Paradoxe de notre petit pays : cette comédienne venue de Torhout est une Bekende Vlaming… mais reste totalement inconnue dans nos contrées. Découverte d’une actrice et chanteuse en pleine ascension.

En 2004, Maaike Cafmeyer décroche le rôle de Madame De Pauw dans la série télé satirique flamande Het Geslacht De Pauw. On la voit également dans Aspe, Loft et Formidable, autant de succès sur petit et grand écrans qui ont fait d’elle une BV, une de ces  » Flamandes connues  » dont le nord du pays raffole. Début 2012, elle interprète le personnage d’Anne dans la comédie musicale de Clouseau, Domino, un rôle secondaire pour lequel elle fut nominée – mais pas lauréate – aux Vlaamse Musicalprijzen, en juin dernier. Rencontre avec une vraie West-Flandrienne, jusque dans son nom de famille.  » Il vient de Flandre-Occidentale, comme moi, affirme l’actrice. Un « meier » est un surveillant, un contrôleur. Le « hofmeier » était par exemple chargé de superviser la Cour, tandis que le « cafmeier » était vraisemblablement responsable du grain – ou en tout cas de l’un ou l’autre aspect relatif au blé, à la farine ou au pain. Mon grand-père était d’ailleurs boulanger à Torhout. « 

Torhout est internationalement connue grâce au festival Torhout Werchter…

J’en ai d’excellents souvenirs ! Née en 1973, je devais avoir deux ou trois ans lorsque l’événement fut créé. Le tout premier groupe de rock dont je me rappelle clairement est Creedence Clearwater Revival. Mon père dansait comme un fou avec moi perchée sur ses épaules. Au début, la manifestation se tenait sous tente, et les boissons y étaient encore servies dans des verres. À la fin de la journée, tous les adultes étaient saouls, mais l’ambiance restait sereine. C’était encore la génération des hippies, dont mes parents étaient de dignes représentants. Mon papa était un passionné de rock. Il possédait une incroyable collection de disques. Il ne jouait d’aucun instrument mais il se mettait volontiers aux platines, lors de mariages entre autres. J’ai grandi entre les amplis et les haut-parleurs, des modèles gigantesques fabriqués à Kuurne qui étaient initialement destinés à être utilisés dans des églises et convenaient donc aux grands espaces. En été, mon père les utilisait au jardin, à plein volume !

Et les voisins ?

Ils étaient loin car la propriété était énorme. Parfois, il leur arrivait malgré tout de venir se plaindre… Dix minutes plus tard, ils étaient installés avec mon père, une bière à la main. Mes parents sont très nature. Mon papa travaillait dans l’aménagement de jardins. Dans le nôtre, il y avait un cerisier, plusieurs pommiers et poiriers et une multitude de fleurs. Par la suite, mes parents ont déménagé dans une maison avec un terrain encore plus grand. Nos plus proches voisins habitaient le château d’Aertrycke, construit par le baron De Maere – celui-là même qui a conçu une bonne partie du port de Zeebruges. Quand j’étais ado, Madame la baronne était encore en vie et il m’arrivait de l’apercevoir avec sa gouvernante, qui ne la quittait jamais : à plus de 90 ans, elle était restée très distinguée, malgré sa chaise roulante. La solitude de cette vieille dame qui vivait isolée dans son immense château frappait mon imagination. Ma s£ur et moi nous amusions à inventer à son sujet toutes sortes d’histoires. Le Houtland où je suis née, vert et majestueux, est aux antipodes du centre de Gand où j’habite aujourd’hui. J’ai étudié dans cette ville et, comme beaucoup de West-Flandriens, j’y suis restée.

Comment la petite fille de Torhout en est-elle venue au théâtre ?

Mon père et mon grand-père étaient très actifs dans le théâtre amateur. C’était pratiquement leur second foyer : mon grand-père, Guido Cafmeyer, a été metteur en scène au cercle théâtral Sint-Rembert de Torhout, qui a gagné trois ou quatre fois le festival amateur du Landjuweel. Moi-même, je ne demandais qu’à chanter et conter… Ayant une femme et huit enfants à nourrir, mon grand-père boulanger suivait des cours au conservatoire après son travail – c’est dire s’il était motivé ! – et c’est ainsi que mes parents voyaient aussi les choses : le théâtre, c’était un hobby, pas un métier. Aujourd’hui encore, j’ai parfois du mal à faire comprendre aux gens que ma profession m’occupe vraiment jour et nuit.

Cela explique votre année d’études en histoire à la KULeuven et vos deux ans de régendat à Torhout…

En effet. L’histoire m’a beaucoup intéressée, mais ce n’était pas vraiment ma tasse de thé. Il fallait trop étudier, et je ne suis pas du genre à rester assise à mon bureau. Cela dit, cette orientation n’était pas le fruit du hasard, car de l’histoire aux histoires, il n’y a qu’un pas ; ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que j’aimais mieux les mettre en scène que l’enseigner. Après cette année à Louvain, je suis retournée dans ma famille à Torhout. Je voulais aussi prouver aux autres, et à moi-même, que j’étais capable de faire des études. Cette décision m’a malheureusement beaucoup fait souffrir : j’ai tenu le coup deux ans, mais la troisième année était de trop, je n’en pouvais plus de ce régendat ! Les matières choisies – histoire, néerlandais et religion – faisaient pourtant, là encore, la part belle au récit. Je connaissais les deux Testaments sur le bout des doigts, mais cela ne m’a pas empêchée d’encaisser un échec retentissant. J’étais complètement dégoûtée par l’hypocrisie de l’Église catholique et de certains curés qui nous donnaient cours et avec qui j’avais régulièrement des conflits. J’avais toujours pensé qu’on pouvait parler de tout… mais manifestement, pour les croyants, l’absence de foi reste un grand tabou.

Pourquoi avoir choisi cette orientation si vous n’étiez pas croyante ?

Ce n’était pas le cas lorsque j’ai entamé mes études ! J’avais bien quelques doutes, mais je me disais qu’ils s’estomperaient en étudiant la question de manière plus approfondie. C’est le contraire qui s’est produit : je me suis complètement détournée de la religion. Lorsque j’ai avoué à mes parents que je n’avais même plus la foi, mon père était sous le choc. Ma mère l’a accepté beaucoup plus facilement même si elle est restée croyante. J’en suis d’ailleurs heureuse pour elle, car cela l’a beaucoup réconfortée lorsqu’elle a été gravement malade, il y a quelques années. Je l’envie un peu, mais hélas… Je pense que si Dieu existe, je le trouverai dans la musique. Mon compagnon, Frans, est violoncelliste et joue souvent du Bach. Les rares fois où j’imagine qu’il pourrait y avoir quelque chose entre ciel et terre, c’est toujours en écoutant ces mélodies sublimes.

Vous semblez issue d’un foyer très catholique…

N’oubliez pas que je viens du fin fond de la Flandre-Occidentale. C’est certainement la province la plus catholique du pays ! Je me souviens encore des excursions dominicales de ma jeunesse avec ma grand-mère, qui partait chaque dimanche suivre l’office en latin. Ma s£ur et moi n’en comprenions pas un mot. Des années plus tard, je suis revenue à Zevenkerken dans le cadre du tournage d’Aspe. Ce fut une expérience très marquante : dans ma jeunesse, je n’en avais guère vu que l’église, j’ai eu soudain l’occasion de découvrir de nouveaux endroits, notamment le réfectoire de l’école abbatiale où les princes de Belgique ont été en internat. L’endroit donne l’impression de ne pas avoir changé depuis un siècle, un peu comme les écoles privées britanniques. Les élèves sont toujours tirés à quatre épingles : veston, cravate, pantalon clair au pli impeccable… J’ai même participé à leurs tournois de rhétorique – ils connaissaient par c£ur des discours en latin qu’ils se déclamaient mutuellement -, une initiative plutôt sympa dans cette région où il n’y a pas grand-chose d’intéressant à faire, surtout depuis que la localisation du festival rock se cantonne, depuis 1998, à Werchter. Cela représente un énorme manque à gagner pour nombre de commerçants de Torhout. Vous imaginez la consommation de cinquante mille festivaliers en frites et en bière ?

Torhout est redevenu un village flamand comme tous les autres…

Ne dites surtout pas cela ! Torhout n’est pas un village : je me souviens d’avoir appris à l’école que la VILLE de Torhout comptait 17 000 habitants. Entre-temps, il doit y en avoir 20 000 ou davantage. Je ne sais pas si c’est à cause de la série In de gloria de Wim Opbrouck, mais on dirait que le dialecte de Flandre-Occidentale a la cote en ce moment : non seulement des chanteurs comme Flip Kowlier ou Wannes Cappelle n’hésitent pas à l’utiliser dans leurs titres, mais on l’entend aussi de plus en plus à la télévision – comme notamment, l’an dernier, dans les séries flamandes De Ronde et Het goddelijke monster. C’est surtout une man£uvre de rattrapage : la Flandre-Occidentale est en train de se faire sa place au soleil après avoir été le vilain petit canard pendant des décennies. Ses habitants ont longtemps été considérés comme des paysans un peu arriérés, et il faut bien avouer que quand on entend le patois de la région pour la première fois, on a les oreilles qui sifflent ! Les West-Flandriens n’en ont généralement pas conscience, mais ils parlent vraiment un idiome à part… Moi-même, au conservatoire, j’ai dû assimiler le néerlandais standard comme une nouvelle langue : pour corriger mes  » g  » et mes  » h « , il a fallu employer la manière forte ! Dans notre dialecte, la plupart des sons sont formés à l’arrière de la cavité buccale et les pronoms personnels se déclinent.  » Joak « ,  » joaj « ,  » joan « ,  » joas  » sont autant de variantes de  » ja « … et  » nee  » veut parfois dire oui ! Et je ne vous parle même pas des nuances régionales. Mon patois préféré est celui de Furnes, même s’il est vraiment très populaire.

On dit les West-Flandriens travailleurs et persévérants : mythe ou réalité ?

Nous nous soucions beaucoup du qu’en-dira-t-on ! C’est pour cela que nous faisons toujours de notre mieux : dans cet univers très fermé où tout le monde se connaît de près ou de loin, il faut toujours surveiller ses faits et gestes. C’est contraignant et opprimant… Lorsqu’on échappe à ce contrôle social draconien, c’est tout un monde qui s’ouvre. À mon entrée au conservatoire de Gand, je me suis enfin sentie libre de m’épanouir. J’ai fait partie de la dernière génération à suivre une formation en déclamation distincte de celle en théâtre ; par la suite, ces deux orientations ont été regroupées sous la dénomination commune d’arts dramatiques. Notre branche était considérée comme  » inférieure « , vouée à produire de moins bons acteurs… Lorsque j’ai eu l’occasion de rejoindre le NT Gent (NDLR : une institution gantoise qui se veut théâtre mais aussi maison d’artistes) alors que j’étais encore aux études, j’étais aux anges. J’aurais bien voulu suivre simultanément une formation en chant – ce que ma prof de diction m’avait d’ailleurs conseillé, car j’ai une large tessiture – mais c’était impossible pour des raisons administratives. Cela ne m’a pas empêchée de m’inscrire à des cours en parallèle et de continuer à chanter. J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer le personnage d’Anne dans la comédie musicale Domino, un rôle très riche qui ouvrait de nombreuses possibilités.

Avez-vous d’autres projets dans cette direction ?

L’année prochaine sera placée sous le signe du chant ; je vais notamment accompagner Wouter Berlaen – qui est contrebassiste, auteur et compositeur – en tournée, après avoir déjà assuré les ch£urs sur son dernier album. Cela s’annonce compliqué avec mes filles, car mon ami nous accompagne… je crois que nous allons devoir engager une nounou. J’ai attendu très longtemps avant de fonder une famille mais voilà, il faut trouver l’homme et le moment parfaits… Sans compter que ce n’est pas si simple dans notre métier, surtout lorsqu’on est tous les deux dans le milieu. Frans est un violoncelliste  » multifonctionnel « , qui s’accommode aussi bien d’un registre classique que plus moderne : outre la récente tournée d’Hooverphonic, il a déjà couvert un album de hard rock, travaillé avec Wannes Cappelle et Wouter Deprez…

PAR GRIET SCHRAUWEN / PHOTOS : CHARLIE DE KEERSMAECKER

 » LES RARES FOIS OÙ J’IMAGINE QU’IL POURRAIT Y AVOIR QUELQUE CHOSE ENTRE CIEL ET TERRE, C’EST TOUJOURS EN ÉCOUTANT DU BACH. « 

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