout voyageur a le sentiment de le connaître déjà sans avoir pourtant jamais foulé la terre du wadi Araba qui relie mer Morte et golfe d’Aqaba.

Et pourtant Pétra ne se limite pas à cet unique temple ; les monuments principaux de la cité rose se concentrent en effet sur quelque 40 kilomètres carrés de gorges et de djebels. A l’apogée de sa splendeur (entre le iie siècle av. J.-C. et le ier siècle de notre ère), la ville comptait probablement entre 30 000 et 40 000 habitants ; c’est à cette époque que les souverains nabatéens firent tailler dans les falaises de grès d’innombrables mausolées (on en décompte plus de 3 000 !) aux façades colossales souvent inspirées de la Mésopotamie, de l’Egypte et de la Grèce antique. Pour découvrir cette ville morte dans toute sa splendeur, il faut compter quatre ou cinq jours de trek (pour un marcheur moyen), en s’émancipant du circuit classique avec pour guides les bédouins Bdoul. Jusqu’en 1985, cette tribu vivait dans les ruines de Pétra et y faisait paître les chèvres. Chassés et relogés dans le village d’Oum Seyhoun, au-dessus du site, les Bdoul vivent désormais du tourisme ; beaucoup s’improvisent loueurs de chevaux, vendeurs de bijoux mais tous s’avèrent de formidables guides.

Agile comme un bouquetin, Ali saute d’une roche à l’autre. Né au c£ur de Pétra, le jeune homme connaît le moindre tombeau, les canyons les plus secrets de la fabuleuse cité. En sa compagnie, on part à l’assaut du djebel Al-Khubta (1 132 mètres), le massif rocheux qui domine la plaine de Pétra. On passe rapidement devant les tombes royales, magnifiques mais très visitées, pour découvrir, derrière un massif de lauriers-roses, l’étonnante façade polychrome naturelle de l’une d’entre elles, Carmine. Premier émerveillement : de délicates volutes rosées et rouges semblent enlacer le grès blond, courir le long des veines de la pierre jusqu’à éclabousser de couleur la frise dorique qui domine le temple. Loin des foules, on part ensuite au fil du wadi Mataha. En amont de la rivière, les parois de la montagne constellées de tombes, de niches votives, de citernes et de canaux se révèlent peu à peu à nous dans un silence total. Pas un groupe ne se rend jusqu’ici. Le sentier creusé dans le roc, à flanc de djebel, se transforme peu à peu en un monumental escalier. Emu par la grandeur du décor, on gravit les marches de pierre, tout comme le faisaient, il y a vingt siècles, les Nabatéens pour offrir des animaux en sacrifice au sommet d’Al-Khubta. Après l’effort, on savoure le silence et la fraîcheur, allongé dans une grotte ombragée en grignotant des falafels et en observant la métamorphose des couleurs et des ombres, selon la course du soleil.

Pour revenir au village de Wadi Mousa (c£ur moderne de Pétra), l’amateur de solitude s’engouffrera dans le Petit Siq (la petite gorge), un étroit défilé qui semble se glisser dans la falaise, comme une porte dérobée réservée aux seuls aventuriers et gardée par l’inquiétante tête de Gorgone de la tombe de Sextius Florentinus. Dans la montagne, les parois multicolores sont creusées de niches, de bétyles et d’édicules liés vraisemblablement au culte des eaux. Un peu plus haut, le défilé se transforme en une fissure polie par les eaux. A peine 60 centimètres de largeur ! La lumière du ciel a du mal à pénétrer l’abîme et on s’y faufile avec circonspection. La gorge s’élargit de nouveau. On passe sous un tunnel nabatéen servant à dévier les eaux de la rivière et l’on regagne le chemin principal sous les regards étonnés des gardiens, peu habitués à voir des touristes surgir de cette gorge.

Après cette première journée de découverte et une nuit réparatrice au village (il est interdit de bivouaquer sur le site), plusieurs treks d’une journée s’offrent à vous : la montée au djebel Madhbah, qui domine l’amphithéâtre romain de 7 000 places tout comme les balades vers le djebel Haroun et le monument du Serpent ou encore l’ascension de Umm el-Byara sont splendides mais à réserver aux bons marcheurs (une huitaine d’heures aller-retour pour chacune). En revanche, la randonnée entre la  » Petite Pétra  » et le temple du Deir reste aussi accessible que superbe. A 8 kilomètres du site principal, le lieu était autrefois une halte idéale des caravanes : aujourd’hui, un défilé très étroit creusé dans la roche défend l’entrée de la gorge, dûment ornée de temples et de grottes. Alors qu’on déambule à l’ombre bienvenue d’un surplomb, sous nos pieds, les crêtes du wadi Araba viennent mourir en une succession de vagues rocheuses jusqu’au bord de la mer Morte. Fantastique panorama issu de la nuit des temps. Nous nous trouvons à 1 000 mètres au-dessus du point le plus bas de la Terre, au c£ur du rift, qui descend de la Turquie jusqu’en Afrique de l’Est ! Encore un effort, une dernière vire et l’on se hisse sur un plateau rocheux. Notre guide, Ali, jusqu’à présent volubile, garde le silence. On plisse les paupières pour se protéger de la réverbération du soleil. Face à nous, un dédale de grès, fantasmes éoliens, roches chantournées jusqu’au délire, se détache sur le bleu cru du ciel. Au c£ur de ce paysage inconcevable, une forme géométrique accroche l’£il. Un mirage ? Non, pas de doute : il s’agit bien des lignes pures d’une urne, une urne gigantesque sculptée par l’homme. Et l’on se retrouve propulsé dans la peau de l’explorateur suisse Johann Ludwig Burckhardt, premier Européen depuis le Moyen Age à redécouvrir les splendeurs de Pétra, en 1812.

Encore 100 mètres, et la façade d’un immense édifice émerge peu à peu du grès rose. Ed Deir ou  » le Monastère « , l’un des bâtiments les mieux conservés et les plus impressionnants de Pétra, se dresse, solitaire, sur un éperon rocheux. Il se détache de la paroi comme s’il venait tout juste de se libérer de l’étreinte de la roche brute. La plupart des archéologues estiment qu’il s’agit d’un temple. D’autres penchent plutôt pour la thèse d’un tombeau royal inachevé. Indifférent à cette querelle d’experts, un jeune Bédouin escalade la façade avant de se percher au sommet de l’urne pour jouer de la flûte, assis en tailleur. On attend alors les lumières du soleil couchant pour rejoindre l’esplanade centrale.

Les derniers visiteurs ont rebroussé chemin. Et c’est dans le silence impressionnant des djebels que l’on redescend sur Pétra.

Texte et photos : Jean Robert

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