A New York, le Fashion Institute of Technology abrite la plus grande école de mode au monde. Petite visite guidée d’un établissement bouillonnant où la créativité jongle avec les lois du marché.

Pour toute information pratique concernant le Fashion Institute of Technology, une adresse Internet : www.fitnyc.edu

A priori, l’entrée ressemble à celle de n’importe quelle autre école de mode européenne. Sur le trottoir du Fashion Institute of Technology de New York, les étudiants nonchalants discutent du dernier film à ne pas rater, s’échangent de précieuses notes de cours et se dirigent, sans trop se presser, vers les innombrables auditoires. L’agitation est douce et l’atmosphère tranquille. Curieusement, l’habituelle pression de Manhattan est à peine perceptible sur cette portion de la 27th Street qui, il est vrai, a été barrée à l’angle de la 7th Avenue pour mieux assurer la sécurité de la foule estudiantine. Seules les sirènes stridentes et caractéristiques de la police locale viennent, de temps à autre, pirater la douceur de vivre et signaler que l’on se trouve bel et bien au c£ur de la Grosse Pomme.

Il suffit pourtant de franchir le seuil de l’entrée principale pour que surgisse la dure réalité new-yorkaise.  » Où est votre badge ? » gronde d’emblée un garde du service d’ordre à l’attention de l’imprudent visiteur. Contrairement aux campus européens où les allées et venues libres font partie du décor, il en est tout autrement au c£ur des universités américaines. Ici, on ne badine pas avec la sécurité, surtout depuis les événements d’un certain 11 septembre 2001. Imposant, le Fashion Institute of Technology compte pas moins de 12 000 étudiants toutes sections confondues et doit être, à ce titre, correctement gardé.

Une fois les formalités administratives remplies, la découverte des lieux reprend à nouveau des airs de déjà- vu. Au fil des étages, les salles de cours s’étirent avec le même agencement répétitif dévoilant ici des machines à coudre, là des bustes d’atelier et, plus loin, de longues tables où les étudiants s’appliquent à couper leurs tissus. La concentration des stylistes en herbe y est délicieusement palpable et le mélange des cultures, franchement prononcé. Réputation internationale oblige, l’institut recense en effet plus de 70 nationalités différentes venues des quatre coins du monde. Seuls les accents américains des professeurs rappellent, une fois de plus, le cadre spatio-temporel des lieux.

Créé en 1944 pour former les étudiants aux métiers de l’industrie textile, le Fashion Institute of Technology s’est adapté petit au petit aux exigences du marché pour prendre en considération toute la complexité de ce secteur économique. Aujourd’hui, cette université d’Etat dispense une trentaine de formations différentes qui concernent toujours la mode et le design, mais aussi des activités connexes dans les sphères commerciales et technologiques. Ainsi, parmi les diplômes proposés par l’Institut, les étudiants ont le choix entre des orientations aussi diversifiées que, par exemple, l’illustration, les imprimés textiles, le marketing cosmétique, le design de bijoux, la photographie, le développement de produits ou encore l’animation multimédia. La section  » Création de mode  » stricto sensu ne concerne finalement  » que  » 800 étudiants, ce qui fait tout de même du Fashion Institute of Technology la plus grande école de mode du monde.

Parmi les diplômés prestigieux qui ont fait et font toujours la fierté de l’Institut, Calvin Klein et Michael Kors ( lire son interview en pages 42 à 46) figurent au sommet du tableau d’honneur. Ces deux créateurs émérites trônent d’ailleurs en bonne place sur le  » Mur des Célébrités  » situé à quelques mètres du bureau de Francesca Sterlacci, directrice du département Mode. A leurs côtés, d’autres anciens élèves au parcours enviable, tels que Ralph Rucci, John Bartlett ou encore David Chu, fondateur de la célèbre marque de sportswear Nautica. Malheureusement, aucune trace de notre Jean-Paul Knott national dans cette évocation photographique ! Né en Belgique, il y a une trentaine d’années, notre compatriote avait en effet suivi son diplomate de père outre-Atlantique à l’âge de 6 mois à peine pour grandir et étudier à New York au sein du Fashion Institute of Technology. Ses douze années passées ensuite aux côtés de Yves Saint Laurent en tant qu’assistant pour la haute couture et l’intérêt des médias internationaux pour sa propre marque de vêtements mériteraient bien une discrète évocation sur le  » Mur des Célébrités « , mais voilà, Madame la directrice ne connaît pas Jean-Paul Knott et se révèle même un petit peu confuse lorsqu’on lui parle de cet élève brillant. Promis, juré : elle va s’informer sur ce Belge lointain et rectifier le tir dès que possible !

Si le nom de quelques créateurs célèbres participe évidemment à la notoriété du Fashion Institute of Technology, il n’en reste pas moins que le parcours d’autres élèves, plus discrets mais terriblement efficaces, sert également la réputation de l’établissement. Ainsi, les professeurs de l’Institut aiment-ils souligner la réussite plus discrète d’autres anciens dans différentes sociétés, que ce soit un poste de directeur commercial chez Ralph Lauren, la prise en charge de l’image mode sur la chaîne musicale MTV ou encore la fonction de créatrice de bijoux au sein de Bulgari. Forte du réseau mis en place depuis de nombreuses années déjà, l’université exploite d’ailleurs à fond la carte des contacts pour développer une politique de stages en entreprise et organiser des bourses à l’emploi où les émissaires de marques prestigieuses viennent d’ailleurs débaucher les étudiants en fin de parcours.  » La mission première de l’Institut est de satisfaire l’industrie de la mode, précise d’emblée Francesca Sterlacci. Nous sommes à New York, capitale mondiale de la mode, et nous avons la chance d’avoir des partenariats avec la plupart des grandes sociétés actives dans le secteur textile. Elles nous connaissent bien, elles font confiance à notre réputation et à la qualité de notre enseignement, et n’hésitent donc pas à venir vers nous pour recruter directement les étudiants qui s’apprêtent à décrocher leur diplôme. A l’heure actuelle, dans notre département, le taux de placement des étudiants fraîchement diplômés atteint les 85 %. Toutes les écoles de mode ne peuvent pas en dire autant…  »

La créativité au service de l’industrie textile ou l’industrie textile au service de la créativité ? Le débat est lancé et les opinions divergent évidemment selon que l’on se place de tel ou tel côté de l’Atlantique. Pour la directrice du département Mode du Fashion Institute of Technology, la réponse ne fait aucun doute :  » Evidemment, on peut décider d’être créatif à tout prix et faire de l’art pour l’art avec quelques bouts de tissu. Encore faut-il que ça se vende et que des entreprises aient envie d’investir dans cette logique-là ! Personnellement, je pense qu’il est essentiel de s’interroger d’abord sur le fait que les silhouettes que l’on réalise sont portables ou non, et donc si elles sont vendables ou non. C’est pourquoi l’aspect technique est primordial dans notre enseignement de la mode. L’accent est vraiment mis là-dessus : chez nous, c’est deux tiers de technique et un tiers d’artistique. Car il faut véritablement comprendre cet aspect technique pour pouvoir se fondre dans l’industrie de la mode. Cela ne sert à rien de se contenter de réaliser seulement une belle collection créative. Encore faut-il réussir à la produire, à la faire connaître et, surtout, à la vendre. Si on laissait les étudiants s’investir à 100 % dans l’artistique, ils n’iraient pas très loin dans le business une fois sortis de l’école…  »

Pragmatisme, business, marketing. Trois mots qui sont souvent considérés comme tabous dans les écoles de mode européennes, mais qui servent finalement de moteur à l’American way of fashion. Pour Francesca Sterlacci, la dimension commerciale doit d’ailleurs être impérativement associée à l’enseignement de la mode, afin de ne jamais flouer l’étudiant sur la réalité du marché.  » Le talent, c’est bien, mais il faut aussi apprendre à se vendre ou, sinon, on risque de ne jamais exercer ce métier lorsqu’on est diplômé, répète la directrice du Fashion Institute of Technology. Attention, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : la dimension créative est importante et il faut sans cesse l’explorer, mais il faut surtout prendre en considération le goût des clients. Et ce n’est pas contradictoire ! Franchement, je pense que le respect de la dimension commerciale est vraiment essentiel si l’on veut réussir dans ce métier. Ici, c’est notre souci principal et c’est ce qui fait notre différence avec la majorité des écoles européennes : chez vous, on s’en tient souvent au côté créatif. C’est respectable, mais les étudiants courent sans cesse le risque d’être perdus lorsqu’ils se retrouvent sur le marché du travail. Chez nous, tous les professeurs sont des professionnels de l’industrie de la mode et les étudiants sont constamment mis en rapport avec d’autres professionnels de cette industrie dans l’unique but de maîtriser ce côté marketing et de trouver, in fine, un travail qui colle à la réalité du marché.  »

Les professeurs des écoles de mode belges sursauteront sans doute à la lecture de ces lignes, arguant que la créativité débordante des étudiants en stylisme doit tirer l’industrie vestimentaire vers le haut et non pas être tirée vers le bas pour satisfaire les goûts du grand public. Dans ce débat presque caricatural, on pourrait simplement imaginer une complémentarité plutôt qu’un affrontement culturel, une spécialisation  » marketing  » au Fashion Institute of Technology de New York après un passage  » artistique  » à La Cambre, par exemple. Car c’est peut-être en maîtrisant ces deux armes-là que les futurs grands de la création textile feront la différence dans ce siècle naissant.

Frédéric Brébant

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