Grâce à une sensibilité esthétique développée à l’extrême, le jeune architecte belge Vincent Van Duysen a réussi à imposer son style rigoureux et épuré hors de nos frontières. Rencontre avec un homme doté d’un sens créatif bien affûté.

Carnet d’adresses en page 107.

Après avoir insufflé un vent de modernité dans le magasin bruxellois Natan, relooké un loft à Soho pour un New-Yorkais branché, créé de toute pièce la brasserie National et la librairie Copyright qui font partie intégrante du Momu, le superbe musée anversois de la mode, Vincent Van Duysen vient de signer une très élégante collection de sièges pour le célèbre fabricant de meuble italien B&B Italia… Ce jeune architecte belge aux talents multiples qui a décidément le vent en poupe nous dévoile sa vision très personnelle de l’architecture et du design.

Weekend Le Vif/L’Express : L’architecture vous a-t-elle toujours passionné ?

Vincent Van Duysen : Je n’ai pas eu de véritable vocation pour l’architecture mais, dès mon plus jeune âge, je faisais preuve d’une créativité débordante. J’ai toujours été fasciné par les arts plastiques et par l’esthétique des vêtements et des objets, par exemple. En achevant mes études secondaires, section latin-grec, je voulais absolument étudier une matière qui accorde une large place à l’inventivité. L’architecture s’est imposée presque naturellement puisque cette discipline permet d’embrasser de nombreux modes de pensée. Lorsque j’ai décroché mon diplôme en 1985, je n’étais pas encore sûr à 100 % de vouloir exercer la profession d’architecte. La mode, la photographie et la décoration m’attiraient également très fort.

Quand vous repensez un intérieur, quelle est votre méthode de travail ?

Chaque situation et chaque contexte exigent une approche particulière. Comme mon intervention est différente de celle d’un architecte d’intérieur ou d’un décorateur, il est primordial d’établir une interaction entre le client et moi. En outre, le projet doit m’intéresser et le lieu doit m’interpeller. La façade, la structure du bâtiment et les matériaux mis en £uvre jouent un rôle primordial puisqu’ils constituent ma source d’inspiration. En fonction de ces différents facteurs, je peux soit conserver une base existante soit raser le tout pour repenser l’espace de A à Z. Dans un loft à New York, par exemple, j’ai réussi à établir un véritable dialogue entre l’univers créé et les anciennes colonnes en fonte.

L’aménagement de lofts vous intéresse-t-il plus particulièrement ?

Je ne privilégie pas spécialement un style architectural bien précis. Les lofts et le minimalisme ne représentent qu’une facette de mes centres d’intérêt. Quand on évoque un loft, tout le monde pense immédiatement à un bâtiment industriel dans lequel on aménage un espace très ouvert et très flexible. Qu’il s’agisse d’un loft dans le sens strict du terme ou d’un appartement vaste et lumineux, la démarche est la même. De plus, je n’ai pas envie que l’on associe mon nom uniquement au minimalisme. Ce terme est galvaudé et renvoie à un aspect très mode de l’architecture. Mon travail n’est pas influencé par la mode, il est l’expression de sentiments beaucoup plus profonds qui traduisent un véritable art de vivre. Je veux simplement aller à l’essentiel, équilibrer judicieusement l’espace pour que chacun puisse bien vivre sa propre maison. Les gens doivent prendre possession de l’espace que je crée avec des meubles et des objets afin d’exprimer leur personnalité.

Selon vous, quels sont les critères à respecter pour obtenir une certaine harmonie dans un intérieur ?

Il s’agit bien évidemment d’un critère subjectif. Lorsque je crée pour moi, j’essaie toujours de valoriser un espace existant. Sinon, je recherche constamment des espaces bien équilibrés. Je suis convaincu que la taille d’un appartement ou d’une maison n’est pas primordiale, il faut avant tout viser une harmonie des proportions et éviter les tensions qui peuvent naître de certains volumes, couleurs et dimensions. J’essaie toujours de m’imaginer comment le client vivra dans son intérieur et ce qu’il ressentira. Pour cela il faut impérativement analyser le bâtiment dans son concept structurel et voir s’il est possible de recréer d’autres espaces et perspectives pour revaloriser l’endroit avec une bonne lumière.

Quels sont vos matériaux de prédilection ?

Je n’ai pas de partis pris. Tout dépend du contexte. J’apprécie en général les matériaux naturels et si l’on me demande d’intervenir dans un lieu qui fait la part belle aux matériaux synthétiques ou au plastique, je n’y vois aucun inconvénient. En fait, je recherche toujours à mettre en valeur l’authenticité d’un lieu.

Vous avez créé des intérieurs un peu partout dans le monde. Comment votre style est-il perçu à l’étranger ?

Mon travail est en effet très apprécié à l’étranger et je me suis déjà demandé pourquoi. J’espère que c’est ma façon d’envisager la création d’un espace qui séduit avant d’autres critères. Nombre de gens veulent aussi réagir contre le style postmoderniste qui a fait les beaux jours des années 1990. Tout au début de ma carrière, j’avais déjà envie de créer des intérieurs très austères, très sincères et très intègres. L’ambiance des cloîtres et des couvents me semble magique. Ce sont des constructions d’une grande pureté et d’une grande force qui ont un véritable supplément d’âme. J’espère que mes clients sont sensibles à cet aspect de mon travail. J’essaie de projeter cette qualité de vie dans le quotidien… Le style que je privilégie naturellement, l’essentialisme, est tombé en plein courant minimaliste, ce qui a sensibilisé le public à mon travail. Mais quelles que soient les modes en matière d’architecture, je suis fidèle à mon style propre, basé sur l’intemporalité. Il repose sur des éléments de base très purs et très consistants. Je n’aime pas l’innovation pour l’innovation.

Pourriez-vous envisager de traiter d’autres styles radicalement différents ?

Sincèrement non mais je maîtrise différents styles. Je suis très réceptif aux différents modèles architecturaux et je peux facilement m’intégrer dans un cadre de vie. Mais je l’adapterai toujours à mes idées et à ma sensibilité. J’apprécie également les intérieurs hyperclassiques mais si un jour je m’engage dans cette voie, j’y apporterai une touche résolument contemporaine. Ma conception du style classique est très actuelle et très architecturale.

Quels sont vos maîtres à créer ?

Je ne suis pas attaché à un créateur en particulier. Je me nourris du savoir de tous. Qu’il s’agisse d’architectes, de créateurs de mode, de décorateurs, d’amis ou de Monsieur Tout-le-monde… Dès que l’on s’intéresse au monde qui nous entoure, tout peut être source d’inspiration. Le jour, on ressent les choses différemment que la nuit par exemple.

Comment réagissez-vous à la célèbre formule de Ludwig Mies Van der Rohe  » less is more  » qui a d’ailleurs été détournée dans les années 1960 en  » less is a bore  » ?

Dans les années 1960, on a assisté à une violente réaction contre la sobriété qui régnait dans les années 1920 avec le travail de Ludwig Mies van der Rohe et Le Corbusier. Puis le minimalisme s’est à nouveau imposé avant l’actuel revival des années 1960 et 1970. Or, en dépit des modes, les £uvres de Mies van der Rohe et de Le Corbusier sont toujours d’actualité et ne seront jamais démodées.  » Less is a bore  » était une réaction instantanée. On pourrait transposer cette situation à l’heure actuelle en déclarant  » Le minimalisme est mort, vive le maximalisme « . Cela ne gommera pas pour autant les créations sublimes des grands maîtres du minimalisme.

Quelle est votre définition du luxe ?

Je préfère le mot confort à celui de luxe. Le luxe a un côté ostentatoire et plutôt négatif qui englobe la cherté, l’exclusivité, etc. Je préfère m’attacher à l’art de vivre et au confort. Il ne faut pas toujours mettre en £uvre des matériaux impayables pour créer un intérieur agréable à vivre.

Le style résolument épuré comme on le voit dans les revues de décoration est-il vraiment pratique à vivre au quotidien ?

Les livres et les revues présentent les intérieurs et les architectures dans leur contexte pur. Et les photos sont réalisées pour mettre en valeur ces aspects précis. Moi je crée une base et les gens doivent prendre possession de leur maison ou de leur appartement. Il ne faut pas oublier qu’un bureau est fait pour ranger des livres et différents objets. Il ne s’agit pas d’un bel objet mais d’un meuble fonctionnel, ce qui n’empêche évidemment pas de le vouloir pur et sobre. Le quotidien doit s’intégrer dans l’architecture sans la tuer.

Pensez-vous que les créations d’un architecte puissent donner naissance à de nouveaux modes de vie ?

Oui, mais ce n’est pas ce qui me préoccupe. Dans chacun de mes projets, on retrouve des bases classiques qui privilégient l’art de vivre et le confort. J’ai plutôt tendance à interpréter librement un mode de vie traditionnel et très qualitatif. Ma recherche n’est pas réactionnaire ou avant-gardiste à ce niveau-là ! Je ne suis pas contre, loin de là, mais j’aime interpréter et perpétuer les traditions.

Vous venez de créer une ligne de sièges pour B&B Italia. Comment s’est déroulée cette collaboration ?

C’est B&B Italia qui a fait appel à moi. Cela faisait en effet plusieurs années qu’ils suivaient mon travail et l’appréciaient. En outre, les responsables de la communication avaient déjà utilisé une maison que j’avais dessinée pour réaliser les photos d’une de leurs campagnes de pub. Au départ, j’étais censé plancher sur le thème de la nuit et de la chambre à coucher. Ils souhaitaient que je dessine des meubles plutôt forts et solides ayant une présence physique qui rappellent mon architecture. Ils espéraient un travail d’inspiration très nordique, réalisé en bois… Mais je n’avais pas envie de cela et j’ai opté pour un lit de repos. J’ai d’abord essayé de comprendre l’âme de B&B Italia. Pour moi, leur image de marque repose sur le mariage du cuir et du métal et sur les notions d’intemporalité, de fluidité et de légèreté. En voulant aller à l’essentiel, j’ai dessiné un banc très plat dont l’extrémité est légèrement relevée pour assurer le soutien de la tête et suggérer l’idée de repos. En collaboration avec les ingénieurs de l’atelier de recherche, j’ai pu réaliser un matelas en polyuréthane extrêmement fin mais très confortable. On dirait presque un tatami posé sur une structure en métal. Pour accentuer encore l’impression de fluidité et de légèreté, j’ai travaillé le cuir de façon a créer des petites vagues matelassées. Les responsables de B&B Italia se sont montrés très étonnés mais également très enthousiastes. Ils ont d’ailleurs insisté pour que je dessine toute une ligne de sièges sur le même thème. J’ai donc repensé les dimensions et nous avons créé trois fauteuils et une bergère avec un pouf qui ont été présentés en avant-première lors du Salon du meuble de Milan en avril 2002.

Quel type de projet vous plairait-il de traiter à l’avenir ?

J’aimerais beaucoup créer un hôtel. Ce genre de lieu m’attire parce que, loin de chez soi, on espère y retrouver un certain confort et une qualité de vie. On recherche le dépaysement tout en voulant retrouver ses marques. Cette dualité est passionnante. Créer un lieu de bien-être pour des gens de passage serait une expérience nouvelle pour moi.

Propos recueillis par Serge Lvoff

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