Né en 1905, le grand couturier Christian Dior était un fin gourmet et un sacré gourmand. Disparu en 1957, au sommet de sa gloire, le créateur du  » new-look  » mitonnait un livre de recettes que ses amis ont publié en 1972. Pour le centenaire de sa naissance, en exclusivité pour Weekend, le chef 3-étoiles de l’Arpège, à Paris, Alain Passard, lui a composé un menu exquis que nous vous invitons à partager.

Recettes en page 48.

Carnet d’adresses en page 119.

Cela aurait pu être une rencontre entre le Breton et le Normand. Aux fourneaux, il y aurait Alain Passard et à table Christian Dior, éternel gourmand qui se régalerait à la table de l’Arpège. Né à Granville dans la Manche, Christian Dior tenait la grande cuisine bourgeoise en haute estime. Il la pratiquait même en virtuose, comme tout ce qu’il touchait. Vincent Leret, un des conservateurs du musée Dior, aime montrer aux visiteurs intéressés par la chose un portrait peu classique de Dior, pris par un proche dans la propriété viticole qu’il avait dans le Var. On y voit le célèbre couturier, ayant endossé un tablier de maître de chais, occupé à embouteiller une de ses liqueurs.

Les bons plats et la vie trépidante ont eu tôt raison de Christian Dior. Il s’en est allé le 29 octobre 1957, alors qu’il faisait une cure aux thermes de Montecatini en Italie. Il avait 52 ans. C’est quinze ans plus tard que Christian Dior Paris publie, dans une édition limitée à 4 000 exemplaires, un ouvrage à la finition luxueuse. Le titre  » La Cuisine cousu-main  » est repoussé dans une feuille épaisse d’aluminium brossé qui sert de couverture. Et le livre lui-même est présenté dans un coffret en Plexiglas. Les chapitres : soupes, desserts, poissons… sont introduits par de magnifiques dessins de René Gruau, affichiste de la maison Dior depuis la première heure.

On y trouve, imprimées sur un papier épais, quelques douzaines de recettes trouvées dans les carnets de celui qui mettait autant de soin à composer ses menus qu’à créer ses modèles. Raymond Thuilier, alors propriétaire légendaire de L’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence, préface l’ouvrage en citant Christian Dior :  » Les matériaux en cuisine sont aussi nobles qu’en couture, et ce que j’aime dans l’exercice de ma profession, c’est l’association à la réalisation de l’£uvre de la participation des mains et de l’esprit. J’éprouve en cuisine les mêmes sensations, et si la cuisine est une £uvre de l’intelligence, les mains en sont les exécutants fidèles, car la réalisation d’une £uvre ne peut être parfaite que si l’imagination créatrice est associée d’une façon fidèle aux mains.  »

Les recettes de ce livre témoignent des us d’un autre temps. Pour preuve, le potage crème de cerfeuil, compte, entre autres, 100 g de beurre, 3 c à soupe de farine, 2 c à soupe de crème et 3 jaunes d’£ufs ! La table est aussi luxueuse. Christian Dior mesure, par exemple, 35 g de caviar par £uf moscovite… et 40 g de crème double. Quant à la matelote d’anguilles, elle est confectionnée au Dom Pérignon. Vins et alcools sont très présents : on cuisine alors les maquereaux au chablis, la sole au Noilly, le bar au cognac, le perdreau au calvados, la bécasse et le perdreau, à nouveau, au Dom Pérignon.

Et si Christian Dior avait connu la nouvelle cuisine, la cuisine minceur de Michel Guérard ou la cuisine des légumes d’Alain Passard ? C’est au grand 3-étoiles parisien que Weekend a demandé de concocter un menu inspiré des préparations ou des ingrédients préférés du grand couturier. L’évolution de ce chef breton – qui ne renierait le beurre pour rien au monde – aurait pu séduire le père du  » new-look « . Lui, le rôtisseur réputé a renoncé à cuisiner des viandes pour mettre en vedette les légumes qu’il cultive dans ses deux potagers.

 » Si j’avais Dior à ma table, confie Alain Passard, je lui proposerais aussi notre jardinière de légumes. Elle est très colorée, très dessinée. Ce serait une sorte d’écho à l’amour qu’il pouvait avoir pour les fleurs et les textures. Mais pour rester dans le domaine qu’il aimait, son menu compterait un £uf, un velouté, des moules de Granville et un soufflé au chocolat. L’£uf est un grand classique de l’Arpège. A l’intérieur il y a un jeu de saveurs, de textures qui, à mon avis, l’aurait amusé, avec la crème fraîche et le sirop d’érable. Le velouté de laitue est un plat courant dans la Manche. Dans les familles, on commence toujours un dîner par un potage velouté, rehaussé par cette petite crème qui flotte à sa surface. Elle est parfumée à la poitrine fumée, qui apporte un petit côté animal très plaisant. Pour les petites moules de Bouchot de la baie de Granville, là où Christian Dior est né, le clin d’£il est évident. Les moules cuites marinière sont décortiquées et plongées dans une émulsion de pétales de capucine. Quant au soufflé au chocolat, on reste dans la tradition, avec du bon cacao, des £ufs. La variante vient de l’infusion de fleurs de camomille fraîche. C’est une recette très gourmande qui lui irait assez bien.  »

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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