Les vertiges de la cuissarde
Objet de fantasme qui cultive l’art de la mise en scène, la cuissarde est décidément indémodable. Itinéraire d’une bête de mode qui n’a pas fini d’aimanter les passions et d’inspirer les créateurs.
« Jusques en haut des cuisses / Elle est bottée / Et c’est comme un calice / A sa beauté « , chantait Serge Gainsbourg en 1968 dans Initials B.B. Quatre décennies plus tard, le pouvoir fantas-matique de la cuissarde n’a pas pris une ride. La preuve : c’est chaussée d’un modèle en cuir lacé Miu Miu que Madonna s’est donnée en spectacle dans son Sticky and Sweet Tour, énième version d’un numéro d’amazone SM bien rodé. Et les créateurs, eux aussi, ont dégainé leur botte secrète, mais en laissant les cravaches au vestiaire. Cuissardes romantiques en chèvre brodée chez Hermès, modèle futuriste en latex à talon prisme signé Balenciaga ou encore soulier lingerie à mi-chemin de la chaussure et du bas… Une tendance à enfourcher sans peur et sans reproche, pour aussi intimidante qu’elle soit.
Il est vrai que ce sulfureux accessoire, qui protège tout en révélant l’anatomie de la jambe jusqu’à mi-cuisse (d’où son nom), a longtemps été associé aux femmes de pouvoir. Et cela en raison de ses origines équestres et viriles. Ainsi, jusqu’au xixe siècle, où on les voit poindre sous les jupes des amazones, les cuissardes étaient strictement réservées aux guerriers. A tel point qu’en 1431 Jeanne d’Arc fut accusée d’en porter lors de son procès… Il faudra donc attendre les années 1960 et la minijupe pour les voir s’imposer dans le vestiaire féminin. » Longtemps marque de fabrique des dominatrices professionnelles, les cuissardes deviennent pour la première fois à la mode dans les sixties, comme élément de la révolution sexuelle « , explique Valerie Steele dans son ouvrage Chaussures. Langages du style (éd. du Collectionneur). A la fois protectrices et sexy, elles signent l’allure conquérante et futuriste de l’époque, à l’image des modèles plats en crocodile noir que réalise Roger Vivier pour Yves Saint Laurent en 1963 ou du body à cuissardes intégrées en vinyle de Jane Fonda dans Barbarella (1968). Hissées sur des talons aiguilles dans les années 1980, elles détournent alors sans complexe les codes du fétichisme façon seconde peau.
» Mon souvenir le plus fort ? C’est celui de la cuissarde Monica, que j’avais dessinée en 2005 pour Monica Bellucci, qui devait interpréter le rôle d’une prostituée dans le film Combien tu m’aimes ?, de Bertrand Blier. Cette version en daim gainant et remontant haut sur la cuisse donnait beaucoup d’ampli-tude à la jambe, comme si elle avait été peinte. Ce qui est amusant dans la cuissarde, c’est justement son côté dessin, qui évoque les héroïnes de manga ou les créatures fétichistes d’Allen Jones « , raconte Christian Louboutin. Un esprit presque comics, que l’on retrouve dans les collections de cet hiver. Façon bottes en cuir à bandes de Velcro géantes chez Viktor & Rolf, où elles ponctuent les » wow » inscrits sur les tee-shirts. Graphiques, donc, voire aérodynamiques, ces souliers à rallonge fusellent la jambe pour accompagner les envies de mouvement des aventurières 2008. Ainsi retrouve-t-on les bottes de sept lieues façon cuissardes de pirate à franges chez Gucci, ou mousquetaire chez Christian Louboutin, qui décline sa Monica en version satin soulignée de n£uds dans un esprit très Milady.
Lacée jusqu’à mi-cuisse chez Etro dans un esprit corset, moulante comme un bas couture chez Jil Sander ou en dentelle noire chez Sergio Rossi, la cuissarde 2008 puise un imaginaire érotique plus soft dans la lingerie. » Hybride entre la chaussure et le bas, elle fait partie de l’alphabet fétichiste en ce qu’elle gaine la jambe de manière provocante. Le croquis fondateur de ma griffe LaRare était d’ailleurs une cuissarde en chèvre velours lacée derrière la cheville et le genou baptisée Gwendoline, du nom de l’héroïne très sexy du dessinateur John Willie « , explique la créatrice de chaussures Nathalie Elharrar. Autre pièce d’exception de LaRare : le modèle Lena (14 cm de talon), composé de bandelettes de cuir verni Stretch et dont la réalisation nécessite deux jours de travail. Mobilisant une grande quantité de matière, tels ces agneaux très fins dont l’élasticité naturelle gaine la jambe, mais aussi une bonne connaissance de l’anatomie et un grand savoir-faire technique, la cuissarde est un summum du luxe dont le prix peut facilement atteindre les 2 000 euros. Le prix de la démesure pour ce totem érotique qui n’a décidément rien perdu de son pouvoir d’attraction.
Charlotte Brunel
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici