Déjantée, festive et à contre-courant des codes de l’establishment, une nouvelle génération de créateurs fait vibrer London au rythme de son talent. Visite backstage.

Ils s’appellent Giles Deacon, Gareth Pugh, Marios Schwab, Christopher Kane ou Henry Holland. Ils ont chacun leur style, leur approche personnelle du vêtement et leur vision de ce que doit être une collection. Of course. Mais les stylistes qui font aujourd’hui le buzz à Londres présentent aussi de nombreuses convergences. A commencer par un sens de la provoc et un attrait certain pour tout ce qui se situe à mille lieues des codes de l’establishment. A l’heure où la mode véhicule les valeurs universelles du luxe, la Fashion Week londonienne agit comme un antidote au conformisme. Car, à l’inverse de ce qui se passe à Paris, Milan ou New York, les créateurs qui défilent dans la capitale britannique ne s’inscrivent pas dans une démarche commerciale. Ici, on présente sa collection avant tout pour se constituer une carte de visite, bien plus que pour la vendre à des acheteurs potentiels. En clair, plus c’est décalé, ludique et audacieux, mieux c’est.

Et les représentants des grandes griffes ne s’y trompent pas : s’ils assistent depuis toujours aux shows de ces jeunes pousses, c’est parce qu’ils savent qu’ils ont toutes les chances de repérer dans le vivier alternatif londonien les créatifs qu’ils pourraient engager demain. Depuis un an, ils ne sont cependant plus les seuls à tenter d’obtenir une place en first row. Séduite, la presse internationale se précipite en effet à nouveau aux défilés. La présence d’Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue Etats-Unis, lors de la présentation de Gareth Pugh en octobre dernier, était hautement symbolique : depuis des années, la diva de la mode ne pointait plus le bout de son escarpin lors de cette Fashion Week jusque-là considérée comme marginale…

Galaxie d’amis…

Le Central Saint Martins College of Art and Design n’est pas pour rien dans l’identité fashion si particulière dont jouit la capitale britannique. Cette école, parmi les plus prestigieuses au monde – John Galliano, Alexander McQueen, Hussein Chalayan ou Stella McCartney en sont issus -, offre non seulement une formation technique rigoureuse mais, surtout, elle encourage ses étudiants à laisser exploser leur créativité. Or, presque tous les stylistes qui animent aujourd’hui la scène londonienne sont passés par Saint Martins… D’où les liens très forts qui les unissent encore aujourd’hui : entre eux, pas de compétition mais une solidarité qui va jusqu’à se partager les mêmes assistants ou à se réunir en collectifs artistiques.

Dans cette galaxie de potes gravitent aussi des musiciens ou des mannequins… quand ils ne sont pas tout cela à la fois. Agyness Deyn, icône new rave, chanteuse à ses heures et top model du moment, est emblématique de ce nouveau Swinging London. Lorsqu’elle n’arpente pas les red carpets – souvent vêtue par son ami Giles Deacon – elle s’éclate dans les  » parties  » les plus hype aux côtés de Henry Holland, son Best Friend for Ever, de Christopher Kane ou de Gareth Pugh (lire leurs portraits en page 76 et ci-contre). La preuve qu’on peut faire la cover de Vogue, jouer les égéries pour Giorgio Armani, Paul Smith ou Burberry et même recevoir le British Award du meilleur modèle et néanmoins rester fidèle à ses copains, pourvu qu’il y ait du fun.

Bien sûr, mode, musique et fête forment un cocktail aussi détonant qu’universel. Mais, à Londres, le phénomène prend une tout autre ampleur. A tel point que se faire inviter aux défilés est souvent bien plus facile que d’obtenir un sésame pour les soirées qui les clôturent. Des  » parties  » – et accessoirement des fashion shows – qui se tiennent pour la plupart dans l’East End, près de Broadway Market, le quartier alternatif en passe de devenir ultrabranché.

… et support team

C’est également dans ce coin gentiment underground de Londres que se tient Fashion East, plate-forme indépendante qui vise à lancer les créateurs émergents depuis le début des années 2000. Jonathan Saunders, Marios Schwab, Richard Nicoll, Roksanda Ilincic et l’incontournable Gareth Pugh sont tous passés par là. En sponsorisant, à concurrence de plus de 1,3 million d’euros, le prix New Gen (British Fashion’s Council’s New Generation), la chaîne de grande distribution Top Shop offre elle aussi un fameux coup de pouce à la jeune création. En septembre prochain, ce concours permettra une fois de plus à une vingtaine de stylistes de défiler – parmi eux, Louise Goldin, Danielle Scutt, Peter Pilotto ou House of Holland, le label d’Henry Holland. Sans compter que l’enseigne  » chic et pas cher  » leur offre aussi une visibilité en éditant des minicollections qu’ils dessinent. La nouvelle génération de créateurs peut aussi s’appuyer sur une presse indépendante et pointue : Dazed & Confused ou POP leur apportent un précieux soutien. Des titres qui ont contribué à redorer le blason de Londres en tant que capitale de la mode.

Reste que, malgré le statut upgradé de sa Fashion Week, les créateurs abandonnent encore trop souvent la capitale britannique au profit de Paris, New York ou Milan une fois que le succès leur sourit. Contrairement à Paul Smith, qui lui reste fidèle, tous les talents confirmés ont déserté Londres : Alexander McQueen, John Galliano, Stella McCartney et même le décalé Jeremy Scott organisent aujourd’hui leurs fashion shows dans la Ville lumière. Le label Burberry défile quant à lui en Italie, et Matthew Williamson à New York, où il a été rejoint par Jonathan Saunders, un des stylistes les plus doués de la nouvelle génération londonienne. Le prochain sur la ligne de départ ? Sans doute Gareth Pugh. En juin dernier, il s’est en effet vu décerner le prix de l’Andam (Association nationale pour le développement des arts de la mode), la récompense la plus prestigieuse dans le milieu fashion, déjà décernée par le passé à Viktor&Rolf ou Véronique Leroy. Le styliste le plus déjanté de London remporte donc 150 000 euros pour développer sa propre marque et organiser son défilé… à Paris.

Delphine Kindermans

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