l’inoxydable

Malgré un agenda surchargé, à quelques jours de l’ouverture de son flagship store géant sur la Fifth Avenue, au cour de New York, Tommy Hilfiger a accepté de nous rencontrer. Dans son bureau, le créateur américain évoque sa philosophie de vie. Et tout en retraçant sa carrière, pointe les défis de la crise.

Situé sur la West 26th Street, le siège de l’entreprise new-yorkaise n’affiche pas vraiment un look glamour. L’entrée est sobre et la décoration de certains étages plutôt simple. Surprenant pour un homme dont le patrimoine immobilier comprend un pied-à-terre à l’Hôtel Plaza, près de Central Park, une maison à Greenwich, dans le Connecticut, et une résidence secondaire sur l’île Moustique, paradis de la jet-set situé dans les Indes- occidentales (Antilles britanniques). Au sixième étage, à côté des showrooms et des départements Marketing et Communication, se trouve le bureau du grand patron, avec une vue splendide sur Big Apple.

Aux murs et sur les étagères foisonnent distinctions honorifiques et témoignages élogieux d’organisations caritatives et environnementales. A travers la fondation qu’il a créée en 1995, Tommy Hilfiger a déjà distribué des millions de dollars en faveur d’£uvres aussi diverses que la Nancy Davis Foundation contre la sclérose en plaques (une des s£urs du créateur a souffert de cette maladie), le mémorial Martin Luther King Jr, soutenu les victimes de l’ouragan Katrina ou encore des camps de vacances pour les jeunes du ghetto du Fresh Air Fund. Une obligation morale, selon lui.  » J’en retire beaucoup de satisfaction, confie-t-il. Nous ne sommes pas parfaits mais beaucoup d’entreprises américaines n’en font pas assez. « 

A 58 ans, Tommy Hilfiger semble en bonne forme, malgré un agenda surchargé : il est papa pour la cinquième fois (sa deuxième épouse vient de donner naissance à leur premier enfant), le nouveau temple de la marque va ouvrir ses portes sur la prestigieuse Fifth Avenue et la chaîne de magasins Macy’s le réclame pour une publicité.  » Les vacances ne sont pas à l’ordre du jour, confirme-t-il d’un air jovial mais posé. J’ai toujours aimé travailler. Deuxième d’une fratrie de neuf, je n’ai pas été privilégié. J’ai dû me lancer dans la vie active très jeune. J’ai découvert ainsi que le travail ne tue pas et qu’il peut même être agréable. En outre, à la maison, j’étais entouré de personnalités très différentes, avec leurs idées propres. Cela m’a beaucoup aidé quand, plus tard, j’ai dû gérer une équipe et une entreprise. Il ne faut pas vouloir diriger trop sévèrement. Encourager l’autonomie est plus sage. « 

A quelques mois du 25e anniversaire de la création de votre label, vous ne pensez pas, dites-vous, une seconde vous arrêter…

Regardez Giorgio Armani et Karl Lagerfeldà Ils ont tous deux plus de 70 ans et sont toujours dans le coup. En ce qui me concerne, je n’ai pas l’intention de tout quitter, car pour moi le travail n’est jamais une routine ni une source de stress. Tout change constamment et il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir.

Malgré les difficultés actuelles, vous pouvez vous targuer de très bons résultats financiers (*). Comment l’expliquez-vous ?

La crise financière a rendu tout le monde nerveux, nous compris ( NDLR : en septembre 2008, Tommy Hilfiger a dû concéder une baisse des prix sur le marché américain). Jusqu’en décembre dernier, nous étions dans l’incertitude quant à l’ampleur de la crise. Et la situation a depuis empiré. D’autre part, le consommateur s’adapte. Il pèse le pour et le contre, surtout pour les articles de luxe, mais il veut continuer à acheter. Il y a donc encore de la place pour un produit de qualité à un prix abordable comme le nôtre.

Vous êtes-vous senti obligé de prendre position publiquement ?

J’ai toujours convié la presse, que ce soit pour présenter la situation économique de l’entreprise ou pour exposer mon opinion sur les problèmes dans le monde. Dans ce cas-ci aussi. Mais je tiens surtout à être sincère avec les consommateurs et montrer clairement que nous ne sommes pas dans le camp adverse – leur bien-être est aussi le nôtre et nous essayons de faire correspondre au mieux la loi de l’offre et la demande. Avec la crise, tout le monde remet tout en question, chez nous aussi. Car, en plus de la crise économique, il y a aussi la question du respect de l’environnement. Face à ces responsabilités, nous nous demandons en permanence ce dont nous avons besoin pour éviter le gaspillage. Je veux diriger une entreprise qui respecte l’environnement et contribue au bien-être de la société mais qui soit aussi rentable. L’un n’exclut pas l’autre.

Et avez-vous envisagé une place pour vos enfants dans l’entreprise Tommy Hilfiger ?

Je tiens surtout à les soutenir dans leurs propres projets : l’un de mes fils veut devenir musicien, ma fille aînée fait de la peinture et du stylisme pour des magazines. Il y a toujours un risque pour eux d’être jugés ou traités différemment parce que je suis leur père.

Rétrospectivement, votre carrière semble être une longue success storyà

A 17 ans, j’ai acheté une vingtaine de jeans avec deux amis et quelques centaines de dollars. Nous avons ouvert une petite boutique : People’s Place. Elle répondait aux idéaux révolutionnaires et au look hippie de l’époque. A 26 ans, nous avions déjà sept filiales dans l’État de New York. Notre commerce a connu un grand succès, mais nous avons négligé l’aspect  » business « . Au bout de cinq ans, nous avons fait faillite. C’était la désillusion. Quand j’ai lancé un label à mon nom, j’ai fait en sorte de réunir autour de moi une bonne équipe de créateurs, comptables, avocats, public relations et techniciens. Si on ne veille pas à tous ces détails, on peut très vite s’en mordre les doigts.

Vous avez des talents multiples : créateur, homme d’affaires et spécialiste du marketing.

C’est instinctif. Pour protéger l’entreprise, je dois la connaître en long et en large, des coupes et matières aux résultats financiers. Je passe beaucoup de temps dans mon studio de création mais derrière chaque grand créateur se cache aussi un grand homme d’affaires. Voyez Armani, Lagerfeld ou encore Ralph Lauren. Tant les médias américains qu’européens sont très critiques envers les créateurs qui réussissent sur le plan commercial. Mais ce n’est pas dans mon caractère de me fâcher ou de me sentir blessé. C’est un gaspillage d’énergie. Je plais à des gens du monde entier et personne ne peut me faire abandonner mon look – j’en suis fier.

(*) En 2008-2009, le chiffre d’affaires de l’entreprise a augmenté de 21 % pour atteindre 1,6 milliard d’euros, et, avec 270 millions d’euros, les bénéfices égalaient ceux de 2007. Cela grâce à un label fort, même s’il n’est plus question aujourd’hui d’entrer en Bourse.

Par Wim Denolf

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content