L’univers féerique de Robert Goossens

Barbara Witkowska Journaliste

coco chanel, dior, balenciaga et yves saint laurent… ils ont tous craqué pour ses bijoux éclatants et exubérants. depuis plus d’un demi-siècle, robert goossens continue, avec une extraordinaire énergie, à parer les femmes.

Carnet d’adresses en page 92.

Loin des podiums des défilés et des salons feutrés de la haute couture, Robert Goossens a choisi de s’installer à deux pas de Paris, à la Plaine Saint-Denis, en face du Stade de France. Infatigable et enthousiaste, il continue à régner sur les neuf ateliers où des dizaines de professionnels liés à l’orfèvrerie, dont une grande partie de jeunes, appliquent toujours les règles ancestrales du compagnonnage. Ils créent, façonnent et réalisent des bijoux les plus spectaculaires ainsi que de multiples objets de décoration.

Miroirs, lampes, lustres, vases, accessoires pour la table, taillés dans le cristal de roche, agrémentés de motifs floraux ou animaliers en bronze, peuplent tous les coins et recoins des pièces. De grosses perles en verre de Bohême, des pierres multicolores, des pâtes de verre aux tons chatoyants, des dentelles en métal, attirent irrésistiblement le regard. On déambule dans le décor d’un conte oriental, puis on s’installe dans un endroit plus calme : une vaste pièce qui sert au maître des lieux à la fois de salon, de bureau et de bibliothèque. Des centaines de livres d’art tapissent les murs. Les rares endroits vides sont occupés par des portraits de Coco Chanel, d’Yves Saint Laurent, de Christian Dior ou de Cristobal Balenciaga, des couturiers les plus prestigieux de la seconde moitié du xxe siècle qui, pendant de très longues années, ont tissé une extraordinaire complicité avec le talent de Robert Goossens.

Parisien pure souche, il a hérité, pour des raisons familiales un peu compliquées, du nom de sa grand-mère belge, dont la s£ur était la dame de compagnie de la reine Astrid. Robert Goossens voit le jour dans le Marais, rue de Montmorency, quartier des orfèvres. Ici, c’est le royaume des bijoux, des médailles, des boucles, des parures. Le petit garçon est curieux et motivé, passe des heures entières à observer le travail des joailliers, des graveurs, des ciseleurs, des polisseurs et des émailleurs.  » A cette époque-là, les rues de Paris, c’était un village, raconte Robert Goossens. Je connaissais tout le monde, j’ai tout appris sur le tas.  » A 16 ans, il caresse pourtant d’autres rêves. Il voudrait être aviateur, comme son oncle, ou encore comme Jean Mermoz, son héros. Mais nous sommes en 1940, son père, fondeur, vient d’être déporté. Certificat d’études en poche, Robert Goossens entre alors dans les ateliers Cartier comme sertisseur…

Quelques années plus tard, les hasards de la vie le rapprochent de la haute couture, univers complètement inconnu et étranger.  » Un jour, un monsieur a monté les cinq étages de mon modeste immeuble et m’a demandé de créer des bijoux pour Coco Chanel. Je venais d’un milieu ouvrier et ne savais pas qui c’était, sourit Robert Goossens. Je ne l’ai pas connue tout de suite. Au début, je réalisais les bijoux demandés, les donnais à notre intermédiaire qui les montrait à Coco Chanel.  » Un peu plus tard, la marquise Mao de Bausset, une  » très grande dame « , descendante de La Fayette et propriétaire du château de Sully, monte également les cinq étages. Le but de sa visite ? Elle veut faire des bijoux. Robert Goossens jette un coup d’£il sur les dessins, donne des conseils et livre quelques secrets. Rapidement, ils deviennent de très bons copains. Madame la marquise l’entraîne partout, aux défilés de la haute couture notamment et le présente à tous les grands noms de l’époque : Pierre Balmain, Christian Dior, Cristobal Balenciaga, Pierre Cardin. Consciente de son immense talent, elle lui donne un coup de main pour le  » lancer « , comme on dit aujourd’hui.

En 1956, deux ans après la réouverture de sa maison, Coco Chanel désire, enfin, le rencontrer. C’est le début d’une longue et profonde amitié qui se terminera en 1971, année de la disparition de Mademoiselle.  » C’était comme un conte de fées, se souvient Robert Goossens. Nous étions liés par une très grande complicité.  » Ce qui les rapproche ? Notamment, la même conception du bijou.  » Les bijoux ne sont pas faits pour faire riche, mais pour parer, aimait à répéter Coco Chanel. Si l’on veut afficher sa richesse, autant accrocher un gros chèque en guise de collier.  » Philosophie entièrement partagée… Ce qui les rapproche, aussi, c’est le même goût pour les pièces originales, audacieuses, spectaculaires et, néanmoins, intemporelles. Robert Goossens s’empare d’un gobelet et explique :  » Je mets un peu d’art byzantin, un peu d’art étrusque, un peu d’art égyptien et un peu d’art scythe, je secoue le tout et il en sort un bijou Goossens. Tout ce que je crée sort de l’Antiquité. C’est pour cela que mes bijoux sont tellement modernes.  »

Dernier point commun avec Coco Chanel ? Une enfance difficile.  » Je crois que je lui ressemblais quand elle était jeune.  » Robert Goossens se fait intarissable sur le style très personnel et les qualités de celle qui essayait toujours d’embellir la femme avec beaucoup de simplicité. Pourtant, elle ne lui a jamais fait un compliment sur son travail. En revanche, les défis étaient permanents :  » Faites-moi un bijou, mais faites-le encore mieux.  » Alors comment ne pas essayer de se dépasser, comment ne pas booster son imagination et sa créativité pour faire mieux chaque jour ? D’autant plus que Mademoiselle aimait à répéter à ses connaissances :  » Robert Goossens est un artiste merveilleux  » et que cette petite phrase finissait par arriver aux oreilles de l’intéressé.  » En fait, je pourrais être l’enfant naturel de Coco Chanel et de Benvenuto Cellini « , sourit Robert Goossens. Il admire tellement le grand orfèvre et l’artisan de génie du xvie siècle qu’il affirme même poursuivre un  » dialogue  » permanent avec lui !

La collaboration avec Cristobal Balenciaga aura duré dix-huit ans, celle avec Yves Saint Laurent trente ans ! De très longues années, pendant lesquelles l’artiste ne cesse de se renouveler, d’apporter un style personnel à chaque couturier, tout en res- tant fidèle à son goût et à son amour de l’Antiquité et des civilisations anciennes. Ce sont les livres d’art et les beaux livres d’histoire, dont beaucoup furent offerts par Coco Chanel, qui ont nourri son imagination durant un demi-siècle. Aujourd’hui, son fils a repris le flambeau et réalise des pièces originales et spectaculaires pour Jean Paul Gaultier et Sonia Rykiel, notamment. Robert Goossens  » alimente  » tou- jours sa boutique, avenue George V, une sorte de carte de visite qui réunit de nombreux bijoux et objets de décoration. De temps en temps, il fait une exception et crée pour certains jeunes couturiers. Tels Andrew, par exemple, ou encore le Belge Gerald Watelet.

Discret et modeste, Robert Goossens a su garder une âme simple de travailleur manuel et une fraîcheur d’artisan dans le vrai sens du terme. Le succès ne lui a jamais tourné la tête.  » Vous savez, conclut-il, si j’étais né à la Villette, j’aurais été garçon boucher.  » On rit, bien sûr, mais on a vraiment du mal à le croire.

Barbara Witkowska

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content