La génération porno a tout vu, tout entendu. Et si on intellectualisait à nouveau l’érotisme sur le Net, pour voir ?

I l n’y a que des visages. Des femmes et des hommes seuls. La tête sur l’oreiller. Extatiques et satisfaits. Souvent les yeux fermés. Et la bouche entrouverte. Ils sont visiblement  » ailleurs « . Sur www.beautifulagony.com, le dernier site à la mode que l’on pourrait traduire par  » la petite mort « , le pouvoir de suggestion est tout bonnement hallucinant. Entièrement dédiée à la force de l’orgasme humain, cette adresse Internet n’a pourtant rien de pornographique : on n’y voit pas le moindre corps dénudé ; seuls des visages anonymes triomphent dans toute leur splendeur émotionnelle. Fascinant, l’érotisme de ce site inédit est concentré dans ces moments d’intimité intense filmés, face caméra, par les protagonistes eux-mêmes ou par leur partenaire évidemment complice. L’accès aux différentes vidéos est payant, certes, mais quelques séquences gratuites donnent déjà un petit aperçu du contenu. La contemplation de ces traits féminins et masculins capturés en plein septième ciel est étrange, envoûtante, excitante. Sociologiquement intéressante aussi car, au-delà de l’aspect a priori anecdotique de cette initiative singulière, c’est une autre dimension du sexe que l’on retrouve désormais sur le Web. Petit rappel des faits : avant l’avènement triomphant du dieu Internet, les seules images pornographiques disponibles sur le marché étaient concentrées dans des revues et des films vendus au plus de 18 ans. Et avant cela encore, il y a un demi-siècle à peine, on considérait qu’il fallait généralement une vie entière pour avoir accès à toute une imagerie sulfureuse et explicite. La révolution du Web a, bien sûr, tout chamboulé. Aujourd’hui, en quelques clics rapides, les adolescents connectés peuvent se perdre dans une overdose de sexes en gros plan avec une facilité franchement déconcertante. Ils peuvent tout voir, tout lire, tout entendre. Librement. Gratuitement. Sans compter les sites consacrés aux multiples déviances sexuelles jetées en pâture sur le Net. Surinformée et sans doute déjà blasée en la matière, cette nouvelle génération porno a donc perdu (encore faut-il qu’elle l’ait un jour connue ?) toute la puissance de l’érotisme suggéré. Un érotisme qui induit plutôt qu’il ne montre. Un érotisme qui évoque le plaisir réel plutôt que la performance outrageusement mécanique. Baignant dans l’excès tous azimuts, le cyberespace démontre heureusement, avec www.beautifulagony.com, qu’il peut désormais ouvrir une autre fenêtre sur la sexualité actuelle. Une fenêtre mystérieuse dédiée à la beauté de visages comblés. Une fenêtre audacieuse davantage ouverte sur la nudité de l’âme que sur celle des corps. Sans être pour autant nécessairement romantique, cette tendance à la suggestion érotique est sans doute également le reflet d’une nouvelle intellectualisation du sexe. Une intellectualisation subtile qui n’est pas inutile à l’heure où le puritanisme semble revenir en force dans une société gavée d’images excessives. Un courant à suivre. La tête dans les étoiles.

Retrouvez Frédéric Brébant chaque lundi matin, vers 9 h 45, dans l’émission  » Bonjour quand même « , de Jean-Pierre Hautier, sur La Première (RTBF radio).

Frédéric Brébant

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