Elle vit un peu à Montmartre et un peu ici, dans cette maison du Brabant wallon décorée par son mari sculpteur, français et surréaliste. Bienvenue chez Nadine Monfils, écrivain et cinéaste belge. Ça déménage.

Elle aurait voulu construire un décor qui lui colle à la peau, option surréalisme, elle ne s’y serait pas prise autrement. Nil-Saint-Vincent, très officiellement centre géographique de la Belgique, une petite place avec arbre et réverbère, qui porte le nom de Clochemerle, tout au bout de la rue en cul-de-sac, une maison blanche avec volets bruns et Octave l’acrobate en guise de totem d’accueil. Sur la patère, dans l’entrée, un chapeau boule. On est chez Nadine Monfils, pas de doute. Ces couvre-chefs-là, elle en sème dans ses romans, ses films, ses décors. C’est la maison de la cousine ; petite, elle était toujours fourrée ici,  » à faire les 400 coups « . Elle avait alors une devise :  » une blague par jour minimum « , sûr qu’elle ne l’a pas larguée en route, elle l’aurait même plutôt inscrite sur son blason. Promis, on ne s’ennuie jamais avec elle.

La haine des tiédeurs

Dans le salon, elle a mis le piano mécanique en route, fox-trot, one-step et biguine. Il appartenait à sa grand-mère, celle de la photo dans le miroir.  » Elle avait une auberge sur la route vers Gembloux, qui faisait aussi restaurant-boucherie-charcuterie. Un truc hallucinant ! Elle l’a tenu pendant septante ans, elle s’appelait Maria, c’était un personnage extraordinaire. J’en ai tiré une pièce de théâtre jouée par Suzy Falk et qui s’appelait La Vieille Folle.  » Dans sa bouche, c’est un compliment, elle appelle Félicien Rops à la rescousse, qui corrobore :  » J’ai la haine des tiédeurs, il faut garder ses belles folies.  » La mémé, elle, pas en reste,  » regardait les matches de foot en disant son chapelet et en flûtant ses bouteilles de pinard, elle était entourée de statues de saints et priait pour que son équipe préférée gagne. Elle me parlait en patois flamand. A 104 ans, elle s’est mise à apprendre l’anglais, à 105, l’allemand. Elle me disait que cela pouvait toujours servir. Elle m’a transmis son énergie. J’ai l’impression qu’elle est sur mon épaule « . De l’autre côté de l’arbre généalogique, Germaine, qui l’a élevée aussi, habitait au premier étage de la maison d’à côté.  » On jouait au rami, c’était un tripot chez elle, il y avait tout le temps du monde, le facteur, les tricoteuses, les gens du villageà elle ne parlait que wallon.  »

Dans sa galerie de portraits, il faut ajouter pêle-mêle le fantôme de la maison, mon oncle Joseph, Jean-Pierre Jeunet,  » mon ami, mon idole absolue « , ses fils Raphaël (30 ans) et Geordy (20 ans), ses livres, son grigri (un nez de clown offert par son mari, rouge, référence à Giulietta Masina), René Magritte, pour  » son univers « ,  » son mystère « , David Lynch,  » ce n’est pas par hasard si j’ai une passion pour lui, d’ailleurs mon flic, dans les romans Babylone Dream et Tequila frappée, s’appelle Lynch « . Et surtout Patrick Serrigny, son mari, qui fait  » des sculptures bizarres, avec des objets de récup, il les appelle des  » brols « . Il a un monde surréaliste, il pourrait être belge. D’ailleurs, il a été adopté par Jan Bucquoy, Noël Godin, André Stas, Michel Antaki, c’est ma bande, j’adore les trublions. Parce que je me sens comme eux « .

L’ amour des déjantés

Voilà, les présentations sont faites. Avec Nadine Monfils, il faut se laisser aller à l’inconnu, au surnaturel, au déjanté. Regardez son salon. Un lustre avec petites têtes décapitées, un divan-baignoire sabot en zinc, un fauteuil de coiffeur en cuir rouge, un poêle qui ronfle quand c’est nécessaire, des statues de sainte Thérèse (héritage de la grand-mère paternelle), les £uvres surréalistes de Patrick, notamment, celle-là, baptisée Sept ans de mariage, avec Marilyn Monroe miniature mais animée, Joconde, Christ, angelots, lune, pigeon blanc et petit monsieur accroché à un parapluie qui s’envole. Un tel titre parce que c’est un cadeau d’anniversaire de mariage, ne pas chercher midi à quatorze heures.

Ces deux-là réunis font plaisir à voir : elle rêve d’avoir une chambre avec vue sur mer ? Il transforme la leur, surprise, avec sable, râteau, faux flots bleus, bateau d’Emile, et un improbable objet qui imite le cri des mouettes, cadeau des Amis du goéland masqué, un festival de polar en Bretagne. Ils se sont rencontrés à Montmartre, Patrick était directeur du théâtre Michel Galabru, Nadine, écrivain belge exilée à Paris. Elle le croise, lui fait lire un texte, sans lendemain. Un jour de promenade, son chien l’entraîne devant le théâtre,  » au rez-de-chaussée, j’ai vu son bureau avec une montagne de papiers, je signais mon premier polar à la Série noire, je me suis dit  » tiens, je vais l’inviter « . Sur un ticket de métro, j’ai écrit, comme une bouteille à la mer, et d’une pichenette, je l’ai envoyé sur le fatras, il est tombé je ne sais pas où. A ma grande surprise, il est venu. On ne s’est plus quittés. Il y a douze ans qu’on est mariés « .  » Onze « , fait le mari. Ils vivent ici à mi-temps,  » parce qu’il a besoin de campagne, il adore les fleurs, son potager. Et il avait besoin d’espace pour travailler ses sculptures, et pour moi, c’est l’occasion de retrouver mes parents et mes amis. Dans cette maison chargée de souvenirs, il a tout refait, avec cette folie que j’adore chez lui.  » Le reste du temps, c’est à Montmartre que cela se passe, dans une ancienne loge de concierge que Patrick a habillée comme une roulotte de gitane.  » Il y a quelque chose des Marolles là-bas. On y trouve un boucher qui chante Le Temps des cerises, organise le mariage d’un travesti et d’un transsexuel avec un faux curé qui les bénit à l’aide d’un balai de chiotte et deux mille personnes qui balancent des fleurs et des petites culottes par les fenêtres ; c’est rare.  »

La passion du verbe

Il est temps de monter à l’étage, dans le couloir, une photo de Nadine gamine, serre-tête et col claudine, deuxième porte à droite le bureau qu’elle aime bien  » parce qu’il ne ressemble pas à un bureau « . Une mezzanine qu’on ne montrera pas, jardin secret, celui de ses souvenirs d’enfance, et une pièce claire, avec quelques vieux meubles hérités de sa grand-mère et des photos de famille. C’est ici qu’elle écrit des  » petites horreurs avec des fleurs autour « . Une passion entamée quand elle avait 8 ans, après l’abattage du saule pleureur dans le jardin, planté par son grand-père Léon.  » C’était encore un peu de son âme.  » Ce fut un tel  » choc  » qu’elle en écrivit un poème –  » c’était déjà gratiné, pas une bluette « . Nadine Monfils ne lâchera plus jamais la plume. A 20 ans, elle est prof de morale ( » pour faire plaisir à mon papa ambassadeur « ), publie son premier roman au Cri, Contes pour petites filles perverses, continue concomitamment à enseigner (pendant dix-huit ans, elle qui n’aime que l’école buissonnière), ouvre une galerie d’art à Saint-Gilles, joue au théâtre, en wallon,  » non peut-être « , mène une vie sentimentale houleuse, déménage souvent, cisèle des romans, des polars, des scénarios, des enquêtes du commissaire Léon, le flic qui tricote.

Depuis, elle est aussi passée derrière la caméra –  » le bonheur  » – pour un Madame Edouard (2004) avec Josiane Balasko, Michel Blanc, Didier Bourdon, Dominique Lavanant, Bouli Lanners et Annie Cordy, plus musique originale de Bénabar, au sommet de leur art dans ce condensé foutraque de crimes et de passions (pour la maille au point mousse, la peinture vivante et les concours improbables). Et aujourd’hui, elle se bat pour tourner son deuxième long-métrage, tiré de son roman éponyme, Nickel Blues, prix des lycéens en France.  » Je n’attends qu’une chose, c’est de recommencer. Comme j’ai un univers à part, cela fait vingt-cinq ans que les Commissions, belge et française, m’envoient sur les roses. Je n’ai plus envie de perdre mon temps, je pense qu’on peut faire des films sans l’aide des Commissions, c’est plus dur mais je suis persuadée qu’on peut y arriver. Je ne lâcherai pas et j’espère que mon film va cartonner, histoire de leur faire un pied de nez.  »

C’est l’heure de lui tirer le portrait, Nadine Monfils s’installe dans le fauteuil de barbier, prend un rasoir dans les mains et se marre. Patrick s’accoude, revient au premier paragraphe, celui de leur rencontre,  » Nadine a dit  » un fatras  » sur mon bureau, en réalité, c’étaient des piles bien rangées.  » Dans le salon, dans un de ses  » brols « , la mort essaie d’attraper une pomme, c’est drôle, elle n’y arrive jamais.

PAR Anne-Françoise Moyson – PHOTOS: RENAUD CALLEBAUT

 » J’adore les sculptures bizarres de Patrick, il les appelle des  » brols « . Il a un monde surréaliste, il pourrait être belge. D’ailleurs, il a été adopté par Jan Bucquoy, Noël Godin, André Stas, Michel Antaki, c’est ma bande, j’adore les trublions. Parce que je me sens comme eux. « 

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