Les Japonais sont fous de lui. Et ceux qui aiment le charme discret de la cohérence aussi. Depuis presque vingt ans, Stephan Schneider coud, coupe et crée à Anvers. Des vêtements pour Homme, des vêtements pour Femme, tout un univers.

Jamais il ne la ramène. Stephan Schneider est l’un des créateurs les plus discrets qui soit, et méticuleux aussi, toute chose étant proportionnelle, imaginez ce que valent son talent, sa cohérence, son exigence et son humour. Il y a vingt-trois ans, il quittait son Duisburg natal (Allemagne) pour étudier la mode à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers (Belgique) en sachant déjà ce qu’il voulait : imaginer des vêtements masculins, féminins, androgynes, qui durent, qui rendent beau et intelligent, ça existe.  » Je n’ai pas envie de faire des vêtements « funny », mais frais et spontanés, oui, c’est ça, j’aime la spontanéité. Et cela a toujours à voir avec mes mains, mon goût : laver, toucher, imprimer, rater, recommencer, comment le faire avec un computer ?  » La théorie de l’essai-erreur in vivo. Pareil pour le dessin :  » Je trouve cela joli, mais cela fait partie d’un idéal, or, pour moi, entre le dessin et le buste, il y a tant de compromis à faire que je préfère commencer une silhouette directement sur le buste.  »

 » Mon atelier. «  Dans son petit laboratoire logé au fond d’une impasse anversoise, il s’installe à l’une des deux tables, il n’a pas de bureau. Sur une étagère, les rouleaux d’étoffes, et devant, Martin, son bras droit, qui travaille sur un patron de la collection Homme printemps-été 2014, un pantalon dont ils ont le secret. Sur un tabouret, une caisse avec des  » trésors  » : tous les cartons d’invitation des défilés et des présentations passés, depuis le début, il y presque vingt ans. On se penche sur ces merveilles de précision et d’inventivité – un cahier d’écolier rempli à la main, un carnet de philatéliste, un annuaire coupé mini, par lui, pièce par pièce, un écrin à bijou, une carte musicale, avec un petit  » Come to the show  » chanté par une mammy de 75 ans, c’était l’hiver 2002. Elles font toute la différence, et chacune sert de point de départ à la création, qui plus tard coulera  » de source « , quand il sentira qu’elle est  » juste « .

 » Mes invitations. «  Auparavant, Stephan Schneider aura entamé sa réflexion en pensant d’abord au carton d’invitation qu’il fera parvenir à ses hôtes, clients, journalistes, amis, parfois c’est la même chose.  » Toutes ces invitations parlent de moi « , revient-il à la charge. On ne fera pas l’insulte de ne pas le croire. Ces textures, cette subtilité, ces trouvailles, ce soin, ce savoir-faire, cet amour porté à l’objet… Dieu est décidément dans les détails.  » Pour moi, tout est atmosphère.  »

 » Mes défilés. «  En matière de show, il a tout osé : montrer sa collection dans la rue, avec passage sous tuyau d’arrosage (été 2003), dans une grande surface ou portée par de jeunes gens qui jouent à chaise musicale et, se prenant vraiment au jeu, oublient qu’ils sont mannequins (2001). Désormais, il montre ses saisons en showroom, depuis sept ans déjà, l’écart était trop grand, trouvait-il, entre son travail et le show :  » Sur un podium, il s’agit de convaincre, or, mon message ne passe pas la rampe d’un défilé. Ce n’est plus mon langage.  »

 » Ma collection de fin d’études à l’Académie. «  C’était en juin 1994, elle n’a pas pris une ride. Sur la photo, une femme, une collerette, un manteau, une chemise, qu’il conserve ici dans son atelier si simple, seule l’accessoire de cou est au Mode Museum d’Anvers où elle sera exposée cet automne. L’ensemble lui a valu une grande distinction, il peut être fier du résultat, de son intemporalité (forcément indémodable), il trouve juste qu’aujourd’hui, cette ouverture dans le dos est  » un peu trop dramatique. Le fait d’avoir un magasin m’a fait réfléchir, cette veste, c’est trop d’effort pour une femme.  » Son thème d’alors, qui le taraude toujours :  » Regeneration « .  » Je voulais mêler des époques différentes : un brocard de la fin du XVIIe siècle, un autre du XVIIIe et encore un autre du XXe , je ne voulais pas être « crazy » mais faire quelque chose de beau.  » Un an plus tard, diplôme en poche, après avoir travaillé pour Kipling et Laurent David, il se lance à son nom, avec une première collection, Homme et Femme, Stephan Schneider ne fait jamais rien à moitié.

 » Ma cohérence, ma boutique. «  Tout a changé, pas lui. La mode, les saisons, les tendances, mais pas Stephan. Cela a à voir avec la résistance, il est têtu, mais pas seulement.  » Je veux développer une idée cohérente et sélectionner, pour moi, c’est tellement important. Et c’est mon job : montrer mes choix à mes clients et les laisser libres, sans leur imposer une deuxième ligne, un sac et puis encore un sac…  » Sa boutique non plus n’a pas bougé d’un iota depuis qu’elle a ouvert ses portes, le 4 avril 1996. L’escalier qui mène au sous-sol, c’est son oncle qui l’a façonné, du béton lissé, une belle voûte, on dirait une chapelle. En vitrine, du bois, qui sépare le dehors du dedans, c’est son idée, c’est lui, en version architecturale. Son luxe intime réside dans la simplicité, voire l’austérité. Sous son nom, il a fait inscrire le mot  » boutique « ,  » parce que ma mère disait  » boutique  »  » ; jamais vous ne l’entendrez parler de flagship store, mais ça vous l’aviez déjà compris.

 » Ma régénération. «   » Je ne suis pas avant-gardiste, répète-t-il. Je ne suis pas pour le changement. J’aime conserver, mais toujours, et c’est important, en créant la surprise, encore une fois je n’aime pas le rétro mais la « regeneration ». Et j’aime le processus industriel qui se trouve derrière la confection, je ne suis pas créateur, je fais des pantalons.  » Ce goût pour le vêtement lui vient de loin, de la musique qu’il écoutait ado.  » Sans elle, je n’aurais jamais fait de mode.  » Ses premières influences sont là, la grande vague venue de Londres, les années 80 et les suivantes, Haisy Fantaizee et les autres, cette excentricité qui lui plaisait tant, lui qui s’était promis de partir un jour de Duisburg, au point de confluence de la Ruhr et du Rhin.  » Je suis né là et j’y ai grandi, c’était si petit, j’ai toujours voulu m’en aller. Mon père était chimiste, mon frère aussi, ma soeur, médecin et ma mère, coiffeuse ; aujourd’hui elle a 81 ans et s’habille en Stephan Schneider.  » Elle n’est pas la seule. Presque vingt ans que ce créateur  » belge  » régénère tout, surtout ceux qui le portent – une révolution.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON / PHOTOS : STEPHAN SCHNEIDER

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