en 2005, luxe et prestige illumineront le nouveau centre de communication Citroën sur l’une des plus belles avenues du monde. manuelle gautrand, l’étoile montante de la nouvelle génération des architectes, relève le défi.

Fine, menue, la voix douce et la silhouette juvénile, Manuelle Gautrand (42 ans) règne sur un petit empire discret du 12e arrondissement parisien. Dans une rue calme, une maison à la façade étroite, un rez-de-chaussée vitré, les tables de travail de ses six collaborateurs planchant sur les projets de l’agence. L’année 2002 a marqué un tournant important dans la vie professionnelle de Manuelle Gautrand. Elle a décroché, en effet, la rénovation de l’espace Citroën sur les Champs-Elysées de Paris à la barbe des grands noms comme Christian de Portzamparc ( la tour LVMH à New York) ou Daniel Libeskind (le Jewish Museum à Berlin et la reconstruction du WTC à New York). Un exploit qui lui a permis, entre autres, d’être épinglée parmi les  » 100 Français qui comptent en 2003  » par le magazine L’Express.

La jeune femme avait déjà livré de nombreuses réalisations importantes dont le théâtre de Béthune ou un pôle culturel à Saint-Louis. Dans ses cartons, outre Citroën, l’on trouve également pour 2005 l’extension-restructuration du musée d’Art moderne de la ville de Lille. Rencontre avec l’une des plus brillantes architectes contemporaines.

Pour Citroën, vous étiez en compétition avec des grands noms de l’architecture contemporaine. Comment avez-vous été choisie ?

Je pense que la décision relève d’un tout. Il faut bien sûr qu’il y ait une adéquation programme-projet et respect du site, mais après il y a tout un monde de subjectivité et c’est cela qui est formidable. On m’a dit que ce qui avait séduit dans mon projet, c’est que la marque et l’esprit Citroën se retrouvaient parfaitement dans mon projet et c’est donc difficile à décrire en termes précis.

Pourriez-vous expliquer le cheminement de votre projet ?

Il fallait avant tout que l’on se trouve face à un lieu magique et cela à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Le terrain étant très étroit, j’ai voulu utiliser la verticalité du lieu ; faire un projet qui monte au ciel tout en créant une scénographie intérieure utilisant toute cette verticalité. A l’intérieur, l’élément central est une sorte de présentoir à voitures. Un présentoir se voulant à la fois objet de design et décor. La voiture y est magnifiquement mise en valeur. Ce  » manège  » qui monte très haut comprend huit plateaux circulaires de 6 mètres de diamètre, empilés les uns sur les autres et retenus entre eux par un mât. Sur chaque plateau est placé une voiture qui peut tourner sur elle-même. Cette forte scénographie sera visible des Champs-Elysées. Parallèlement à cela, on a aussi voulu créer un parcours pour le public. Un public qui vient littéralement s’enrouler autour de ce présentoir par une alternance d’escaliers et de paliers. Le spectateur pourra aussi bien regarder les voitures sur les plateaux mais aussi les Champs-Elysées. Tout en haut du bâtiment, il dominera les toits et pourra même apercevoir la tour Eiffel.

Vous mettez aussi beaucoup l’accent sur la transparence ?

Après avoir créé cette scénographie intérieure, il a fallu l’entourer d’une enveloppe en verre et cela pour plusieurs raisons. La première est qu’il fallait réinterpréter la façade imaginée par André Citroën dans les années 1930 et qui était très belle, super contemporaine et richement conçue, mais malheureusement abîmée par le locataire actuel (un restaurant). Ce retour au verre permettait de se tourner à nouveau vers le passé tout en le projetant dans l’avenir. Je ne voulais pas non plus qu’il y ait de rupture dans la façade, dans la volumétrie du projet. J’ai repris la façade d’André Citroën dans la partie basse et je continue avec le verre sur la totalité de l’enveloppe pour qu’il n’y ait jamais de rupture. La simple transition se fait par l’énorme chevron apposé sur la façade qui démultiplie l’espace.

Le bâtiment sera inauguré au premier semestre 2005. Avez-vous déjà des idées pour le faire progresser dans le temps ?

Architecturalement il ne peut pas y avoir trop de progression. En re-vanche, on travaille énormément sur la mobilité intérieure. Je ne me vois pas faire un projet pour le centre de communication Citroën et le rendre complètement statique. On a donc travaillé sur la mobilité, à la fois sur le mouvement des voitures mais aussi au niveau des scénographies qui pourraient très régulièrement surprendre le public et faire en sorte qu’il ne se lasse jamais de venir et de revenir dans le bâtiment pour à chaque fois découvrir autre chose.

Le fait de se trouver sur les Champs a- t-il freiné votre imagination ?

On ne peut travailler sur ce projet en ignorant qu’il va être réalisé sur la plus belle et la plus prestigieuse avenue du monde ! Il faut de plus préserver le patrimoine des Champs. Dès lors on ne peut pas faire tout à fait ce que l’on a envie. Il est évident que ce projet-là, je ne l’aurais pas fait ailleurs. C’est cela qui est intéressant dans mon métier. On a un client qui a des besoins et à côté de cela on a un site bien particulier. Chaque projet est donc un nouveau prototype. Citroën aurait eu ce même programme dans un autre endroit, le projet aurait été complètement différent.

Je peux cependant affirmer que ce projet, je l’ai complètement intégré dans l’esprit des Champs. C’est sans doute le seul endroit à Paris où il existe un tel mélange d’architectures ; où l’on peut trouver des bâtiments de toutes les époques qui ont su à chaque fois s’affirmer avec une certaine modernité. En regardant les bâtiments voisins, on s’est aperçu que l’on pouvait s’autoriser un projet très contemporain pour peu qu’il respecte les règles de base des Champs : respect de l’alignement, du gabarit, du prestige des lieux. Pour moi, ce prestige devant s’affirmer par une architecture contemporaine et non passéiste.

Pour votre projet, vous vous êtes basé sur l’histoire de Citroën. Auriez-vous pu travailler pour une marque étrangère et peut-être moins ancienne ?

C’est vrai que je me suis toujours intéressée aux voitures. Un architecte s’intéresse de toute façon à tous les designs. Je ne peux ignorer que le design automobile se veut en recherche permanente et qu’il possède un côté extrêmement créatif. Quand je me suis plongée dans l’histoire de Citroën, je me suis aperçue que ce n’était pas une marque comme une autre. Elle possède un réel passé prestigieux et créatif. Cette marque a non seulement été créative au niveau mécanique mais aussi sur des points plus subjectifs comme le confort ou l’usage même de l’automobile. Ainsi Citröen ne désire pas créer des moteurs pour aller toujours plus vite mais possède aussi le souci d’apporter quelque chose d’autre à l’automobiliste. Et cette démarche m’a plu. Je me sens dès lors en phase avec la marque. Cela aurait été plus difficile si j’avais dû faire un centre de communication pour une marque moins riche en ce domaine. Je pense que l’on est toujours plus créatif quand on se sent en osmose. Pour créer, il n’y a pas de secret : il faut vraiment se fondre, se couler dans l’esprit des clients, dans les usages et les lieux.

En tant que créatif, ne vous sentez-vous pas freinée par des impératifs commerciaux ?

Terriblement. C’est cela qui est difficile dans notre métier par rapport à un artiste qui fait une £uvre d’art. Nous, architectes, nous sommes freinés par énormément de choses. Tout d’abord par la pérennité de ce que l’on construit. C’est important car on ne peut pas construire n’importe quoi puisque l’on construit pour des années. Ensuite par le coût et les réglementations de l’urbanisme, de l’incendie. Et puis on a aussi, ce qui est normal, des coûts à respecter. En tant qu’architecte aujourd’hui, c’est très difficile de se faufiler là-dedans tout en restant imaginatif.

Pensez vous que dans l’architecture il y ait des mouvements de mode ?

Il existe effectivement des mouvements de mode. Je pense que les architectes hollandais ont actuellement le vent en poupe. Cela vient non seulement d’un phénomène de mode, mais aussi de la qualité de l’enseignement qui est bien meilleur chez eux, mais aussi du dynamisme que l’on rencontre aux Pays-Bas. Les Hollandais ne sont pas freinés comme les Français ou les Belges par des problèmes de patrimoine, il y aussi un énorme dynamisme dans le secteur du bâtiment, ce qui permet très vite aux jeunes architectes d’avoir des commandes et de construire. La situation en France est loin d’être idyllique : les jeunes architectes n’ont pas accès à la commande ; ils participent à des concours qu’ils n’arrivent jamais à gagner ou à des petits projets qui ne se réalisent pas. Si on n’a pas facilement accès aux commandes, la nouvelle génération ne peut avoir pignon sur rue et les genres architecturaux ne se renouvellent donc pas.

Quel est pour vous la définition d’une architecture réussie ?

C’est une architecture qui peut transcender le programme, c’est-à-dire qu’il y a une réelle alchimie entre le respect du site, de l’usager et du maître d’ouvrage. Cette alchimie doit permettre à l’architecte d’être suffisamment créatif pour dépasser non seulement les besoins immédiats mais aussi les enjeux d’un site et donc de proposer un projet qui possède quelque part un côté inattendu ; un côté qui sait aller de l’avant ; qui sait apporter de l’émotion dans l’usage que l’on fera.

Auriez-vous un exemple concret ?

Mais le projet Citroën ! Je pense avoir créé une  » architecture réussie  » : je respecte à la fois le patrimoine parisien, le patrimoine historique de Citroën et en même temps le projet est extrêmement contemporain. Côté pratique, je pense que j’ai réussi à la fois à créer un univers empli d’émotions où l’on palpe l’imaginaire Citroën et un lieu en même temps fonctionnel. L’enjeu de l’agence était de proposer un projet qui dégage presque une atmosphère féerique quand on entre dans le bâtiment.

Comment définiriez-vous votre projet Citroën en trois mots ?

Je dirais que l’on a travaillé sur une marque, une enveloppe et un intérieur. Ce sont les trois mots utilisés par un designer automobile quand il définit un nouveau modèle. Pour ce bâtiment, j’ai voulu faire pareil.

Propos recueillis par

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