Les constructeurs ne se risquent plus à enfermer la clientèle dans des profils types. Le cliché de la  » petite voiture urbaine  » pour Madame a vécu. De plus en plus de femmes optent pour les monovolumes et les 4×4.

(1) Chiffre cité sur le site www.autodeclics.com

A h, ces femmes ! De plus en plus résolues à s’offrir un petit chez soi mobile, donc de plus en plus nombreuses au volant. Les chiffres sont à manier avec prudence : si 17,8 % des acheteurs de voitures étaient, en réalité, des acheteuses en 2003 (contre 32,7 % d’hommes), la masse des voitures de société n’a pas de conducteur  » sexuellement identifié  » dans les statistiques. Or, leur nombre va sans cesse croissant : les voitures de société représentaient 31,5 % du total des immatriculations en 1993, 46,2 % dix ans plus tard, soit pratiquement la moitié du marché.  » Dans le cas des acheteurs individuels, celui qui signe le bon de commande n’est pas forcément celui qui va conduire le véhicule « , ajoute Jean-Marc Ponteville, porte-parole VW chez D’Ieteren. Pas simple à débroussailler. On estime finalement, à la grosse louche, que près d’un automobiliste sur deux est une femme.

L’augmentation du nombre de femmes actives, la multimotorisation des ménages (deux, voire trois véhicules par famille) et la croissance du nombre de familles monoparentales expliquent largement la féminisation du parc automobile… qui fait grincer des dents dans les rangs des machos. Epinglé sur les forums de discussion du Net à propos de Modus, la  » petite au grand c£ur  » de Renault, commercialisée à l’automne :  » Seraient-ce les femmes qui imposent leurs conditions aux vendeurs de voitures pour nous sortir des engins pareils ? » ou, pire encore,  » Cette caisse vise les femmes qui s’occupent davantage de leurs enfants que de leur mari…  »

Et bien, messieurs, il faudra vous y faire car les constructeurs accordent de plus en plus d’attention à la gent féminine. Neuf nanas de Volvo ont même poussé l’audace jusqu’à imaginer une  » concept-car  » û la YCC û entièrement dédiée à la femme.  » Nous nous sommes dit qu’avec cette voiture, si nous satisfaisions les attentes des femmes, nous dépasserions les attentes des hommes « , a susurré Tatiana Butovitsch Temm, l’une des responsables du projet, dans le très masculin  » Journal de l’Automobile  » . Et toc. Sans pousser le bouchon aussi loin que Volvo (qui ne semble d’ailleurs pas décidé à commercialiser dans l’immédiat la YCC), la plupart des constructeurs ont pris le pli d’intégrer des femmes dans leurs équipes de développement.  » Une stratégie délibérée « , assure Eric Van den Heuvel, directeur de la communication de DaimlerChrysler Belgique (Mercedes, Smart, Chrysler, Jeep). Certaines marques, BMW notamment, mènent des études spécifiques pour mieux cerner les demandes de leurs clientes. Chez Nissan, des futures et des jeunes mamans ont été consultées lors du développement du monovolume compact Tino : elles ont notamment suggéré qu’il fallait surélever la banquette arrière pour améliorer le champ de vision des tout-petits.

Certains constructeurs n’hésitent pas non plus à créer des séries limitées qui, si elles ne ciblent pas exclusivement les femmes, sont quand même conçues pour leur plaire. Les Twingo Kenzo ou Benetton, la Scenic Mer du Nord (Renault) ou la Micra Feeling (Nissan), équipée de deux  » shopping bags  » dans le coffre (pour empêcher les emplettes de se répandre), en sont de beaux exemples. La Smart, elle, peut changer de couleur extérieure et s’adapter ainsi aux tendances de la mode par simple changement des panneaux de polyester qui composent son  » habillage « . Désormais, les femmes au volant ont même leur site propre ( www.autofemina.com), qui diffuse une newsletter pour tout savoir sur  » l’automobile au féminin « …

Une approche moins émotive

Premier constat : les femmes ont naturellement leur mot à dire dans l’achat du véhicule familial et  » elles ne se contentent pas de donner leur avis sur la couleur de la carrosserie « , ironise Christophe Weerts, Corporate Communications Manager de BMW Belgique. Plus catégorique encore, Jean-Marc Ponteville (Volkswagen) assure que  » Monsieur choisit le modèle dans le cadre fixé par Madame car c’est elle qui décide si le couple opte pour un monovolume, pour un break ou pour autre chose « . Logique. Les femmes, c’est bien connu, ne fonctionnent pas comme les hommes et leur façon d’appréhender la voiture est donc toute différente : plus utilitaire, diront les uns, moins émotive, jugeront les autres.  » Les femmes choisissent en fonction de l’intérêt du couple ou de la famille plus qu’elles ne se laissent guider par leurs désirs personnels « , résume Christophe Weerts.

Deuxième constat : les femmes se passent de plus en plus volontiers de conseils masculins pour acquérir une voiture bien à elles. S’il fallait en croire les statistiques, 38 % des acheteuses ne font confiance qu’à elles-mêmes pour arrêter leur choix (1).  » Moins attachées que les hommes aux performances et à la puissance du moteur « , les femmes prêtent une attention certaine au design,  » d’une importance déterminante lors de l’achat « , lit-on dans une étude du bureau français TNS Sofres, parue en septembre 2004.  » Le look est la première motivation d’achat « , confirme Christiane Snaps, en charge des relations publiques chez Toyota Belgium.  » Les aspects pratiques et fonctionnels, la sécurité, la compacité, la maniabilité n’interviennent qu’ensuite.  »

Les petites voitures  » urbaines « , mignonnes, pratiques, faciles à garer (comme la Twingo, la Clio, la Yaris, la Micra, la C2 et la C3, la 106 et l’on en passe) ont évidemment la cote auprès des femmes. Selon l’étude de TNS Sofres, elles représentent plus de 60 % des achats féminins sur le marché français alors que ce segment ne constitue que le tiers des véhicules acquis par la clientèle masculine, statistiques aisément transposables au marché belge. Chez Citroën, la C3 est majoritairement achetée par des femmes (53,3 % sur les dix premiers mois de 2004, compte non tenu des voitures de société). La Micra de Nissan draine 43 % d’acheteuses. Chez Mercedes, la Classe A séduit autant de femmes que d’hommes alors que, pour l’ensemble de sa gamme, la marque allemande totalise 80 % de clients masculins et 20 % seulement de clients féminins.  » Il s’agit souvent de la deuxième voiture du ménage, mais l’on constate que 66 % des acheteuses n’ont pas d’enfants bien que 80 % d’entre elles soient mariées ou vivent en couple « , précise Eric Van den Heuvel.

La Mini séduit plus d’hommes que de femmes

Les choses, à coup sûr, ne sont pas aussi simples qu’il n’y paraît ! Les constructeurs automobiles ne se risquent donc plus à enfermer les clients dans des profils types.  » Toutes les formes de catégorisation de la clientèle sont en train de voler en éclats, soutient Jean-Marc Ponteville, porte-parole de Volkswagen. Briefer un vendeur en lui disant :  » Cette femme qui entre dans le showroom, montre-lui tel ou tel modèle car c’est cela qu’il lui faut « , serait une erreur fatale. Il y a un éclatement de la demande, qui correspond à la diversification des modes de vie. La famille mute, le boulot exige plus de mobilité professionnelle, le style et le niveau de vie évoluent au fil de l’existence. Le premier objectif stratégique des constructeurs est donc d’adapter la voiture pour qu’elle colle au plus près aux besoins de la clientèle.  » D’où les multiples segmentations par modèle (berline, monovolume, coupé-cabriolet, etc.) et des choix plus audacieux sur le plan du design. La Lancia Ypsilon, à ranger dans la catégorie des voitures compactes, se décline en 555 compositions obtenues en mariant 11 teintes de carrosserie, 6 habillages intérieurs disponibles en 8 coloris et 5 typologies de jantes en alliage !

Même les professionnels en perdent leur latin. Certains  » spécialistes  » avaient prédit que la Mini, relancée par BMW, serait essentiellement convoitée par la gente féminine. Et bien non : il y a légèrement plus d’hommes que de femmes au volant de celle-ci. Deux catégories de voitures, initialement  » réservées  » aux hommes, recueillent en revanche l’adhésion croissante des femmes : ce sont les monovolumes et les 4 x 4. Les monovolumes répondent parfaitement à cette approche utilitaire de la voiture privilégiée par la femme, surtout lorsqu’elle devient maman. Tout en gardant, derrière cet habit fonctionnel, un petit côté ludique. Dans ce segment, la montée en puissance de la clientèle féminine est parfois spectaculaire. Plus d’un acheteur individuel de Renault Scenic sur trois est aujourd’hui une femme, contre un sur cinq en 2000. Et il y a près de 40 % d’acheteuses pour la Citroën Evasion/C8.  » Les femmes sont naturellement sensibles à tout ce qui concerne le confort des enfants, comme les tablettes fixées au dos des sièges ou les espaces de rangement « , note Luc Lion, chargé de la communication chez Citroën. Autres points d’accroche : la visibilité liée à la hauteur de l’habitacle, la modularité, la facilité de chargement du coffre. Encore que les motivations d’achat ne sont pas toujours celles que l’on croit. Jean-Marc Ponteville (VW), qui s’intéresse de près à la psychologie de l’acheteur, a épinglé le fait que les gros monovolumes 7 places ne sont pas forcément synonymes de familles très, très nombreuses.  » A côté des besoins matériels, il y a l’image sociale que l’on veut projeter : en l’espèce, celle d’une personne active, sportive, qui a plein d’amis et ses enfants plein de petits copains et copines, avec lesquels on fait des activités diverses.  » Bref, une sorte d’icône valorisante.

Place aux  » machas-machas  »

On n’est pas très loin de ce schéma non plus lorsqu’on examine l’engouement actuel pour les 4 x 4. Entre 1997 et 2003, les immatriculations pour cette catégorie de véhicules sont passées de près de 11 000 à un peu plus de 28 000 sur le marché belge. Comme pour les monovolumes, l’augmentation du nombre de conductrices ne se mesure pas facilement, en raison de l’importance croissante des voitures de société, mais il suffit de jeter un coup d’£il sur la route pour voir que le nombre de femmes au volant de 4 x 4 connaît une certaine embellie.

Les conductrices de 4 x 4, Mercedes les a baptisées, dans son jargon interne, les  » machas-machas « , sorte de féminisation ironique du mot  » machos « . Sans connotation péjorative (quoique…), ce terme désigne une catégorie de consommatrices plutôt focalisées sur le paraître.  » Disons que ce sont des femmes qui veulent se faire remarquer « , résume, en souriant, Eric Van den Heuvel, directeur de la communication de DaimlerChrysler Belgique. Elles ne sont, à vrai dire, pas légion dans le portefeuille de clientèle des marques maison : la Classe M de Mercedes comme la Jeep Cherokee sont achetées par 90 % d’hommes et 10 % seulement de femmes.

 » Les femmes choisissent de plus en plus de 4 x 4 parce que leurs besoins évoluent, nuance Christiane Snaps (Toyota). Ce type de véhicule traduit une image d’indépendance et de dynamisme, corrélée à des loisirs actifs.  » Championne de la maison : la RAV4, dont près d’un acheteur individuel sur cinq est une femme.  » On estime que le taux de féminisation réel, tenant compte des immatriculations sociétés et de celles qui sont faites au nom du mari, oscille entre 30 et 35 %.  » Ce qui plaît aux femmes ? La position de conduite surélevée, l’habitabilité fonctionnelle et un sentiment de sécurité accrue.

Sortir de la banalité, devenir une sorte d’aventurière urbaine (car à peu près tout le monde, hommes et femmes confondus, se moquent des aptitudes de ces véhicules en tout-terrain), voilà qui donnerait presque le frisson. Les petits  » Sports Utility Vehicles  » (SUV), comme la X-Trail de Nissan ou la X3 de BMW, s’insèrent admirablement dans ce schéma. La Porsche Cayenne, avec son intérieur cuir et son superbe système de communication, aussi. D’où leur nombre croissant d’adeptes féminines.  » Avec ce type de véhicules, la passion, le plaisir de conduire sont au rendez-vous, estime Marianne Ide, porte-parole de Porsche, mais parfois aussi, les femmes s’inclinent devant le choix de leur mari…  »

La tendance générale ? Elle est donc clairement à l’uniformisation des comportements d’achat.  » La voiture n’a plus vraiment de « sexe », constate Marianne Ide. Les hommes peuvent opter pour de petits véhicules comme les femmes se tourner vers des modèles plus familiaux.  » En somme, et c’est logique, le conducteur ou la conductrice cherche avant tout une voiture correspond à ses besoins du moment. Avec une nuance :  » La femme achètera volontiers une voiture dite « d’homme » alors que l’homme ne jettera pas son dévolu sur une voiture étiquetée « féminine » « , souligne Jean-Marc Ponteville (VW). Un phénomène que l’on retrouve, sans surprise, dans la mode ou la parfumerie.

Et les motos, alors ?

De simples passagères, les femmes deviennent de plus en plus volontiers motardes.  » Leur première motivation est d’accompagner leur mari ou leur compagnon en promenade, en jouant un rôle plus actif. Même dans les grandes villes, la mobilité est rarement un critère d’achat pour les femmes. Pour se faufiler dans la circulation, elles préféreront un scooter ou ce que nous appelons un maxi-scooter « , explique Marc Bauduin, responsable des ventes et du marketing chez Yamaha. Chez BMW, autre grand acteur du marché de la moto, l’on confirme l’engouement.  » Deux de nos modèles sont particulièrement étudiés en fonction de la clientèle féminine : il s’agit de la F650GS et de la F650CS (Scarver). La hauteur limitée de la selle et leur poids réduit conviennent bien aux motardes.  » Le nombre de ces dernières reste toutefois assez modeste : 1 997 femmes ont immatriculé une moto sur les dix premiers mois de 2004, contre 1 859 au cours de l’année 2003. Les hommes, eux, sont plus de 15 000 à avoir immatriculé une moto depuis janvier. Les marques d’accessoires et de vêtements pour motards n’en commercialisent pas moins de plus en plus de produits spécifiquement féminins.

Valery Duprieux

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