Ouverte en grand sur le canal de Mozambique, à l’ouest de l’île Rouge, la côte découpée et changeante des Sakalavas, jadis inaccessible, se laisse depuis peu découvrir.

Anajajavy. Sur la carte de Madagascar c’est un point bien visible au bout d’une bonne piste, au nord de Mahajanga, sur une presqu’île du canal de Mozambique. On se figure un bourg important. Mais la réalité est un peu différente: quelques douzaines de maisons de paille éparpillées au bord de la plage brûlante, toits de chaume coupé ras et rideaux colorés flottant aux portes et aux fenêtres, impeccables, si coquettes qu’on les croirait sorties de l’histoire des « Trois Petits Cochons »… Le décor typique d’un village sakalava, qui vit au ralenti sous le soleil encore haut.

Les pirogues des pêcheurs sont tirées au sec, voiles rabantées sur les antennes; sous un auvent, les pièces sculptées d’un mobilier futur s’alignent au milieu des copeaux: un troupeau de zébus rejoint l’abri d’un bosquet; quelques chèvres errent dans le sable mou. A cette heure, toute l’animation se concentre sous les branches du large baobab, où un tréteau garni de quelques fruits et légumes tient lieu de supermarché… Regards graves, saluts timides: des étrangers, il n’en vient pas souvent. Pas plus qu’au minuscule chantier naval qui se niche un peu plus loin dans un repli de mangrove. Amarrés aux troncs des palétuviers, deux ou trois boutres en escale y servent pour l’instant de plongeoirs aux enfants. Mêmes sourires, même dénuement. Sur la berge, des coques inachevées exposent leurs membrures parmi les tas de planches brutes et les madriers. Les charpentiers, qui travaillent à la main, à l’herminette, ont la réputation de savoir mieux qu’ailleurs plier le bois à leurs désirs. Un secret bien gardé, à base d’huile de palme…

La ville, la vraie, Mahajanga, est à 150 kilomètres. Au bout du monde. Une semaine de marche, par les vagues sentiers de brousse qui tiennent lieu de piste, un peu moins par la mer. Mais, depuis quelque temps, une brèche s’est ouverte dans le splendide isolement d’Anjajavy: un hôtel, la fantaisie magnifique d’un industriel français tombé fou amoureux de la presqu’île. Ses villas en bois précieux s’y noient dans une végétation d’oasis fleurie, entre une longue plage en croissant et une réserve naturelle de plusieurs centaines d’hectares. On s’y fait déposer en hydravion. Quelques minutes de balade par les sentiers de latérite révèlent les multiples splendeurs de ce paradis perdu: un chapelet de criques secrètes, ceinturées de falaises rouge sang; les Tsingy, roches calcaires déchiquetées, sorties de la mer: un estuaire, labyrinthe de sable et de mangrove; une forêt toujours verte où la star des mots croisés, le célèbre aye-aye, folâtre en vous scrutant de ses yeux ronds…

Pour Anjajavy ou le village voisin d’Ambondro-Ampasy, l’hôtel est une aubaine. Il fournit du travail mais aussi une sérieuse aide au développement, grâce à de petits prêts ciblés, pour l’achat d’une pirogue, d’engrais ou de semences, par exemple. Cette action complète celle d’Ecoles du monde, l’organisme fondé en 1998 par Charles Gassot, producteur inspiré de films comme « Le bonheur est dans le pré » ou « Tanguy ». Venu là pour un repérage, lui aussi s’est attaché à la presqu’île, où il possède désormais sa maison. La région lui doit la construction de six écoles en dur, et le budget de fonctionnement d’une dizaine d’autres, sans compter la création de sanitaires communaux et de dispensaires animés par une équipe de médecins de brousse. Seuls les enseignants restent à la charge de l’Etat. C’est encore trop. Georgette, la jeune institutrice d’Ambondro, l’explique en faisant visiter sa classe unique: malgré sa licence en philo, elle quittera bientôt son poste pour gérer une boutique d’artisanat à l’hôtel, où elle gagnera bien mieux sa vie…

Le véritable pôle d’attraction de cette côte ouest, c’est Nosy Be, le plus grand et le plus célèbre des satellites de Madagascar, à 350 kilomètres des côtes nord. A vol d’oiseau: la voie des airs est d’ailleurs indiquée, et c’est un régal de contempler à basse altitude les soubresauts vert sombre des montagnes, les scarifications des brûlis et des pistes, le miroitement des fleuves sinueux, les îles semées sur les eaux turquoise… Nosy Be attire – toutes proportions gardées – des foules d’amateurs venus profiter de la chaleur de l’accueil et de la tiédeur de l’eau, de la clarté des fonds sous-marins et de la luxuriance tropicale des plantations de canne et d’ilangs-ilangs. La croisière est le moyen idéal de leur fausser compagnie. Des voiliers charters plus ou moins luxueux vous entraînent vers des archipels aux îlots souvent déserts, montagneux ou coralliens, tapissés de sable ou de forêt dense, mais toujours cernés de plages édéniques: au nord, les Mitsio; au sud, les Radames… Sur l’horizon se profilent, entre mer indigo et ciel céruléen, les voiles blanches des pirogues, qui sont souvent l’unique lien avec les hameaux reculés. Ainsi ceux de la baie des Russes, au bout d’une péninsule où pas une piste ne s’aventure: un des rendez-vous incontournables des navigateurs, une rade presque fermée, protégée par une ceinture de collines bleutées, ourlée à marée basse de plages rousses. Si parfaite que, vers 1904, la flotte du tsar en route pour le Japon, s’y réfugiant pour attendre un ravitaillement de charbon, n’en voulut plus bouger pendant un an…

Devant l’étrave se dévoilent des trésors cachés, tel ce village de pêcheurs niché dans l’embouchure luxuriante de la rivière Baramahamay: toujours ces frêles maisons de joncs, hissées ici sur pilotis, pour cause de crues régulières. Mais la « civilisation » est plus proche: la virgule célèbre d’une marque américaine peinte sur une porte ou les dessins d’enfants affichés dans l’école, résultat de la visite d’une institutrice française, sont là pour le rappeler. Et d’autres joyaux bien visibles, cartes postales grandeur nature: ainsi Nosy Iranja, minuscule montagne boisée à laquelle se rattache à marée basse, par un long et lumineux serpent de sable, un îlot-hôtel plus infime encore. On y nage à quelques mètres de profondeur, entre poissons et tortues nonchalantes.

Au village, les grands nappes brodées – spécialité malgache – étendues entre deux palmiers côtoient les poissons à l’oeil rond qui sèchent en chapelets. Entre arbres à pain et tamariniers, un raidillon grimpe vers le sommet de l’île et le phare, souvenir colonial rougi par la rouille, depuis longtemps abandonné. La maison des gardiens sert d’école, le terre-plein, de terrain de foot, délimité par quelques branches assemblées faisant office de cage. La pente est raide. On frémit, au sommet des marches branlantes, en songeant au sort du ballon victime d’un tir trop puissant. Puis on s’abîme dans l’éblouissement du décor, les nuances de l’eau, les franges d’écume, la poussière d’îles éparpillées.

Texte: Sophie Bogrow, Photos: Emanuel Valentin [{ssquf}]

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