Nul n’est prophète en son pays. Alors que des concepteurs venus des quatre coins du globe érigent de grands projets sur notre territoire, nos experts en art de bâtir portent fièrement nos couleurs par-delà les frontières. Et cela ne fait que commencer.

A chaque fois, c’est le grand cirque. Un starchitecte venu de France, des Etats-Unis ou d’ailleurs débarque en Belgique et on lui déroule le tapis rouge. Daniel Libeskind pour le centre de congrès de Mons, Jean Nouvel pour l’hôtel de police de Charleroi, Zaha Hadid pour une maison portuaire à Anvers, etc. Ces maîtres du verre, du bois ou du béton sont mis sur le devant de la scène, à grand renfort de moyens médiatiques… au point de faire de l’ombre à leurs confrères locaux ! Mais alors que certaines institutions de chez nous, privées ou publiques, rechignent à confier leurs commandes-phares à des compatriotes, ces derniers lorgnent à leur tour au-delà des limites territoriales pour exprimer l’étendue de leur savoir-faire.  » Le marché s’internationalise et de nombreux étrangers viennent construire ici, confirme Jan De Brabandere, project manager au sein de Brussels Invest & Export (1), une institution qui vient de lancer une appli pour faire connaître les architectes bruxellois de par le monde. Face à cette concurrence accrue, nos concepteurs sont amenés à élargir leurs prospections, en France et aux Pays-Bas essentiellement, mais aussi bien plus loin parfois.  » Certes, en valeur absolue, le phénomène n’est pas encore très important. Ainsi, en ce qui concerne notre capitale, au regard de l’ensemble des exportations, 45 % touchent le domaine des services, et 12,5 % de ceux-ci sont imputables aux architectes et ingénieurs, pour un montant annuel de 250 millions d’euros.  » C’est déjà bien, d’autant que la tendance est à la hausse, observe le manager. Il y a une croissance attendue, dans le sillage de quelques structures qui ont ouvert cette voie. Rien qu’au Mipim, le salon de l’immobilier cannois qui s’est tenu l’hiver dernier, quatre agences bruxelloises ont décidé de se lancer sur le marché français.  »

Aurore Boraczek, directrice de Wallonie-Bruxelles Architecture (2) va dans le même sens :  » C’est assez difficile de développer des stratégies d’exportation avec les architectes car ils sont souvent au four et au moulin. Ce n’est pas une priorité pour eux car il ne s’agit pas d’une condition sine qua non pour leur pratique, contrairement aux designers par exemple, pour qui la production doit presque inévitablement passer par d’autres nations. Mais les mentalités changent. Une majorité de bureaux souhaitent désormais travailler à l’international.  » C’est pourquoi WBA a lancé une enquête, aujourd’hui en cours d’analyse, pour déterminer les besoins et freins qui retiennent les candidats au  » voyage « …

OUVERTURE D’ESPRIT

Parmi les grosses pointures qui ont emprunté depuis longtemps déjà les routes internationales, on retrouve Conix RDBM Architects, qui dispose de sièges à Anvers et Bruxelles, mais aussi de deux antennes néerlandaises, à Terneuzen et Rotterdam.  » Certes, au départ, ces projets hors du territoire découlent de demandes, de coïncidences… mais c’est avant tout une ouverture d’esprit vers l’étranger qui nous caractérise, insiste Christine Conix qui a lancé son affaire avec une philosophie assez rock’n’roll… « , affirme l’un des membres, François Lichtle. Deux autres ouvrages sont également sur la table de cette plate-forme bruxelloise : un conservatoire à Nantes et un centre d’interprétation en Vendée, tous deux menés avec une agence locale, Raum.  » Les conditions de travail pour les concours sont bien meilleures en France, car l’indemnisation de ces derniers est cohérente par rapport à la quantité de travail à fournir, complète le professionnel. En Belgique, la rémunération pour cette première phase de recherche est quasiment symbolique, et constitue donc un investissement à perte.  » Un constat qu’appuie Jan De Brabandere :  » On peut considérer qu’en moyenne, il faut faire dix concours pour en gagner un. Sachant que chacun d’eux nécessite quelques dizaines de milliers d’euros, il faut le pay-back pour y arriver !  »

HONNÊTETÉ DE RIGUEUR

Et puis, il y a ceux qui défendent d’une autre façon le label noir-jaune-rouge, au fil d’expositions et de présentations dans d’autres contrées… C’est ainsi que WBA a fait tourner dans l’Hexagone un accrochage intitulé 4836 m2, fin 2014 et début 2015.  » Nous avons pour mission d’asseoir l’image des professionnels de Wallonie et Bruxelles et de les aider à se positionner sur le marché à l’étranger. Nous organisons des actions, participons à des biennales et tentons d’optimaliser leur réseautage « , explique Aurora Boraczek. C’est dans ce cadre que le jeune bureau bruxellois a practice. a été invité à exposer sa vision personnelle du processus de création à Lyon, en mars dernier.  » Ce qui a surtout plu à nos interlocuteurs, et à ceux qui avaient assisté à une autre présentation que nous avions faite à Toulouse l’année d’avant, c’est l’honnêteté qui transparaît dans nos documents et dans notre approche, résume Cécile Chanvillard, l’une des fondatrices de cette agence. Alors qu’en France, quelques spécialistes de l’image de synthèse proposent, pour plusieurs milliers d’euros, des vues léchées avec toujours les mêmes ciels, la même envolée d’oiseaux, les mêmes teintes, les jeunes bureaux bruxellois travaillent en général avec leurs outils graphiques propres. Ce type de dessins est d’ailleurs interdit dans les appels à candidature de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui préfère que l’on consacre le peu de budget alloué à tout autre chose, et surtout à la qualité architecturale de la proposition ! Nous explorons le thème du collage et produisons des plans assez simples dans leur facture… qui ont finalement séduit les Français.  » C’est aussi la manière d’a practice. d’aborder les projets pour, finalement,  » faire beaucoup avec peu  » qui a convaincu nos voisins d’outre-Quiévrain.  » Vu les moyens limités auxquels nous sommes confrontés, nous privilégions des stratégies d’acupuncture. Nous analysons la situation existante, nous explorons diverses réponses possibles à la question, en réfléchissant à l’habitabilité des lieux et, enfin, nous tentons de magnifier l’endroit par quelques leviers, rien de plus. Même avec des matériaux standards, nous étudions chaque détail pour en faire quelque chose de précieux « , résume la trentenaire.

Si les objectifs et la philosophie sont tout autres, c’est néanmoins ce même souci du détail que défend Art & Build :  » En Belgique, nous avons le devoir de nous occuper des dossiers de A à Z, dès leur conception et jusqu’à ce qu’ils soient terminés. C’est une question de responsabilité civile. En France, il y a d’un côté ceux qui font de belles vues 3D, et de l’autre, ceux qui gèrent l’exécution du chantier, souvent des entreprises d’engineering. Nos confrères sont donc dépossédés de leur légitimité à faire le suivi. Résultat : les immeubles sont fidèles à un cliché mais si l’on regarde plus précisément, c’est parfois catastrophique. Et ces constructions vieillissent mal ! Lorsque nous sommes arrivés là-bas, nous avons été naïvement jusqu’au bout des choses et les clients se sont montrés très contents « , explique David Roulin.  » Je pense aussi que notre approche, celle de mon équipe mais également de nombreux confrères, porte une grande importance au contexte, au lieu où nous intervenons. Nous ne concevons pas de bâtiments qu’on peut dropper çà et là avec un hélicoptère. Il y a plus de sensibilité « , complète Christine Conix. Et François Lichtle de L’Escaut de conclure :  » De même que des « écoles » très identifiables et propres à certains pays comme l’Espagne ou les Pays-Bas étaient en vogue ces quinze dernières années, on ressent un engouement récent pour notre architecture, sans doute moins facile à caricaturer que notre cinéma mais qu’on pourrait décrire comme une envie de s’affranchir du côté bling-bling et spectaculaire de la discipline, pour ne pas parler de gesticulation formelle…  » De beaux jours en perspective pour nos anti-starchitectes.

(1) www.invest-export.irisnet.be

(2) www.wbarchitectures.be

PAR FANNY BOUVRY

 » Cela nous apporte des vues nouvelles pour notre travail en Belgique.  »

 » Une envie de s’affranchir du côté bling-bling de la discipline. « 

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