Linda Cantello sans fard

Retenez bien son nom. A 40 ans, cette Londonienne va désormais concevoir tous les maquillages de Yves Saint Laurent avec l’unique dessein de nous rendre plus sexy. Rencontre avec Linda Cantello.

La griffe Yves Saint Laurent, que ce soit en mode ou en beauté, ne fait jamais rien comme tout le monde. C’est ce qui fait sa force et sa modernité. Pour renforcer encore le style unique de ses maquillages, mélange d’audace et de créativité, la maison parisienne vient de faire appel à Linda Cantello. En collaboration avec Tom Ford, directeur artistique de la marque, elle va marquer Yves Saint Laurent de son empreinte ultraféminine, moderne et très sexuée. Interview.

Weekend Le Vif/L’Express: Selon Tom Ford, directeur de la création pour Yves Saint Laurent, votre style de maquillage est  » extrêmement sexy « . Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il entend par là ? Qu’est-ce qu’un maquillage sexy ?

Linda Cantello: Pour moi, un maquillage sexy, c’est un maquillage qui n’est pas parfaitement maîtrisé, qui laisse transparaître les traits naturels. J’aime bien ce côté légèrement défait : les yeux « fumés » qui semblent avoir été maquillés quelques heures auparavant, une bouche estompée, sans démarcation ni de trait de crayon. Un maquillage sexy n’est pas un masque. Il doit donner envie de caresser le visage de la femme sans crainte de lui enlever son fond de teint, d’embrasser ses lèvres sans crainte de déranger son rouge à lèvres.

Dans les années 1990, vous vous êtes rebellée contre les conventions glamour et vous avez lancé un type de beauté individualiste, incarné par Kate Moss. Quelle est la différence entre un maquillage sexy et un maquillage glamour ?

Un maquillage glamour, c’est un maquillage prôné par Hollywood, à sa grande époque. Celui de Marilyn Monroe, par exemple. Un maquillage sexy, c’est comme dans les années 1970. Julie Christie pourrait, par exemple, l’incarner.

Comment avez-vous rencontré Tom Ford ?

J’ai eu la chance de collaborer à son premier défilé Gucci à Milan. Il m’avait demandé d’assurer les maquillages de ce défilé. Ce fut le début de notre histoire. Les années ont passé, mais il est toujours aussi sympa. Il n’a pas changé. Il est charmant et drôle. Il a aussi les pieds sur terre. Nous avons toujours partagé la même vision de la sensualité féminine. Tom aime beaucoup les femmes, il respecte leur personnalité et leur féminité. Lors des castings pour les défilés, il choisit toujours les mannequins qu’il aime bien, même si ce ne sont pas des mannequins  » tendance « , les plus sollicités du moment. Tom a un côté très affectif, il est fidèle et inspire la fidélité. Nous travaillons en famille.

Vous travaillez avec lui depuis 1995. Quels ont été les points forts de cette collaboration ?

Ce fameux premier défilé, inspiré par Julie Christie. C’était le début de l’histoire entre Tom Ford et Gucci. A la fin du défilé, les journalistes sont venues le féliciter, elles étaient toutes très émues. Personnellement, j’ai vécu un moment très fort, lorsque Tom Ford, interviewé par une journaliste américaine, lui a demandé de m’interroger sur les maquillages que j’ai réalisés. Là, j’ai été extrêmement touchée de la confiance qu’il m’a témoignée.

Vous êtes diplômée des Beaux-Arts. Qu’est-ce qui vous a incitée à vous intéresser au maquillage et à en faire votre métier ?

Quand j’étais très jeune, j’adorais donner des conseils maquillage à mes amies. Je leur indiquais comment appliquer certains produits, je leur suggérais des nouveautés. J’aimais beaucoup les  » relooker « . A l’école, c’est toujours moi qui épilais les sourcils de mes copines. A la maison, je n’avais pas le droit de me maquiller, mais je faisais des expériences dans la salle de bains, en cachette. Je mélangeais le fond de teint de ma mère avec du mascara, par exemple, pour créer un fard à paupières brun. Plus tard, j’ai suivi un copain à Rome. Pour pouvoir y rester, il fallait que je travaille. Nous vivions entourés d’artistes, de photographes et de stylistes. J’ai rencontré un photographe et me suis improvisée comme maquilleuse, car je voulais absolument rester à Rome. C’est ainsi que j’ai commencé mon métier.

La nouvelle image publicitaire des maquillages Yves Saint Laurent est incarnée par une Mexicaine, une fille typée à la forte personnalité. Pensez-vous que la femme européenne pourra s’y identifier facilement ?

Il ne s’agit pas d’une nouvelle ambassadrice des maquillages Yves Saint Laurent, mais d’une image publicitaire éphémère, illustrant le look été 2002. La fille, mexicaine, est issue d’une famille aux origines françaises, allemandes et mexicaines. Ce mélange de races est, pour moi, le reflet du monde actuel. Le visuel est inspiré du défilé Yves Saint Laurent Rive Gauche de Tom Ford printemps-été 2002, dont le thème mettait en évidence des imprimés fauves, un hommage à l’Afrique, à l’exotisme, aux tribus, à la mixité des cultures. J’ai donc suivi les orientations créatives de Tom, en proposant un maquillage  » félin  » pour l’été 2002, avec des couleurs de soleil qui illumineront la carnation de chaque femme.

On dit de vous que vous réalisez des maquillages innovants, toujours à l’avant-garde des tendances. Pourriez-vous citer quelques-unes de vos dernières innovations ?

Justement, ce look d’été 2002, avec ses textures impalpables, enrichies de principes actifs traitants. Je cherche toujours des nouvelles matières parce que je trouve que ce sont les matières et les nouvelles techniques qui font la différence et l’innovation en termes de maquillage. Par exemple, il y a quelques années, j’ai été la première à utiliser, pour les défilés, les fards à paupières crème, parce qu’ils offrent une rapidité d’application formidable. Il faut savoir que les mannequins arrivent très souvent en retard et nous n’avons pas beaucoup de temps pour les maquiller. Eh bien, aujourd’hui, je remarque le retour de ces textures crèmes pour les fards à paupières.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Tout ce qui est visuel. Il peut s’agir d’une femme croisée dans la rue, d’une exposition de peintures, d’un clip vidéo. Mon fils a d’ailleurs honte que je puisse, à mon âge, regarder toujours MTV. Les couleurs des fleurs dans mon jardin, une lumière à un moment de la journée me donnent également des idées. Bref, la vie m’inspire.

Quelles sont vos priorités lorsque vous réalisez un maquillage ?

Le teint. Il est le plus important, c’est la base de tout maquillage. Il faut mettre en valeur la spécificité de chaque visage, de chaque carnation, pour révéler la personnalité de chaque femme. Psychologiquement, il est primordial que chaque femme se sente à l’aise, bien dans sa peau. Le maquillage doit lui faire plaisir. Avant de maquiller une femme, j’ai besoin de la connaître, de parler avec elle, de ressentir sa personnalité. Si je me contente de réaliser le plus beau maquillage du monde, sans tenir compte de sa personnalité, elle ne se sentira pas bien, car je n’aurais pas su interpréter ce qu’elle est et ce qu’elle attendait.

Contrairement aux créateurs de maquillage des grandes marques concurrentes, votre nom est peu connu. Comment comptez-vous vous imposer ?

La notoriété, ce n’est pas ce qui me motive. Je suis amoureuse de mon métier. J’ai toujours baigné dans un univers d’artistes, de designers de mode, de stylistes, de photographes et de mannequins. Mon métier me permet de profiter de cette ambiance incroyable où différentes créativités se côtoient et se nourrissent les unes des autres. Nous sommes tous au service de l’imaginaire, du rêve, de l’art de faire plaisir et de se faire plaisir. J’ai beaucoup de chance d’avoir été choisie pour interpréter, en termes de maquillage, les orientations artistiques de Tom Ford pour Yves Saint Laurent. Tom projette cette marque dans le futur et mon rôle est d’interpréter sa vision avec mon expertise en maquillage.

Tom Ford vous a-t-il donné carte blanche ? Comment se passera votre collaboration en pratique ?

Je pense qu’il a entièrement confiance en moi, il me laisse libre d’interpréter ses orientations et sa vision des femmes. Notre complicité fait que j’arrive à savoir ce qu’il souhaite.

Vous serez associée, au sein de la Recherche & Développement YSL Beauté, à l’élaboration de nouvelles couleurs et de textures modernes. Peut-on encore révolutionner la couleur et les textures ?

Bien sûr, chercher et innover, c’est cela qui est motivant. Pouvoir s’appuyer sur un laboratoire de Recherche & Développement YSL Beauté est pour moi une grande force et m’excite énormément. Tout évolue, rien n’est statique. La technologie ne cesse de progresser. Les produits de maquillage Yves Saint Laurent ont de réelles revendications « soin ». Par exemple, la Sérilisse-H, exclusivement mise au point pour Yves Saint Laurent et utilisée dans Rouge Vibration a un effet galbant, laissant les lèvres confortables, pulpeuses et gourmandes. Ou encore les pigments enrobés d’extrait de camomille dans la Poudre éclat d’été. Cet enrobage d’extrait de camomille a pour effet d’améliorer le glissant du produit à l’application et de masquer les imperfections sans dissimuler le grain de la peau, ce qui donne un maquillage très naturel.

Et quelle est votre définition de texture moderne ?

Cela change tout le temps. Une texture qui pour nous aujourd’hui est moderne devient obsolète très vite, compte tenu de l’accélération en termes d’innovation de la recherche.

Propos recueillis par Barbara Witkowska

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