Si le septième art est le miroir de l’inconscient de la société, son reflet du mâle d’aujourd’hui est aussi hésitant que tourmenté.

Le cinéma est généreux en archétypes de ratés, mais aussi de simples irrésolus. Et le mâle en mal d’être n’est plus uniquement la spécialité des films  » made in France « , il est devenu universel. Les superhéros ont des failles, même 007 dans le dernier James Bond.  » Les hommes ont le choix entre deux options : se conduire en salauds ou en insuffisants, en minables « , entendait-on déjà dans un film d’Arnaud Desplechin, Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle), en 1996.  » En vingt ans, la vie est devenue encore plus crue, plus difficile, le chômage a augmenté, les peurs se sont démultipliées, la féminisation de la société et le déboussolement des hommes, également. Tout va plus vite, tout est accessible – les biens et l’information – plus rapidement. De nouveaux enjeux, liés à l’environnement, notamment, sont une source d’angoisse supplémentaire « , constate Emmanuel Ethis, sociologue de la culture, auteur de Sociologie du cinéma et de ses publics (Armand Colin).

DE GRANDS GAMINS

Dès lors, en ces temps de crise, l’homme est-il toujours pris dans l’étau binaire salaud-minable ?  » Il semblerait surtout qu’il ne sache pas qui il est, qu’il soit en perte de repères, voire, parfois, sujet à des troubles psychiques sérieux « , analyse Francesca Biagi-Chai, psychanalyste. Mais si l’homme moderne ne sait pas où il va, ni comment il y va, il sait construire ses parades, ses lignes de fuite. Il peut, par exemple, décider de ne pas grandir, ou de refuser les conventions de l’âge adulte. L’adulescent masculin est omniprésent et récurrent dans le cinéma. Dans le droit fil des  » teen comedies « des années 80, l’homme ne trouve plus de raison de grandir. Mieux, il est – plus ou moins bien – accepté par la société en tant que grand enfant. Le postulat sous-tend des films comme Bienvenue chez les Ch’tis (2008)ou Intouchables (2011). Il est également au coeur de Gatsby le Magnifique (2013).Le personnage initialement imaginé par Fitzgerald s’accroche à ses rêves d’enfant, au point de passer sa vie au filtre de la mélancolie, de l’insatisfaction et, pour finir, du tragique. Il est intéressant d’observer que la plupart des rôles qu’endosse Leonardo DiCaprio, l’adulescent par excellence, sont habités par cette tristesse de ne pas avoir su confronter les rêves d’enfant à la réalité du présent. C’est le cas dans Inception (2010), aussi bien que dans Les Noces rebelles (2009) ou Les Infiltrés (2006).

De même, dans Les Gamins (2013), Thomas (Max Boublil) regarde, lui, son futur beau-père (Alain Chabat) se décider à mener une vie régressive et tâcher de retrouver sa jeunesse perdue, tandis que ce dernier voit glisser son aspirant gendre sur la pente de la vie plan-plan qui lui fait horreur. Schéma typique, selon Jacques Arènes, psychanalyste et coauteur de La Défaite de la volonté (Seuil) :  » Les adulescents que le cinéma met en scène repoussent le moment de s’engager dans un emploi ou une vie affective stable, et continuent à entretenir un rapport enfantin avec la transgression.  » Et c’est précisément dans ce rapport enfantin que se joue le ressort comique. Voir Chabat flamber en boîte ou rire bêtement est certes pathétique dans ce que cela révèle des maux de l’époque, mais c’est aussi terriblement efficace.

JUSQU’AU DÉGOÛT

Certains maux/mots sont par contre tout neufs. Tels que  » bipolarité « , le nouveau  » mal du siècle « , qu’il y a quelques années on aurait qualifié de troubles maniaco-dépressifs. Pat Solatano (Bradley Cooper) en est atteint dans Happiness Therapy (2013). Il a tout perdu : sa maison, son travail et sa femme. Il se retrouve dans l’obligation d’emménager chez ses parents après huit mois de traitement pour trouble bipolaire. Malgré tout, Pat affiche un optimisme à toute épreuve ; il est déterminé à se reconstruire et à renouer avec son ex-femme. Rapidement, il rencontre la jolie Tiffany (Jennifer Lawrence), au parcours mouvementé. Le personnage principal, qui n’a donc rien au départ du classique héros américain, parvient finalement à sourire à la vie, à reprendre confiance, et à guérir, imagine-t-on,  » d’une façon aussi peu crédible que sympathique « , estime la psychanalyste Francesca Biagi-Chai. Un nouveau filon pour Hollywood que ces troubles psychiques : on les retrouve en effet dans le dernier Soderbergh – Effets secondaires (2013) -, comme dans la série à succès Homeland (2012).

Nettement moins hollywoodien, le thème de la misère sexuelle travaille les psys tout comme certains cinéastes à la marge. Dans Shame (2012),de Steve McQueen, ce qui préoccupe le réalisateur n’est pas tant l’addiction sexuelle dont souffre son personnage – bien que celle-ci soit mise en scène, avec tout ce que cela implique de transgressions des codes du cinéma américain – que sa solitude psychique. Sa honte. Ce sentiment de dégoût de lui-même et des autres, qui différencie l’homme de l’animal.  » Le thème de la honte au cinéma est assez rare, explique Emmanuel Ethis. C’est une notion plutôt littéraire et philosophique. Qu’elle surgisse aujourd’hui avec tant de force, et, dans le même temps, comme quelque chose de très glacé, presque désincarné, dans le cas de Shame, révèle des mécanismes très profonds de dégoût du monde.  » Dans le film, Brandon, incarné par Michael Fassbender, utilise tous les moyens modernes, de la webcam à la prostitution en ligne, et ignore le sentiment amoureux. Son attitude reflète un monde où la pornographie disponible à l’infini sur Internet a formaté les fantasmes et transformé le rapport à autrui. Jamais Freud n’a autant eu raison : le sexe est une pulsion de mort. Pas très réjouissant.

Irait-on cependant jusqu’à reprendre pour le compte du cinéma la notion d’effondrement de la masculinité, chère aux sociologues ? Tentant, mais ce serait opérer un raccourci un peu rapide… Reste qu’en tant que spectateurs, nous regardons défiler à l’écran ce qui fait la vie des hommes. Cette vie est aujourd’hui lourde, de contraintes, de peurs, mais aussi d’émotions et de sens. Ou comme l’a écrit Edgar Morin :  » Dans la salle obscure, morts provisoires, nous regardons les vivants.  »

PAR ELVIRA MASSON

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