Il a l’air un peu  » zot  » mais, au fond, c’est un garçon en or. Et un créateur aux mains d’argent. Le Belge Libertin Louison (sic) possède une manière bien à lui d’envisager la haute couture, l’élégance et les femmes. Rencontre décapante.

(1) Article du 23 janvier dernier.

Carnet d’adresses en page 153.

Baraqué, bien baraqué même, le cheveu long et noir, le look un brin gothique – normal, il adore The Cure depuis la préadolescence -, et le débit vocal plutôt rapide, Libertin Louison ( NDLR : il a choisi, pour griffer son label, de faire précéder son prénom par son nom de famille, comme à l’école), est un créateur belge, un vrai. En d’autres termes, il possède savoir-faire, patience, audace, détermination ainsi qu’une juste dose de surréalisme et un petit côté déjanté tempéré par un solide bon sens. A 30 ans, cet Anversois aux racines cosmopolites – mère israélienne, père russe -, a déjà une belle carrière derrière lui.

Après des humanités en sciences et techniques de l’habillement, le sieur Libertin étudie la mode à l’Académie royale des Beaux-Arts d’Anvers et décroche son diplôme en 1994, en même temps que sa condisciple Veronique Branquinho. Admirateur du travail de défrichage effectué par les fameux Six d’Anvers (NDLR : ce sont Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Walter Van Beirendonck, etc. qui, dans les années 1980, ont fondé le concept de mode belge), Louison met directement le cap sur Paris. Le jeune homme, en quête d’expérience, travaillera pour plusieurs personnes et notamment pour son compatriote Martin Margiela. En 1999, il ouvre une boutique dans le Marais, quartier  » modeux  » par excellence et tâte de la haute couture en présentant une première collection automne-hiver intitulée  » Migration « . Suivront, au fil du temps, d’autres créations porteuses d’appellations poétiques, mystérieuses, voire mathématiques ( » Nemonisme  » en janvier 2000,  » L’Homme est le restant d’une étoile  » au printemps 2001,  » Une chose s’attache à une autre  » pour l’hiver 2002, par exemple). Son £uvre, épinglée  » hype couture  » par les plus grands magazines de mode, révèle une perception aiguë du design vestimentaire (recherches au niveau des matières, formes sortant de l’ordinaire, coupes impeccables – Louison adore le travail de feu Madame Grès -, interprétations inattendues des canons de l’esthétique classique ou du geste artisanal, etc.).

Invité, cette saison, par la très sélecte Chambre syndicale de la Couture de Paris, à défiler au sein du calendrier officiel, Libertin Louison a présenté ses 27 modèles printemps-été 2003 sous le vocable  » Les Débutantes « . Fraîcheur, légèreté, fragilité sans niaiserie, sophistication un peu effilochée, méli-mélo de matières et palette chromatique sobrement chic caractérisent le travail d’un  » ket  » qui n’est décidément pas manchot.

Weekend Le Vif/L’Express : Pourquoi avoir intitulé cette collection  » Les Débutantes  » ? Est-ce lié à votre entrée dans le calendrier officiel de la haute couture ?

Libertin Louison : Non, pas vraiment, même si je suis ravi d’avoir été invité par la Chambre syndicale et son président, Jean-Charles de Castelbajac, à présenter ma collection plutôt dans que hors calendrier. En fait, j’ai choisi  » Les Débutantes  » parce que je voulais mettre en valeur les (très) jeunes filles, les ados encore malhabiles lorsqu’il s’agit de séduire ou de maîtriser les potentiels de leur féminité. Elles commencent à découvrir leur corps qui change, à entrer tout doucement dans l’univers des femmes, avec les bouleversements que cette étape implique. Je pense aussi que les filles, à ce moment-là, prennent leur mère comme image, comme référence. Elles lui  » piquent  » ses robes, ses accessoires, son maquillage… J’ai donc montré sur podium comment ces gamines se réappropriaient l’allure maternelle : d’une manière un peu rebelle, en déchirant, en effilochant les vêtements, en torturant les ourlets. Parce que quelque part, à cet âge-là, elles entrent aussi en conflit avec leur mère. J’ai beaucoup de respect pour la Femme et via cette collection, je désirais souligner ce respect.

Au vu de vos recherches (d)étonnantes sur les matières en décomposition, on vous a surnommé  » l’Amélie Nothomb de la couture  » ? Qu’en pensez-vous ?

Oh moi, je trouve ça sympa ! C’est vrai que je  » chipote  » beaucoup au niveau des matières, j’aime jouer les alchimistes du textile. Tenez, j’ai par exemple enfoui dans une grande poubelle des tissus mouillés et chiffonnés sur lesquels j’ai appliqué, au préalable, un pigment naturel. Je laisse reposer cette décoction : le pigment va dès lors pourrir, la teinture devient gluante, et j’avoue que ça pue. Genre refoulement d’égout, vous voyez. La dernière fois, mon chat a foutu le camp tellement ça sentait mauvais ! Bon, je rince le tout soigneusement, je laisse sécher et j’obtiens, au final, un effet marbré assez fabuleux. J’ai une cliente française qui m’avait commandé une robe de mariée et ensuite, elle me l’a rendue afin que je la fasse moisir et la transformer en tenue de cocktail. Je vous rassure : lorsque le vêtement est fin prêt, il ne sent rien, absolument rien ( sourire).

Le magazine suisse  » L’Hebdo  » (1) vous a défini comme un  » barjot expérimental  » et un  » être totalement disjoncté « … parmi d’autres propos pas piqués des vers du genre  » Ce manteau, j’étais bourré quand je l’ai fait « . Une réaction ?

Franchement, je ne sais pas ce qui leur a pris : ils ont complètement détricoté mes propos ou alors c’est la journaliste qui était bourrée quand elle a rédigé son papier. Bravo pour l’image qu’ils donnent de moi, ces Suisses ! Même si je ne refuse pas la critique ou les reproches qui, je trouve, renforcent la personnalité.

Question bateau mais… Libertin Louison, c’est réellement ainsi que vous vous appelez ?

Exact. Mon prénom est Louison et en ce qui concerne mon patronyme, il s’agit d’un nom d’emprunt utilisé par mes grands-parents durant la dernière guerre. Histoire d’éviter d’aller à Breendonck, vous saisissez ? Aujourd’hui, je le porte avec fierté parce que grâce à ce nom-là, je suis en vie. Mais je ne préfère pas trop m’étendre sur ce sujet-là.

Vous aviez une boutique dans le Marais à Paris, que vous avez décidé de vendre. Et là, vous faites votre baluchon pour retourner à Anvers. Pour quel motif ?

Oui, j’ai décidé de retourner à mes racines : j’ai une chouette petite maison au Sint-Jacobsmarkt, où se trouvent aussi mon atelier et mes trois collaborateurs. Et en juin, j’ouvre une boutique à Bruxelles, rue de Flandre, à deux pas de la rue Antoine Dansaert. S’y ajouteront quelques points de vente à Paris, comme les magasins Onward et Shine. Je n’ai pas envie de rester  » le designer du quartier « . Je voudrais que mes créations deviennent un produit, quelque chose de sérieux. En outre, je ne tiens plus à habiter Paris, malgré le charme de la ville et l’importance de cette capitale, en matière de mode et de défilés notamment. En Belgique, on est beaucoup plus sérieux, il est possible de travailler vraiment correctement. Question fabrication, je ne bosse plus qu’avec des ateliers belges. Et puis, la mentalité me plaît davantage, la culture de mode est très forte ici et la vie, nettement moins chère. J’en avais marre d’avoir mon atelier dans mon salon, de fourrer mes prototypes dans la chambre à coucher et de réaliser mes bains de teinture dans l’évier de la cuisine, comme doivent d’ailleurs procéder la plupart des créateurs indépendants à Paris… De l’air, par pitié !

Vous fermez votre magasin du Marais alors que Gerald Watelet, lui, reprend position à Paris via un salon de haute couture sis rue François Ier…

Personnellement, je trouve qu’il fabrique des robes de mémés. Ce n’est pas cela que l’on demande d’un Belge outre-Quiévrain. Il faut du punch au lieu d’un parfum  » vieille France « .

Vous continuerez toutefois à présenter vos collections à Paris…

Naturellement, c’est indispensable. Tous mes compatriotes procèdent de la sorte : Veronique Branquinho, Dries Van Noten, Ann Demeulemeester, Raf Simons… ils ont choisi d’habiter la Belgique et de défiler à Paris. De plus, grâce à Dominique, mon associé qui est français, j’ai toujours mes antennes dans la Ville lumière. Ainsi, en janvier dernier, j’ai décroché le plus gros client à Los Angeles, là où se vend la crème de la crème des créateurs belges. Quand vous avez un contrat avec ce client-là, c’est tout le marché américain qui commence à s’ouvrir à vous…

Aujourd’hui on dit que, de par le monde, il n’y a plus que 200 femmes capables de s’offrir une ou plusieurs tenues haute couture à 15 000 euros minimum.

Est-ce exact ?

Pas du tout ; les clientes de haute couture sont bien plus nombreuses que cela ! Seulement, les gens cachent bien leur fortune. Rien qu’en Belgique il y a énormément d’argent, vous savez. A Anvers, je connais quelqu’un qui a un patrimoine estimé à 240 millions d’euros et sur tout le territoire, nombre de familles ont des avoirs plus que confortables.

A quand remonte votre fulgurante passion pour la mode ?

C’est arrivé très tôt. Je pense même que cette passion était déjà acquise à la naissance. Ma mère a toujours aimé s’habiller – on allait, entre autres chez Natan à Bruxelles -, mais mon désir de faire de la mode ne repose pas uniquement sur elle ; désolé, cher Freud ( rire). Dès l’âge de 12 ans, j’étais mordu de fringues, je parcourais tous les magazines du cru, je savais déjà coudre… De manière globale, j’aime ce qui est beau. Un jour, ma mère m’a prêté sa carte bancaire pour que je puisse m’acheter des vêtements. J’ai immédiatement poussé la porte de la boutique Stijl ( NDLR : rue Dansaert, à Bruxelles) et, au vu des collections superbes de tous ces créateurs belges, je me suis  » lâché « . Résultat, j’en ai eu pour près de 900 euros et ma mère m’a mis une baffe ( sourire).

Seriez-vous prêt à créer pour quelqu’un d’autre, un géant du luxe comme LVMH par exemple ?

Franchement, non. Je n’aime aucune des collections proposées par les labels dépendant de LVMH. A choisir, je préférerais bosser pour le groupe Gucci dont l’esprit me convient mieux. Cependant, je ne me sens pas prêt à travailler pour d’autres personnes. Je tiens d’abord à développer ce que j’ai et surtout, à procéder étape par étape. Quand je vois ce qui est arrivé à quelqu’un de talentueux comme Olivier Theyskens, qui a dû cesser de défiler en son nom propre à cause de problèmes financiers, cela me serre le c£ur.

Vous réussissez pas mal du tout, pour quelqu’un qui s’autofinance complètement. Quel est votre secret ?

Je vais vous le résumer en trois mots : le travail, le travail et… le travail.

Propos recueillis par Marianne Hublet n

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