La Hollande gastronome est en pleine ébullition. Une nouvelle génération de cuisiniers associe les meilleurs produits à une élégance du plat peu commune. Dans ce ciel nordique qui scintille, Pascal Jalhaij fait figure de véritable chef étoile.

Carnet d’adresses en page 112.

Recettes en pages 24 et 26.

 » J e cuisine depuis l’âge de 15 ans, cela fait donc dix-neuf ans. J’ai presque toujours travaillé dans des maisons étoilées, dont le Scholteshof en Belgique (l’ancien restaurant de Roger Souvereyns). Si l’on ose une comparaison avec le monde du football, j’aurais pu choisir la pratique en amateur, celle du week-end. Mais j’ai opté pour la Champion’s League. La cuisine est avant tout émotionnelle, c’est ce qui fait le romantisme de notre profession. Sinon on ne passe pas autant d’heures enfermé, jusqu’à délaisser sa famille, comme mon fils de 2 ans et sa maman qui sont pourtant très importants dans ma vie.  »

Pascal Jalhaij, 34 ans, se dirige en voiture vers la campagne verte maillée de canaux qui encerclent Amsterdam. Il a rendez-vous avec le grossiste qui le fournit en viandes et légumes, essentiellement élaborés en bio. Comme tout grand chef, il a conscience que la qualité de ses plats passe par l’excellence des produits. Le temps de faire le point, il repart en direction de la ville. Le restaurant Vermeer, dont il est le chef depuis trois ans seulement, est situé en face de la gare, au sein de l’hôtel NH Barbizon palace, un lieu plein de charme.  » Quand je parle de la ligue des champions, ce n’est pas qu’une image. Etre présent dans ses cuisines six jours par semaine, assurer le service au plus haut niveau, exige une éthique de vie, une discipline, une alimentation adéquate « , poursuit-il.

Le repas qu’il prend à 11 h 30 précises avec son équipe à la table d’hôtes installée dans la cuisine de son établissement est effectivement frugal : du pain, du fromage, des légumes, des fruits et, en guise de boisson, du lait. Puis vient le coup de feu. Pascal a l’£il à tout. Il apporte la touche finale aux cuissons, à l’assaisonnement des assiettes qui partent en salle. Le midi achevé, il participe à la préparation de l’imposant service du soir.  » Je m’accorde une pause de trente minutes vers 17 heures ; je vais seul au bar, je bois un verre et je m’enferme dans ma bulle. J’adore mon travail et mes employeurs (la chaîne espagnole NH) m’accordent toute leur confiance.  »

Depuis son arrivée au Vermeer en août 2000, les choses sont allées bon train. Début 2001, le Guide Rouge Michelin a tout d’abord retiré l’étoile que l’établissement détenait. Puis, coup sur coup, en 2002 et en 2003, il en a décerné une, puis deux. Un résultat remarquable pour un jeune chef qui occupait son premier emploi en tant que chef titulaire. Entre-temps, Pascal Jalhaij a publié un premier livre de recettes. Et il prépare le suivant pour l’année prochaine.  » J’ai énormément de chance. Je suis jeune, j’ai deux étoiles et je ne suis encore qu’à mi-chemin dans la recherche de mon identité culinaire. Il me faudra encore dix ans pour dessiner ma cuisine. Souvent, le monde des cuisiniers ne voit en moi que les innovations, le choix des épices et condiments, les accords de saveurs particuliers. On dit d’ailleurs que je suis hype. Dans le métier, les jeunes parlent de cuisiner comme Pascal ; ils s’inspirent beaucoup de ce que je fais. Mais ils ne se rendent pas compte que je suis avant tout attaché aux bases classiques, l’épine dorsale de notre cuisine occidentale.  »

Effectivement, alors que beaucoup sont aujourd’hui influencés, emportés par la vague El Bulli (le célèbre restaurant du grand chef espagnol Ferran Adria), la carte du Vermeer ne semble pas inspirée par les mêmes techniques. Ici, pas de siphon générateur d’écumes (les espuma), et encore moins de plats gélatineux réalisés avec l’agar-agar. L’huile extravierge venue du sud et le beurre des prés hollandais se côtoient dans les préparations. L’attention portée aux cuissons, à leur justesse est poussée à son comble. Chaque cuisinier porte, agrafé à la bavette de son tablier bleu, une sorte de trombone. Il s’agit d’une aiguille que l’on plonge dans le c£ur du produit. Le test de température se fait en plaçant la pointe de celle-ci juste en dessous de la lèvre inférieure. La technique est plus rudimentaire qu’un thermomètre électronique mais au moins aussi efficace…

Chez Pascal Jalhaij, une sauce est une sauce et le produit û toujours noble û subit peu de transformations, à l’image de cette langoustine crue présentée avec trois accompagnements différents.  » Je ne veux pas manipuler le produit, seulement l’accompagner avec d’autres saveurs qu’on découvre. Nous recherchons tellement le goût originel que mes assaisonnements sont très légers. Je n’emploierai, par exemple, jamais de poivre avec des épinards cuits, parce que le consommateur peut l’assimiler à du sable qui perturbe la dégustation. Par ailleurs, on peut avoir des saveurs poivrées avec d’autres ingrédients, comme de l’échalote crue ou un jus de citron réalisé à partir de citrons confits. En combinaison avec les épinards, c’est génial.  »

Résultat : le plat démarre en bouche par ce que l’on attend. Le goût de la viande, le poisson, le légume sont bel et bien là, exacts. Mais, subtilement une élaboration très sophistiquée de saveurs vient titiller les papilles provoquant une succession de moments magiques dans la bouche. Un must. Pour Weekend Le Vif/L’Express, Pascal Jalhaij a choisi d’illustrer sa cuisine des produits de la mer, avec des poissons mais aussi des produits de saison. Ses coquilles Saint-Jacques, simplement sautées au beurre, sont déposées sur un tapis scintillant de minuscules dés croquants de légumes. La douceur des unes est compensée par l’acidité, la fraîcheur des autres. Le tout relevé par de la poudre de baies de genévrier. Quant à la crème de truffes noires, elle est contrastée par une lamelle d’avocat glissée sous cette sauce. Et les yeux, le nez et la bouche sont comblés de couleurs, d’odeurs et de saveurs.

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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