Elle a déjà été à l’affiche de cinq films cette année. En 2015, on la retrouvera dans L’Incomprise d’Asia Argento. Itinéraire d’une actrice qui navigue de la comédie au drame psychologique avec le même mystère.

On plaignait sa timidité maladive, ses angoisses inhibantes… Assez vives pour densifier son jeu d’actrice, ces souffrances ne semblent plus devoir handicaper la carrière de Charlotte Gainsbourg. Ces douze derniers mois, une heureuse conjonction d’opportunités l’a vue multiplier les rôles au cinéma, où elle a été à l’affiche de cinq longs-métrages. Un feu d’artifice qui élargit considérablement sa palette, tant elle y incarne des personnages que l’on pensait loin d’elle. Et qui lui permettent de ciseler son jeu, tout en creux, retenue, silences maîtrisés, à la façon des grands de l’Actors Studio. Attirée par le rare et la difficulté en même temps qu’attachée au succès populaire – un héritage familial -, la fille de Serge Gainsbourg apparaît cette année dans des comédies et des films d’auteur signés Lars von Trier (Nymphomaniac), Michel Spinosa (Son épouse) ou Benoît Jacquot (3 coeurs). Côté burlesque, Charlotte a aussi joué en 2014 dans Jacky au royaume des filles de Riad Sattouf, et surtout dans Samba des réalisateurs d’Intouchables, Olivier Nakache et Eric Toledano. En 2015, on la retrouvera dans Everything Will Be Fine de Wim Wenders et dans L’incomprise d’Asia Argento.

Dans ce dernier film, qui donne le point de vue d’une fillette dont les parents sont en plein divorce, on la découvre au coeur des années 80.  » C’est une comédie un peu grinçante et, j’espère, touchante « , dit Charlotte Gainsbourg de cet opus dont le titre est un clin d’oeil au chef-d’oeuvre de Luigi Comencini (L’Incompris). L’actrice estime s’être liée d’estime et d’amitié avec la réalisatrice Asia Argento par la magie d’une  » complicité naturelle « . Il faut dire que les deux femmes avaient déjà partagé le même plateau dans Do not Disturb d’Yvan Attal en 2012. Quel rapport entre la jeune cinéaste survoltée, au look punk, et l’élégante Parisienne, un peu fuyante ? L’une et l’autre sont des  » filles de… « , Asia ayant pour père le grand Dario Argento, maître du cinéma d’horreur. Il y a justement beaucoup à dire sur les parents de L’Incomprise, aussi égocentriques qu’excentriques, rigolos et enfantins. Charlotte Gainsbourg y joue la mère, un rôle qu’elle assume dans la vie en élevant trois enfants conçus avec le comédien et réalisateur Yvan Attal. Parions qu’elle a trouvé dans sa propre enfance de quoi nourrir son jeu : Serge Gainsbourg et Jane Birkin n’avaient rien de personnes ordinaires. La quarantaine est l’âge où les filles reprennent inconsciemment certains traits de leur mère, à l’heure où celle-ci lutte contre la vieillesse…

BRÛLANTE ET IMPALPABLE

Autant ce film annoncé pour 2015 s’annonce comme branché, sous perfusion fluo des années 80, autant Samba garde le cap de la comédie populaire. Tout a été dit sur cette fable pétrie de bons sentiments, réunissant un Sénégalais sans papiers (Omar Sy) et une jeune femme d’affaires surmenée (Charlotte Gainsbourg) reconvertie dans l’aide aux immigrants. Au début coincée, pensive et maladroite, Charlotte Gainsbourg, enhardie par les réalisateurs, prend un plaisir visible à rire et à s’abandonner.  » J’ai demandé à Eric et Olivier de forcer le trait de mon personnage, car j’avais peur d’être fade.  » Une crainte infondée, selon son partenaire Omar Sy, lui aussi criant de naturel et d’humanité :  » Charlotte a un sens incroyable de la comédie. En plus d’être marrante, elle est juste, précise. Je la pensais fragile, mais je me demande où sont ses limites.  »  » J’aime me marrer « , confirme celle qui obtint en 2000 un César pour une comédie populaire, La Bûche, de Danièle Thompson.

 » Il y a du génie chez l’actrice Charlotte Gainsbourg, une manière d’être à la fois là et pas là, brûlante, impalpable et fragile comme une flamme, mais une flamme qui contiendrait l’obscurité avec la lumière, le froid avec la brûlure, le silence avec le chant.  » Sur Slate.fr, le critique Jean-Michel Frodon ne tarit pas d’éloges sur la façon dont Charlotte Gainsbourg a enrichi 3 Coeurs, le film de Benoît Jacquot sorti à la fin de l’été. Ce mélo délicat narrant les tourments d’un cardiaque amoureux de deux soeurs – quiproquo scabreux rendu tout à fait plausible – met en scène, aux côtés de Benoît Poelvoorde, Chiara Mastroianni et Catherine Deneuve, une Charlotte Gainsbourg inoubliable en fantôme de la passion. Enfouie sous ses cheveux, son grand manteau battant l’air avec élégance, elle écarquille les yeux de l’amour et transmet tout un orage d’émotions. La star, qui cultive l’angoisse du perfectionnisme comme un stimulant, s’est forgée une voix à sa ressemblance,  » tellement douce, et capable de crier sa souffrance en un chuchotement « , dixit Romain Duris (son partenaire, en 2009, dans Persécution de Patrice Chéreau), et si juste qu’elle flanque  » la chair de poule « , sourit Chiara Mastroianni.

CHEMINS CONTRAIRES

Comment s’affirmer sans paraître prétentieuse, prolonger l’amour que le public vouait à ses parents sans prétendre remplacer ceux-ci, s’épanouir librement quand on veut vous figer dans un statut d’icône ? A la scène comme à la ville, Charlotte Gainsbourg excelle dans les rôles de timides, d’éternelles débutantes toujours prêtes à s’excuser de demander pardon. Tout en s’accordant avec son propre personnage, cette carapace de femme-enfant focalise les sympathies, ne décourage pas l’identification – elle est l’égérie des jeunes filles mal dans leur peau -, sans agripper non plus de trop près l’artiste qui continue librement d’évoluer sous ce couvercle en Teflon. Elle aime les réalisateurs qui l’emmènent très loin, peu importe le prix. Faute d’avoir pu tourner avec Maurice Pialat, génie d’une exigence tyrannique, elle accepte depuis Antichrist (2009) tous les rôles que lui propose Lars von Trier, autre réalisateur  » tête à claques  » dans la grande tradition des Scandinaves angoissés. De Nymphomaniac, son dernier film, on a retenu les nus, l’outrage, le off limit, que Charlotte Gainsbourg interprète superbement en tant que premier rôle féminin. Dans cette parabole pertinente et cultivée, sur la soif du mal et le désir de chute, son protagoniste (Stellan Skarsgard) la compare à une nymphe, chrysalide en attente de sa forme finale.

 » Exquise esquisse « , le mot de Serge sur Charlotte vaut toujours, elle n’en veut pas d’autre. Sans démentir les préjugés qu’on a sur elle, elle en suscite d’autres, absolument contraires. On la trouvait ébouriffée, garçon manqué ? Elle abandonne ses éternels jeans pour rayonner dans la mode, où son corps de mannequin fait merveille : muse de Nicolas Ghesquière, elle a prêté son visage au parfum Balenciaga et pose en top brodé et bottines vernies pour Annie Leibovitz dans la dernière campagne Louis Vuitton. On la trouvait chuchotante, petite voix mélancolique en marge de la chanson française ? Fan de Radiohead, un groupe rock tragico-extatique, l’artiste bilingue sort, en 2006, avec Air, un album insomniaque, 5 :55, chanté en anglais d’une voix profonde et intense. Fidèle aux réalisateurs qui la font sortir de ses gonds (von Trier, Jacquot…), celle qui adore être dirigée n’en conduit pas moins fermement sa vie. Les chemins contraires qu’elle arpente convergent tous vers un lieu secret, caché dans le creux de ses pensées.

PAR JACQUES BRUNEL

 » En plus d’être marrante, elle est juste, précise. Je la pensais fragile, mais je me demande où sont ses limites. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content