Raillé autant que fantasmé, il demeure au coeur de la culture populaire italienne. Pour nous, la romancière Simonetta Greggio s’est penchée sur ce mythe toujours vivace, entre folklore douteux et charme particulier.

Autrefois on l’appelait  » latin lover « . Les filles du Nord descendaient de leurs châteaux de neige sur les plages italiennes pour fondre entre ses bras musclés. Plus tard, il est devenu un  » macho « . Bronzé, cheveux crantés, croix en or sur poitrine velue ; dangereux, parce que séduisant, coureur, menteur, concupiscent – et félon. Entre clichés et vérités, j’ai demandé à ma mère, qui a fabriqué trois beaux gosses parfaitement italiens – mes frères -, ce qu’il reste du mythe du macho. Elle m’a répondu :  » Rien.  » Maman est comme ça, elle avance comme un brise-glace. Entre ses trois fils et son mari, il a fallu qu’elle se forge une carapace de crocodile. Malgré leur propre progéniture, leur travail et leurs épouses, mes frères déjeunent tous les jours chez elle. Elle les cajole, les tance, les applaudit. Légitime ou infirme leurs comportements entre spaghetti alla bolognese et tagliata al balsamico. Le vrai macho serait donc maman ?

L’Italie sort à peine de vingt ans de berlusconisme. Vingt ans de starlettes aux courbes explosives promotrices d’audimat, d’assistantes dentaires converties en politique, de Ruby Rubacuori mineures, de grandes horizontales aux interviews ravageuses sur la vie sexuelle de l’ex-président du Conseil. Vingt ans de satrapies d’Etat. C’est aussi un pays sous influence, où les présidents s’agenouillent régulièrement devant le pape, au sens propre comme au figuré. Dans un monde catholique où le féminin n’est pas représenté, l’antienne du corps de la femme nécessaire en tant que réceptacle et passage de vie est une rengaine connue. Ce qu’il en est de son esprit et de sa volonté n’est pas par ailleurs forcément contemplé. Dans une telle configuration, même le folklore du macho est mis à mal. Parce que c’est une conception datée, un film de Dino Risi plutôt que de Nanni Moretti, un rôle pour Marcello Mastroianni plutôt que pour Toni Servillo, pour Ugo Tognazzi plutôt que pour Massimo Troisi. Le macho parfait, c’est Vittorio Gassman dans Le Fanfaron (1962), un adorable salopard sans scrupules, beau comme un bronze de Riace et totalement irresponsable. Un type avec une décapotable toute neuve qui fait un bras d’honneur en exécutant une queue de poisson devant une vieille Fiat 500, qui regarde les filles comme de probables conquêtes, calculant son plaisir et son confort en fonction de leur disponibilité. Un égoïste, un égocentrique, une sorte d’aimable ordure sans respect ni parole. Il a de l’argent, du temps libre et un coeur enfermé dans les barbelés. Insensible aux larmes féminines, ses formules clés sont :  » Ne me prends pas la tête  » et  » Les pleurs, ça t’enlaidit « . C’est un prédateur de fuite : ce qu’on appelle aujourd’hui un pervers narcissique. Lu dans un blog où Lorella Zanardo – auteure du film Le Corps des femmes, documentaire vu par 3 millions de personnes, qui est devenu un livre puis une association – laissait la parole aux hommes :  » Le machisme est un mythe inventé par les féministes pour justifier ce qu’elles-mêmes savent parfaitement, leur incapacité et leur inefficacité. Le machisme n’existe que dans l’esprit malade et plein de haines des féministes.  »  » Plus le temps passe, réplique la philosophe italienne Michela Marzano, professeur à Paris V, plus on assiste à une attaque systématique des conquêtes des femmes. Le but est de leur rappeler que leur rôle « naturel », c’est de se taire auprès des hommes. Les systèmes politique et télévisuel s’entremêlent à merveille, reflétant une vision précise des genres. L’usage de la parole revient aux hommes. Plus les femmes s’affirment comme égales en dignité, valeur et droits, plus les hommes réagissent violemment. Par faiblesse, ils préfèrent les contrôler et les soumettre. Ils exercent à leur encontre une violence verbale, physique et sexuelle. Leur conduite est perçue comme « normale », car elle fait partie du scénario de virilité auquel ils adhèrent profondément. Il est curieux de constater que les attaques les plus violentes envers les homosexuels proviennent de ceux qui déprécient les femmes et les considèrent inférieures.  »

ORGUEIL ET FRAGILITÉ

 » Virilité.  » J’ai demandé à plusieurs personnes de ma connaissance, et de tout bord, de définir ce mot. On m’a répondu :  » C’est un fantasme, une utopie, une représentation de l’homme dépassé par une société à vocation matriarcale.  » La réponse la plus juste était :  » C’est avoir peur sans pour autant manquer de courage.  » La plus cryptique la définissait comme un  » mal féminin affectant l’homme « . Il en ressort, succinctement, qu’il s’agit d’un problème de réflexion, un jeu de miroirs faussés. L’un de mes meilleurs amis est gay. C’est aussi l’un des hommes les plus virils que je connaisse, si la virilité est ce que je crois : une force masculine orgueilleuse et nonobstant respectueuse de la fragilité – la sienne propre, celle de son prochain. Il se trouve qu’il a des aventures, et même des histoires d’amour, avec des Italiens, parfois mariés, souvent hétérosexuels déclarés. Il dit qu’ils sont souvent plus tendres que ses partenaires français, plus romantiques, plus sentimentaux. Honteux de leur préférence sexuelle comme d’une tare qu’ils préfèrent cacher à eux-mêmes autant qu’aux autres. Il dit aussi que les Italiens sont très propres (merci maman), bien habillés, élégants et séduisants. Qu’ils sont charmants, tombent amoureux et sont fidèles dans le temps. Qu’ils sont sensibles, raffinés et gracieux. Autant de qualités prétendument féminines. Encore une légende qui s’écroule ? Le macho ne serait-il qu’un homme qui a peur mais subit le charme de sa part de féminité ? Des témoignages de l’architecte Gae Aulenti (décédée en 2012), de l’actrice Margherita Buy, des réalisatrices Cristina et Francesca Comencini, de l’éditrice Inge Feltrinelli, de l’ex-directrice du quotidien L’Unita Concita De Gregorio, de la syndicaliste Susanna Camusso et même d’une religieuse, Rita Giaretta, sont sur le blog Di nuovo (Dinuovodinuovo.blogspot.com). Comme celui-ci, d’autres mouvements sont apparus en réaction au berlusconisme rampant, entre femmes politiques de Forza Italia qui défendent le chef en dénonçant un  » nouveau moralisme  » et chiffres démoralisants en matière de droits féminins.

ANOMALIES

 » Tout le monde est retourné chez soi, croyant la partie terminée, regrette Nicoletta Dentico, responsable de l’association Filomena, et les libertés acquises n’ont pas été défendues.  » Elle pointe une anomalie italienne, ce taux d’emploi des femmes qui est l’un des plus bas d’Europe (46 %, alors que celui des hommes est de 68,6 %). Et quand elles travaillent, à parité de compétences, elles gagnent de 20 à 25 % de moins. En revanche, elles besognent à la maison : cinq heures par jour de tâches domestiques, contre une heure treize pour leurs compagnons. Elles sont évidemment très rares aussi dans le monde économique, seulement 5 % dans les conseils d’administration des 50 plus grandes entreprises italiennes.

Dans le même temps, le taux de fécondité des Italiennes figure en queue de liste de l’Union européenne. Encore heureux, puisque, de toute façon, les crèches sont rares – et chères.  » Epouses d’abord, puis mères, puis maîtresses ou call-girls, seulement après femmes cherchant à s’assumer professionnellement « , synthétise Emma Bonino, alors vice-présidente du Sénat, dans une interview donnée au Figaro Madame en août 2011.  » Et quand elles sont enceintes, la « démission en blanc » que doivent signer nombre d’Italiens lors de leur embauche est fréquemment utilisée à leur encontre.  » Enfin, en Italie, où 1,4 million de femmes auraient été violées alors qu’elles avaient moins de 16 ans, une loi contre la violence faite aux femmes vient d’être votée. Une loi timide, incluse dans un paquet  » tout compris  » entre les décrets contre les activistes  » No TAV  » (non à la ligne de TGV entre la France et l’Italie) et ceux concernant diverses normes de sécurité. C’est un début.

Lorsque je demande à maman pourquoi, quand j’allais à l’école, mes très bonnes notes étaient moins prises en compte que les notes moyennes de mes frères, elle me répond :  » C’était pour ne pas qu’ils se découragent. Tu sais, ma fille, les garçons sont si fragiles, si complexes, et tellement délicats.  » Alors, je me souviens de Fosca, une vielle dame qui disait à sa petite-fille :  » C’est si dur de devenir un homme : c’est pour ça qu’il leur faut cacher leur douceur. Il faut juste leur laisser la possibilité, le droit de l’être, car un homme doux transporte avec lui l’enfant qu’il a été et le vieillard qu’il sera, sa violence et la fierté de savoir y renoncer.  » Et elle concluait :  » Ce qui fait la force d’un homme, c’est sa douceur.  » Il nous reste le Mastroianni macho tendre et cynique de La Dolce Vita, ses cils passés au mascara. L’Alberto Sordi veule et pleutre des Nouveaux Monstres. On en pleurerait presque. De nostalgie.

PAR SIMONETTA GREGGIO

La virilité ? Une représentation de l’homme dépassé par une société à vocation matriarcale.

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