L’Ouest américain commence au Wyoming, un espace d’étendues sauvages et de ranchs où paissent encore des bisons. Cet État recèle aussi le plus ancien parc national des Etats-Unis : Yellowstone, dont on dit qu’il concentre  » la plus vaste collection de merveilles sur la face du monde « .

Cody, le 4 juillet. Ici, comme partout ailleurs aux Etats-Unis, c’est l’effervescence puisque l’on fête l’Independance day, la fête nationale. Mais à Cody règne une atmosphère d’un autre temps. Un parfum très  » Old West « . Dans les rues de la ville, calquées sur le modèle des anciennes bourgades du Far West – une grand-rue bordée de boutiques et de saloons aux portes battantes, longée par des ruelles secondaires résidentielles -, on ne croise que des cow-boys. Santiags aux pieds, Stetson au front, chemise à carreaux, foulard noué autour du couà Manque la ceinture revolver. Et ce n’est pas un déguisement : tous sont venus voir, sinon participer au plus grand rodéo annuel du pays. On y retrouve les meilleurs cavaliers issus des quatre coins des États-Unis. Même si, en réalité, les champions sont régionaux. Pendant trois jours, ils vont s’affronter pour dompter des montures sauvages, pur-sang farouches et taureaux hargneux. Certains s’en sortiront avec des côtes cassées, sous les vivats d’une foule en délire, gavée de poussière, de bière et de la viande grillée sur des centaines de barbecues enfumés.

Tel est le Wyoming, l’État le moins peuplé et peut-être le plus typique de l’Ouest américain. Rude, sec, viril. C’est ici que la romancière Annie Proulx situe l’action de sa nouvelle Brokeback Mountain. Sur la nationale qui nous y emmène, un immense cow-boy de Plexi auréolé de néons souhaite la bienvenue  » Where the west begins – là où l’Ouest commence.  » Ici, il semble ne jamais finirà

On a coutume de dire que le Far West des pionniers commence au-delà du Mississippi, avec les grandes plaines de l’Iowa, du Kansas ou de l’Oklahoma. Mais si l’on veut suivre les traces des légendes de la conquête de l’Ouest, de Wild Bill Hickok à Buffalo Bill, en passant par Calamity Jane ou Butch Cassidy, il faut rallier le Wyoming, via le Dakota du Sud et les Black Hills. Ces collines noires des Indiens sioux, rendues célèbres par la ruée vers l’or, où subsistent encore quelques villes fantômes.

De l’or et des Indiens

Notre voyage commence à Denver dans le Colorado. De là, il suffit de rouler quelques heures vers le nord pour atteindre les Black Hills via Cheyenne, capitale du Wyoming. On peut y passer agréablement la nuit et visiter quelques drugstores, si l’on veut investir dans une paire de bottes ou un chapeau pour faire couleur locale. Mais on ne s’y attarde pas : la route est encore longue qui conduit à l’autre bout de l’État. Là où les grandes plaines cèdent le terrain aux sommets enneigés des Rocky Mountains, les Montagnes Rocheuses.

Des Blacks Hills, on retiendra bien sûr le Mont Rushmore, où les visages géants de quatre anciens présidents américains (Washington, Jefferson, Lincoln et Roosevelt) sont figés à jamais dans la pierre, mais surtout l’atmosphère enfiévrée qui nous ramène un siècle et demi en arrière, au temps des prospecteurs. Le bourg de Lead possède toujours la plus grande mine d’or des Etats-Unis, qui s’enfonce d’un bon mile dans les entrailles de la terre. Mais c’est au cimetière de Deadwood que l’émotion est la plus forte. Le marshall Bill Hickok et la cow-girl Calamity Jane y reposent ensemble. Ils ont bercé nos westerns et bédés favoris. On rejoue quotidiennement l’assassinat de Wild Bill dans le saloon sur Main Street, où il fut abattu par derrière en jouant au poker. Au Far West, certaines légendes ont la peau dure.

Ou la peau rouge : à portée de flèche du Mont Rushmore se dresse la statue inachevée du chef sioux Crazy Horse, vainqueur du général Custer. Les Indiens ont aussi leurs héros. Quelques dizaines de kilomètres plus au nord-ouest, fin juin, on rejoue chaque année la dernière grande bataille des Indiens des plaines contre la cavalerie américaine. Sur le site où elle s’est déroulée, précisément, en 1876 : le champ de bataille de Little Big Horn.

La capitale mondiale du rodéo

De la frontière avec le Dakota, l’Interstate 90 file vers Cody à travers les grandes plaines. Avant d’arriver à la petite mais merveilleuse chaîne des Bighorn Mountains, qui marque la césure entre le pays des ranchs et les terres volcaniques conduisant au Yellowstone, entre les pâturages envahis de vaches, de chevaux et de chiens de prairie et le territoire des grizzlis et des loups, on fera étape à Sundance ou à Sheridan, plutôt qu’à Buffalo.

La première est la base idéale pour explorer la région de la célèbre bataille, mais aussi cette curiosité géologique vieille de 60 millions d’années et immortalisée par Spielberg : l’immense monolithe de granit qui cristallise l’attention dans le film Rencontre du 3e type et que les Sioux ont baptisé  » Devil’s Tower « , la tour du diable. La seconde abrite des quartiers historiques parmi les plus intéressants du Wyoming, mais aussi son pub le plus kitsch : le cultissime Mint Bar, constellé de souvenirs du passé.

Les monts Bighorn culminent à 3 300 mètres. Moins connus, donc plus paisibles que les Rocheuses voisines, ils offrent aussi des paysages à couper le souffle. But de la promenade : la Medicine Wheel, une antique formation circulaire de pierres monolithiques qui rappelle certains sanctuaires bretons. À 3 000 mètres, au terme d’une marche impressionnante, surprise : on croise des familles entières de Native Americans, comme ils se désignent eux-mêmes. Les Indiens viennent ici de partout pour communier avec les esprits. Cent tribus vénèrent l’endroit, nous dit-on.

Touchante rencontre avant celle des cow-boys de Cody, dans la vallée. Deux mondes aujourd’hui interpénétrés mais qui conservent chacun leurs traditions. Dans la ville fondée par le colonel William Buffalo Bill Cody, pionnier du Poney Express et impitoyable chasseur de bisons, les Indiens en costume d’époque s’exhibent surtout au Buffalo Bill Historical Center, magnifique musée dédié à la conquête de l’Ouest, et dans les manifestations visant à reconstituer cette sanglante épopée. Et si la fête nationale rassemble les meilleurs cavaliers, l’autoproclamée capitale mondiale du rodéo en accueille un tous les soirs en étéà Atmosphère surannée, ambiance survoltée.

Un voyage dans le temps

Lorsque nous nous levons avant le soleil, trois jours plus tard et 100 km plus à l’ouest, c’est comme si nous avions changé de planète. Seuls au monde sur les rives du lac Yellowstone, au c£ur du parc homonyme. Cernés de sources chaudes et de fumerolles qui jaillissent de partout, on remonte de 600 000 années dans le temps. Une éruption volcanique d’apocalypse a forgé alors une caldeira de 45 km de diamètre et modelé un plateau dont l’altitude moyenne dépasse les 2 000 mètres. Nous sommes au centre. La croûte terrestre y est l’une des plus fines de la planète. Sous nos pieds, le magma bouillonne, exhale une diabolique odeur de soufre. Pas question de quitter les sentiers ni les passerelles bien balisées : çà et là, des squelettes d’animaux prouvent que ce serait suicidaireà

Le parc Yellowstone est une immense marmite trouée par 10 000 geysers et autant de sources chaudes, de mares boueuses, de concrétions sulfureuses qui donnent aux paysages des allures de fin du monde multicolore. Une telle concentration de phénomènes géothermiques n’existe nulle part ailleurs. Un gigantesque incendie a détruit le tiers de la végétation voici quelques années, ajoutant encore à l’atmosphère lunaire. Mais la nature a le dessus, et la vie reprend rapidement possession du sanctuaire.

Ce matin, c’est un loup solitaire qui nous barre un instant la route, avant de filer dans les sous-bois pour accompagner furtivement notre 4×4 pendant quelques minutes. Nous rejoignons Nancy, ranger (garde forestier) et guide, pour un day hike (une randonnée d’un jour) à travers plaines et forêts. En quête des ours. Nous ne les trouverons pas, ce jour-là. Mais la balade est exceptionnelle, dans une nature sauvage et préservée où l’on croise des wapitis et autres orignaux dont les bois feraient pâlir d’envie nos cerfs ardennais, des coyotes solitaires et une multitude de rongeurs. Sans parler des moustiques, gros comme des mouches.

Nous n’apercevrons une famille d’ours noirs que le surlendemain. Les plantigrades ne se laissent pas facilement surprendre, et mieux vaut se tenir à distance. On se console avec les bisons. Leurs troupeaux, qui tapissent le fond des vallées à perte de vue, nous ramènent aux temps héroïques des premiers Américains. Quand on ferme les yeux, on croit entendre les ululements des guerriers indiens lancés à leur poursuiteà L’Ouest, le vrai, est certainement ici.

Par Philippe Camillara

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