L’Okavango, le fleuve qui ne rejoint jamais l’océan, se noie dans le désert du Kalahari et forme ainsi un immense delta abritant l’une des biodiversités les plus riches d’Afrique australe. Un sanctuaire unique, où il reste possible de communier avec la nature et les peuples qui l’habitent. Découverte en pirogue.

Est-ce le fleuve ? Est-ce la terre ferme ? Les champs de papyrus sauvage s’étendent à perte de vue, baignés par la lueur naissante du jour. Seul le cri d’innombrables oiseaux trouble un silence irréel que notre progression en pirogue n’altère pas. Nous glissons à travers une végétation dense, sans un bruit. Deux par deux, portés par des embarcations à fond plat dont la coque émerge à peine de quelques centimètres. On y est presque couché, le dos appuyé contre un dossier de fortune confectionné avec nos matelas de mousse. Nos bras reposent le long du bord. La tentation est grande de laisser la main dériver dans l’eau, de saisir un nénuphar au passage, une fleur de lotus bleuà. Mais gare ! Les crocodiles et les serpents ne sont jamais loin.

C’est un endroit unique au monde. Un sanctuaire écologique. L’immense delta du seul fleuve qui ne se jette dans aucun océan, sinon celui des sables du Kalahari, qui l’engloutissent. Rendu célèbre par Opération Okavongo, une des émissions télévisées de Nicolas Hulot, l’Okavango prend sa source sur les hauts plateaux angolais. Puis, une faille géologique géante l’éclate en de nombreux vaisseaux, lui permettant d’irriguer la moitié nord du Botswana où il entretient un écosystème singulier : dans ce pays grand comme la France et couvert à 80 % par un désert semi-aride, il offre à la nature l’eau essentielle à la vie. Et quelle vie ! Cette luxuriante oasis de 18 000 km2abrite en plein désert la faune et la flore la plus variée de toute l’Afrique australe.

Des éléphants dans le campement

Soudain, un grognement rompt la sérénité ambiante. Ou, plutôt, une sorte de ronflement nasillard et guttural. Un autre lui répond. Puis un troisième. Le poler (dérivé de l’anglais puller,  » pousseur « ) en chef nous intime le silence absolu. Lui et ses compagnons sont des Bayei, ces « hommes de la rivière «  qui, avec les Hambukushu, forment les deux tribus qui peuplent la région du delta et en protègent la biodiversité. Le tourisme est ici strictement réglementé. Impossible, d’ailleurs, de circuler dans cet immense marécage sans l’aide de Jobe et de ses hommes, qui nous pilotent à bord de ces mokoros , surnommés « taxis de l’Okavango « . Sortes de pirogues effilées à fond plat, seules capables de se frayer un chemin dans les chenaux du delta, là où il n’y a parfois que quelques centimètres d’eau et une végétation touffue, striée de somptueuses toiles d’araignées qui captent les rayons du soleil.

« C’est ici le mode de transport traditionnel et ancestral « , nous a expliqué Jobe au moment d’embarquer avec le matériel photo et vidéo, les bagages et la nourriture. Le poler se dirige à l’aide d’une longue perche en bois. Debout façon gondolier en équilibre (très) instable à l’arrière de l’embarcation, il prend ainsi appui sur le fond pour propulser le mokoro d’une poussée fluide et douce. Aucun moteur, le calme est absolu et l’expérience intense : on communie avec l’environnement.

Mais les grognements se rapprochent. Pareils à ceux qui ont chahuté notre sommeil une bonne partie de la nuit, à un souffle des tentes que nous avions plantées sur l’un des innombrables îlots parsemant le delta. Des hippopotames. Toute une famille. Eux ne nous ont pas encore entendus. Une trouée entre les papyrus et nous voilà nez à nez. Les polers s’arrêtent net, reculent lentement, nous dissimulent à la lisière des joncs. Le poste d’observation est idéal. Moins de cinq mètres nous séparent des pachydermes en partie immergés, capables, d’un coup de gueule, de broyer nos frêles esquifsà Et ils ne s’en priveront pas s’ils se sentent menacés. Nos guides restent sur leurs gardes. Mais le cliquetis en rafale des appareils photo ne trouble pas la quiétude des monstres qui prennent la pose.

Un tourisme soigneusement limité

Le contact avec les animaux, objectif premier du voyage, est permanent au Botswana, l’un des seuls pays où tous les modes de transport sont permis pour faire un safari. En 4×4, en canoë ou en bateau à moteur, mais aussi à pied, à cheval ou à dos d’éléphant. Le camping est le moyen le plus pur pour s’immerger dans la nature sauvage. On peut s’y adonner seul ou avec un guide local, qui choisira avec soin les meilleurs endroits pour bivouaquer. Vivre l’expérience d’un troupeau d’éléphants traversant paisiblement le campement la nuit sans laisser ni un arbre, ni votre sommeil indemne, procure une sacrée dose d’adrénaline ! C’est pourtant sans danger, pourvu que vous ne sortiez pas un orteil de la tente.

Mais ce n’est encore rien à côté des émotions provoquées par l’irruption, autour du feu de camp, d’une famille de lions pendant que nous installions le camp, à la tombée de la nuità Un jeune téméraire s’est même emparé d’un de nos sacs de toile avant de s’enfuir avec son précieux butin, retrouvé en pièces le lendemain. Cette nuit-là, après un braaï (le barbecue local) particulièrement animé, le guide et le cuistot ont tout de même veillé et entretenu le feu jusqu’à l’aube. Pendant que, dans nos  » igloos  » disposés en cercle fermé, nous guettions les feulements lointains.

Le caractère unique de la région irriguée par l’Okavango, mais aussi les fleuves Zambèze et Chobe, ainsi que la politique de faible volume touristique pratiquée par les autorités, garantissent une observation privilégiée de l’abondante faune locale. Pas question de trouver dix véhicules autour d’un léopard ou d’un guépard, comme c’est trop souvent le cas dans d’autres destinations phares de safaris. Au Botswana, on peut circuler des jours entiers sans croiser d’autres voyageurs. Ni âme qui vive d’ailleurs : avec 1,7 millions d’habitants, la densité de population de cette paisible démocratie y est l’une des plus faibles au monde.

Que cela ne vous décourage pas d’aller à la rencontre des différentes cultures locales, en visitant par exemple un village Bayei ou en vous rendant chez les adorables San, ces chasseurs nomades mieux connus sous le nom de Bushmen, rendus célèbres par le film Les Dieux sont tombés sur la tête (1980) et leur façon si caractéristique de claquer la langue pour s’exprimer.

Ceux que le camping n’enchante pas séjourneront dans les superbes lodges qui parsèment les parcs et réserves du Botswana. Exotisme et confort sont au rendez-vous, de même qu’une excellente nourriture privilégiant les gibiers locaux. Mais il serait dommage de ne pas consacrer au moins une à deux nuits de camping sauvage aux îlots du delta, où aucune construction en dur n’a été autorisée, sinon sur les quelques concessions privées qui organisent des séjours de grand luxe ou de chasse.

Vu du ciel bleu azur

Dans cet éden perdu au plus profond de l’Afrique subéquatoriale, où la vie ne répond qu’aux lois de la jungle et non aux appétits de l’homme, on s’offrira ainsi d’inoubliables heures de promenade à la rencontre des rois de la brousse. En file indienne, contre le vent, tous les sens en alerte, sur les traces d’un fauve, d’une antilope ou d’un pachyderme, dont les guides relèvent facilement les empreintes qu’ils vous apprendront à lire à votre tour.

L’Okavango mérite aussi d’être survolé. En avion de brousse, en hélico, voire en ULM, bien qu’il soit plus judicieux de réserver ce dernier au survol des fantastiques chutes Victoria, quelques kilomètres à l’est de la frontière commune entre le Botswana, la Zambie et le Zimbabwe. Vu du ciel, on apprécie mieux l’immensité du delta, sa palette de couleurs vives, les troupeaux de toutes sortes qui y paissent ou y chassent, immergés parfois jusqu’à la taille.

Après quelques jours d’immersion totale dans le bush, qui désigne au Botswana la brousse quelle que soit sa forme, l’avion est aussi un excellent moyen de rallier Maun, la capitale touristique, pour recharger ses accus. Et de préparer une nouvelle expédition dans une autre partie du pays. Chacune a ses particularités et une faune adaptée aux conditions environnementales.

Au nord, l’eau abondante du delta et des rivières attire d’immenses troupeaux de zèbres, de gnous, d’antilopes, de girafes, suivis par des hordes de prédateurs. Nous avons eu la chance d’assister au combat inégal entre trois lionnes déterminées et un troupeau de buffles très organisés, où l’on finit par se demander qui chasse quià Et à la traque, par un léopard caché dans les hautes herbes, d’un steenbok indolent, qui ne se sait pas encore condamné.

Au sud, le désert, avec ses paysages arides, ses grands pans de sel, vestiges d’anciens lacs desséchés, ses espèces adaptées à la sécheresse et ses baobabs géants, parfois millénairesà toutes les facettes du Botswana, diamant noir jusqu’ici préservé grâce à la prospérité qu’il tire non du tourisme, mais de ses abondantes réservesà de diamant. Les gemmes réputées les plus pures au monde.

Par Philippe Camillara

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