Manuel Bozzi est un autodidacte flamboyant. Venu de la scène rock, ce créateur de bijoux n’a jamais oublié les vieilles légendes que sa mère orfèvre lui murmurait le soir. Découverte à l’italienne.

On avait repéré ses bijoux sur photo – une clé, une tête de mort, un animal sacré, qui respiraient tous une certaine  » détermination romantique « . On avait vu son portrait, pris dans son  » laboratoire « , avec son sourire en coin et ses yeux noirs qui vous fixent intensément. Au premier plan, dans le coin droit, sa main, dûment baguée, un anneau à l’annulaire et au majeur, une bagouze comme en portent parfois les collégiens américains. On avait été intriguée. Comme il habite Pise, on avait penché pour le rencontrer in situ. Mais l’occasion s’est présentée ailleurs. A la faveur d’un salon parisien, à Première Classe, sous tente dans le Jardin des Tuileries. 5 000 m2 de surface brute, des exposants venus d’Europe, mais aussi du Japon ou des Etats-Unis, plus de 318 marques d’accessoires  » triées sur le volet « . Au numéro 365, le stand de Manuel Bozzi, en dessous du panonceau chiffré, il a ajouté la phrase  » days of rock ‘n’ roll « . Il est là, derrière ses petits meubles gothico-rock à présenter ses bijoux décalés, ses serpents, ses têtes de mort, ses clés qui ouvrent on ne sait quelle secrète serrure. Un univers, un vrai, qui ressemble à l’homme, un peu ésotérique, très romantique, pas mal tatoué, qui se rit des clichés. Sa bague que l’on aurait cru made in United States n’est rien d’autre qu’une création personnelle, sur laquelle il a gravé  » university of rock ‘n’ roll  » –  » c’est une blague, dit-il, une parodie « . Au cou, par contre, il ne porte que du sérieux :  » sa carte d’identité « ,  » une chaîne et trois pendentifs, une bague de Serge Thoraval, parce que je l’aime et que j’aime sa vision, une clé en argent, qui ouvre réellement une vraie porte et mon étoile juive, voilà, c’est mon petit trésor.  » Entre deux allées, dans la moiteur du salon, Manuel Bozzi expose Manuel Bozzi. Deux ou trois choses que l’on sait désormais de lui.

Son enfance. On lui demande de la raconter, il demande si c’est une interview ou une thérapie et il rit, comme un gamin frondeur de 35 ans puis il surjoue, genre commedia dell’arte :  » Je suis italien, vous voyez, la mama, les spaghettis « , trêve de plaisanteries, oui, sa mère,  » orfèvre non conventionnelle « , qui peint, écrit et chante aussi lui a tout appris.  » Elle m’endormait chaque soir dans le murmure des vieilles légendes… Tout ce que je connais des arts anciens, des cultures antiques vient d’elle. Et puis j’étais toujours fourré dans son laboratoire à découvrir les secrets des bijoux.  » Mais la filiation lui semble alors trop évidente, il décide de tergiverser. Faire semblant que tout ceci ne l’attire pas tant que cela.

Son chemin initiatique. Les parcours chaotiques ne sont-ils pas, finalement, les plus intéressants ? Manuel Bozzi tourne donc le dos à son enfance, aux créations de sa mère, étudie la communication visuelle dans une école d’arts, joue de la guitare et de la batterie, catégorie rock ‘n’ roll, travaille dans le théâtre, comme technicien backstage, jardine, passe  » beaucoup de temps  » à se  » chercher « , découvre qu’un  » étrange mélange d’ancien et de moderne  » fait partie de lui, finit par s’avouer que les bijoux, il les a  » dans le sang « .

Son premier bijou. Sûr qu’il s’en souvient. Il était comment ?  » Horrible !  »  » C’était, raconte-t-il, un collier rigide, construit à partir de plusieurs pièces qui avaient toutes une fonction différente. L’idée était bonne, mais le résultat vraiment terrible. Je l’ai montré à ma mère, elle a été sans pitié. Je n’ai plus jamais tenté l’expérience, vous ne trouverez rien de rigide dans mes collections ! Je hais le rigide !  »

Son laboratoire, via San Francesco, numéro 28/30, à Pise, Italie. Ne dites surtout pas  » atelier « ,  » bureau  » ou même  » espace de création « . Car quand Manuel Bozzi travaille, il est question d’alchimie. Juste la matière et lui. Pas de dessin. Le silence. De la musique, non, du café, oui. Le c£ur et l’esprit à l’unisson ?  » C’est quoi ce truc, vous oubliez que je suis un rocker ! Je blague, j’espère que, dans toutes mes créations, vous sentez battre mon c£ur et vibrer mon âme. Yeh, babe !  »

Ses inspirations.  » L’art ancien et le moderne, je suis curieux, je scanne tout ! Parfois, il m’est difficile d’hiérarchiser toutes ces idées. Pour le moment, depuis deux saisons, je crée des animaux.  » Parfois, Manuel Bozzi s’essaie au romantisme, à son contraire. Confronter les genres, dit-il.  » Peu importe que l’un de mes bijoux ait été dessiné pour un homme ou une femme, parfois, je fais la différence, parfois pas, mais finalement, ce n’est pas à moi de décider !  »

Ses matières. De l’argent, de l’or, du bronze. Rien que des matériaux précieux. Et du cuir, surtout s’il est exotique, du python, du lézard, du crocodile. Le luxe par essence. Celui qui est intimement lié à  » la main de l’artisan « .

Sa collaboration avec Marithé+François Girbaud. Depuis huit ans, Manuel Bozzi dessine une ligne de bijoux et des accessoires, des boucles de ceinture, des attaches, des boutons-bijoux pour les jeans du duo français.  » Tout part de la vision de François, qui a réussi à faire quelque chose d’unique avec le denim, le jeans et les bijoux. Travailler avec eux, c’est grand ! François m’a ouvert une fenêtre sur le monde. Je dis souvent qu’il m’a montré le côté C des choses, pas seulement le côté A ou B !  »

Son futur. Il sait, Manuel Bozzi, que ses débuts, aussi magiques et excitants fussent-ils, baignaient dans une grande naïveté.  » Un vrai rêve  » qu’il veut pourtant conserver intact.  » Pas d’agent, pas de showroom, pas de communication, seulement les bijoux. Ma force est de garder cet esprit-là, de continuer à rêver mais avec des stratégies modernes. Je voudrais laisser ce concept grandir sans faire de compromis, avec la même fraîcheur qu’au départ. Pour le moment, je suis heureux et satisfait. Mais toujours en rechercheà  » Sourire d’ange. Et si cette interview ressemblait finalement à une thérapie – mais rock ‘n’ roll ?

Anne-Françoise Moyson

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