Cette saison, les podiums se donnent des airs de Woodstock version glam. Mais qu’est-ce qui pousse les créateurs à puiser régulièrement dans les codes des années 1970 ? Décryptage.

Des accents ethniques, de longues robes fluides, des franges, des couleurs pep, des imprimés psychédéliques, tye and dye ou floraux… L’été 08 mise résolument sur le revival des années 1970. Comme pour échapper à la morosité ambiante, les créateurs exploitent l’imagerie festive de ces années légères et gaies, souvent en lui apportant un twist glamour. Ainsi, les fleurs s’invitent sur des mousselines précieuses chez Stella McCartney ou sont rebrodées de sequins chez Kenzo, tandis que les incontournables pattes d’ef sont taillées dans le damas ou le brocart chez Prada et Balmain. Domenico Dolce et Stefano Gabbana, les stylistes qui poussent le come-back à son paroxysme, le proposent quant à eux dans une version irisée, tout en n’hésitant pas à le faire défiler aussi en denim souple, vu aussi chez Chanel.

Un come-back de plus, ne manqueront pas de souligner ceux qui, nés à cette époque-là, ont déjà eu l’occasion de voir refleurir les seventies plus d’une fois, que ce soit en musique, en déco et surtout en mode.  » Le premier revival est apparu très tôt, dès 1986, confirme Florence Müller, historienne de la mode et professeur à l’Institut Français de la Mode (IFM), à Paris. Cette année-là, Angelo Tarlazzi revisite le patte d’ef et dessine des corsaires orange à franges. C’est aussi à ce moment-là que Martine Sitbon lance sa griffe. Rapidement, avant la fin des années 1980, la styliste parisienne monte des collections connotées seventies, notamment avec des pantalons évasés dans le bas assortis à de petites vestes étriquées inspirées du psychédélisme, du style dandy anglais décalé façon Ziggy Stardust et de Carnaby Street, à Londres. « 

A l’époque, ces créateurs s’inscrivent à contre-courant de la tendance – la mode est aux épaulettes et aux pantalons  » carotte  » à taille haute ! – et leurs collections, trop décalées, rencontrent un accueil plus que mitigé. Mais peu importe, le mouvement est lancé, et les années 1970 reviendront encore, sur les podiums et dans la rue.

Tous frères

Leur deuxième grand retour a lieu dans les années 1990, avec le mouvement grunge, qui entend réinventer une mode faite de récup’.  » Comme dans les années 1970, on va acheter ses fringues aux puces, on les transforme, analyse Florence Müller. On valorise la charge émotionnelle du vêtement déjà porté.  » Parmi les stylistes représentatifs de cette démarche, et sans le réduire à cela, la spécialiste pointe Martin Margiela, pour sa vision poétique de la mode. A partir de 1993, on assiste aussi à la revalorisation du denim, que les grandes griffes se réapproprient.  » Il s’agit là d’une autre réminiscence des années 1970, qui avaient vu le jeans quitter son statut de vêtement de travail pour devenir un élément incontournable de tous les vestiaires.  » On l’a sans doute oublié aujourd’hui mais, dès la fin des années 1960, porter un jeans, c’est montrer son empathie envers le prolétariat.

C’est particulièrement vrai parmi la jeunesse qui, des campus américains aux amphis de la Sorbonne, entend alors mettre à bas les conventions sociales et imposer un nouvel ordre au monde. Mai 68 à Paris, les manifs contre la guerre du Vietnam en Europe et outre-Atlantique : l’heure est à la contestation générale, et les répercussions se font sentir jusque dans la garde-robe.  » Dès le milieu des années 1960 et tout au long de la décennie suivante, poursuit l’historienne de la mode, on constate une volonté générale d’émancipation et un besoin irrépressible de mettre fin à une société où les jeunes, et en particulier les femmes, se sentent enfermés dans un carcan. « 

Si on ajoute à cela que, conséquence du baby-boom de l’immédiat après-guerre, la génération des 20-30 ans a plus de poids que jamais dans la société et que les années 1960 sont encore une époque de reconstruction intense, on comprend que tous les éléments sont réunis pour un changement radical des mentalités. Les jalons de la contestation sont donc posés dès ce moment-là, et les seventies ne feront qu’en creuser le sillon pour faire entrer durablement ces mutations dans les fondements de la société.  » Du point de vue de la mode, on assiste alors à un mouvement à double sens, qui s’auto-nourrit, reprend Florence Müller. D’une part, le vêtement contribue à faire tomber certaines conventions – on pense notamment aux premiers pantalons féminins, qui sont une manière d’acquérir une partie du pouvoir jusque-là réservé aux hommes. De l’autre, choisir d’arborer certaines pièces revient à s’engager pour une cause et à la soutenir de manière ostentatoire. « 

Dans le même ordre d’idée, porter une blouse folklo est une manière d’afficher sa volonté de fraterniser avec des peuples dénigrés lors de la colonisation, qui symbolise elle aussi une ère révolue.  » En mélangeant des pièces d’origines ethniques disparates, on va même un pas plus loin puisqu’on entend signifier qu’on est tous frères. Ou, comme on le disait alors,  » tous dans le même vaisseau spatial « . « 

Décalage immédiat

Sans pour autant en porter le message, le printemps-été 08 fait donc revivre le grand melting-pot des seventies. De Giorgio Armani à Diane von Furstenberg en passant par Hermès, les trends ethniques sont partout (lire en page 16) et se superposent à des influences glam, rock ou romantiques – les multiples déclinaisons du sarouel et de la spartiate, pièces iconiques de la saison, en sont un exemple emblématique.

Quant aux silhouettes orientalisantes de Dries Van Noten, juxtaposant imprimés fleuris et géométriques, elles nous rappellent au passage que les années 1970, férues de mélanges, ne craignaient pas les audaces visuelles.  » Une des grandes forces de cette période a été de décloisonner les codes vestimentaires, reprend Florence Müller. Comme Mike Jagger qui, en 1976, ose se marier en costume blanc et baskets, on allie dé- sormais des pièces qui autrefois correspondaient à un type d’activité bien précis : cérémonies, sport, travail, etc. Une manière supplémentaire de faire sauter les verrous.  » Ce jeu sur le décalage n’a jamais disparu depuis, et est même devenu un des grands ressorts de la mode, comme le démontrent saison après saison Jean Paul Gaultier, Vivienne Westwood ou même Karl Lagerfeld, qui aime détourner la veste de tailleur Chanel en l’associant à des bottes de motarde l’hiver dernier ou des jeans patte d’ef ce printemps.

Autre acquis fondamental des années 1970, qui se répercute aujourd’hui encore dans les collections : la notion de  » cool « , que même le rouleau compresseur du mouvement punk (1975-1978), n’est pas parvenu à éradiquer.  » Les seventies vont encourager et amplifier une grande tendance qui apparaît dès la fin du xviiie siècle, et qui veut que la société soit axée sur l’individu. Du coup, l’idée de bien-être corporel émerge aussi, et se répercute naturellement sur les vêtements : on brûle ses soutiens-gorge, on porte des chaussures souples, comme les Clarks ou les Kickers, on découvre les tuniques larges, les robes longues…  » L’idée ? Se libérer de toutes les contraintes, et donc refuser, en mode comme en beauté, les artifices valorisés depuis la Renaissance. Le make-up  » nude  » et les longs cheveux séparés par une raie, vus dans les défilés printemps-été 08, sont donc un clin d’£il de plus aux seventies.

Au suivant

Mais être cool, c’est bien plus qu’adopter un nouveau rapport au corps : c’est avant tout vivre les choses sans donner l’impression qu’elles nous affectent.  » Les hippies veulent dépasser leur condition humaine, être portés par des idéaux, une spiritualité, une vie communautaire intense, résume Florence Müller. Cet état d’esprit hédoniste, puissamment séducteur, traverse le temps en permettant plusieurs résurgences de la mode des années 1970. « 

Se superpose à cela un autre élément justifiant l’incessant come-back : la fascination pour une époque où il était encore possible de mener une révolution. Aujourd’hui, alors que les tensions sont vives et l’avenir morose, la tentation est grande de se tourner vers le temps où tout pouvait changer. Et, comme tous les regards dans le rétroviseur, celui que l’on porte sur les seventies se teinte d’une nostalgie bienveillante : on passe sous silence les engagements forts et la prise de risque qui menait parfois à se brûler les ailes pour sublimer le côté idyllique de cette période rêvée.  » Ce n’est pas un hasard si c’est surtout par le biais de la mode, signe extérieur s’il en est, que cette époque revient régulièrement dans l’actualité « , confirme l’historienne de la mode avant de prédire que le revival des collections printemps-été 08 ne sera pas le dernier :  » plus le temps passe, plus une mythologie va se construire, de sorte que ces années qui ont révolutionné la société se verront dotées de toutes les qualités.  » Nul doute que le flower power refleurira, et ce ne sont pas les fans de mode qui s’en plaindront.

Delphine Kindermans

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