Mille espèces d’orchidées, des coraux splendides, des animaux étranges – les lémuriens : Madagascar est l’un des derniers jardins d’Eden de la planète. Weekend vous emmène dans un voyage envoûtant et de tous les instants.

Pour le visiteur qui descend del’avion sans guère d’images en tête, l’onde de choc commence à  » Tana « , la capitale. Du palais de la reine Ranavalona, qu’on ne visite plus – en réfection depuis 2001 – on aperçoit la façade ouest, en surplomb sur le lac Anosy. De grands jacarandas du Brésil à fleurs mauves bordent la pièce d’eau et sur une presqu’île s’élève le monument de l’ange, appelé l’ange gardien par les habitants. La façade du palais, édifiée en 1845 par le Français Jean Laborde, grand ami ou amant de la reine Ranavalona Ire selon les versions (mais toutes la disent cruelle), recouvrait un édifice antérieur somptueux, en bois précieux. Nul besoin d’éclairage : les allées du jardin, pavées de cristal de roche, brillaient sous les étoiles pour guider les pas. Tananarive est une plongée dans le temps avec ses 2 CV et 4L taxis, ses jardiniers accroupis pour tondre les pelouses à la cisaille, ses boutiques anciennes d’orfèvrerie, de chapeaux, sa courtoisie surannée. La parfaite politesse de l’ancienne génération, qui parle français. Les marchés populeux regorgent de gousses de vanille, d’écorce de cannelle, de poudre de curcuma et de fruits. Mais il y a des besoins criants : des petits mendiants pieds nus croisent des écoliers sages en tabliers de couleurs différentes selon les âges et les institutions, publiques ou privées.

C’est ensuite sur la nationale 7 qu’il faut partir pour se laisser ensorceler par l’île immense : 1 600 kilomètres du nord au sud. Le trajet que l’on fait en 4×4 – dès que l’on s’écarte un peu de la route, on tombe sur une piste – mènera à Tuléar, sur le canal de Mozambique, en passant par le parc national de l’Isalo. Tuléar, bordée de lagons turquoise, est le terminus terrestre. Un petit aéroport peut vous renvoyer vers le nord. Sinon, restent aux aventuriers des chemins de terre hasardeux, rouges comme la braise.

Un monde en camaïeu

La première halte est Fianarantsoa, à 300 kilomètres au sud. On met deux jours pour y parvenir, car on rencontre en route plusieurs chars à zébus, moyen de transport très élégant, par conséquent très lent. En outre, on s’arrête pour voir des  » hotelys « , restaurants routiers minuscules, aux décors merveilleux d’assiettes cassées en mosaïque, des rizières vert émeraude, ou des collines ocre avec maisons de terre couvertes de chaume en camaïeu du même roux.

Mais le plus beau détour passe par Sakaiva. Le village zafimaniry jadis caché du fisc colonial prend des airs de paradis dans les montagnes bleues. On y arrive à pied et on entre côté point d’eau : les jeunes filles vous supplient par des signes de faire une prière avant de vous laver. Les cases en palissandre, bâties sur la colline, s’orientent sur la case ancestrale du chef. Entièrement sculptées de motifs symboliques, incrustées de bambous, en signe de lien charnel à la forêt, elles tiennent par des chevilles, sans un clou. L’Unesco a classé cette architecture patrimoine de l’humanité.  » Les Zafimaniry aiment pratiquer l’hébergement « , commente l’interprète, c’est l’unique chance de sauver Sakaiva. On frémit à l’idée que les candidats aux élections, l’après-midi même, aient promis une piste pour y accéder.

A l’intérieur de la case, la place exclusive de la femme est près du feu, non loin du pilier central où le père s’appuie le soir, pour conter les fables aux enfants. Le lit du couple tient le nord-est, dit  » coin des ancêtres « . Les enfants dorment à côté, sur les nattes, les poules dans un placard près de la porte. Des massifs de rosiers sauvages protègent la colline où nos tentes sont dressées. Il faut ensuite arriver à Fianarantsoa le soir, pour la voir nimbée d’une lueur orange. Construite pour la même reine sanguinaire, qui n’y mit pas les pieds, c’est un petit Tana tourné vers le couchant, en mieux conservé. Le haut quartier, pavé de granit rose, aux murs de brique, aux toits de tuiles plates, pourrait devenir un rendez-vous culte. Deux maisons d’hôte y ont ouvert, en matériaux locaux nobles. Dont l’inégalable Tsara Guest House. Meubles raffinés, fleurs cireuses odorantes d’un frangipanier blanc planté au-dessus des marches, qui tombent sous vos pas dans l’escalier : mille détails empêcheraient de repartir. Au reste, ce serait une bonne £uvre : l’hôtelier investit ses gains dans la haute ville que son militantisme a sauvée.

Le pays est si grand, le voyageur se sent petit, le peu qu’il entrevoit le touche profondément. Un niveau de vie très bas, proche de celui du Mali. 17 millions d’habitants, dont 53 % de moins de 25 ans. Les écoles manquent de crayons, de papier, d’instituteurs payés régulièrement. Les parents contribuent comme ils peuvent. Ils font sept enfants, pour le moins, faute de système de retraite agricole (les Malgaches n’abandonnent pas leurs parents). Allant vers le sud-ouest, on change de relief, de climat et de langue, et on part à la découverte des ethnies. Les Betsileo façonnent des lames de scie pour la marqueterie à partir d’armatures de pneus. Ils ne teintent pas les bois, sauf par trempage, pour composer leurs miniatures, d’une sereine perfection. Les Bara cueillent les cocons de soie sauvage, par permission spéciale, dans le parc national de l’Isalo. La soie dorée sert aux linceuls, car ils enterrent aussi leurs morts dans l’Isalo. En fait, ils habitaient ce désert grandiose où se cachent des piscines naturelles avec cascades, fougères et grottes en nymphée. Ils étaient si nombreux, les habitants du parc, à sa création, qu’on a fondé 40 villages pour eux.

Les coraux menacés

Et, au bout de la plaine couverte d’épineux, après les mines de saphir à ciel ouvert, les pêcheurs vezo construisent leur pirogue dans du bois de balsa ultraléger : toute planche, au besoin, servira de bouée. Deux pirogues reliées par des cordages forment un catamaran, maison sur l’eau : la famille campe sur les plages. On voit de ces catamarans près de Tuléar, à la fin de notre voyage, qui emportent tout un barda : ballots serrés, marmite d’alu, bois de lit sculpté, ainsi que du corail, celui-là illégal. Madagascar s’enorgueillit des coraux des trois sortes : rouge, noir et blanc, tous protégés, et menacés de mort par le réchauffement annoncé de 2 degrés. Amateurs de plongée, il est encore temps de les voir vivants, avec les pêcheurs piroguiers. A la voile et à la pagaie – sans impact sur le climat – ils vous y amèneront, plutôt que d’assister à ce pillage qui leur tire de gros soupirs.

Les Malgaches savent pourtant que l’île possède des trésors : 1 000 espèces d’orchidées, 30 de bambous, 7 de baobabs (contre 1 en Afrique), une famille entière d’animaux, comprenant plusieurs genres : les lémuriensà On n’a pas encore décrit complètement les sousbois. Tout chercheur qui s’enfonce dans une forêt rapporte des espèces inconnues sur le globe et qu’il lui faut nommer. Le taux élevé d’endémisme, 80 %, indique que 8 espèces malgaches sur 10 n’existent que là. Du moins à l’état sauvage. Cette diversité fabuleuse provient d’une évolution isolée, sur des millions d’années, mais le reste du monde ne sait plus s’en passer. C’est la pervenche de Madagascar, cultivée en masse au Texas, qui fournit les remèdes contre la leucémie infantile. Pervenche en régression dans sa forêt des origines, martelaient les écologistes au cours des années 1980. Sa culture rapportait alors 4 milliards de dollars par an. Mais rien pour le pays – excepté sa réputation.

La suite, on la devine : arrivée des chercheurs en biologie, en pharmacie, en cosmétique. L’île devient le terrain de jeu de la jeunesse intellectuelle, la destination de vacances des fondateurs de Google et autres Californiens épris de nature vierge. Le WWF y achète des forêts pour les protéger des incendies, séquestrer le carbone et réguler le climat. Madagascar a promis de tripler le territoire protégé de l’île, pour atteindre 9 %. Tous les matins à l’aube, au Relais de la reine, des touristes visent dans des objectifs de macrophotographie, l’équivalent actuel du filet à papillons. Leur chasse, au moins, ne fait de mal à personne. Et vous, quels rêves emporterez-vous dans vos bagages au retour de cet envoûtant voyage ?

Marie-Paule Nougaret

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