Directeur artistique de Louis Vuitton, ce New-Yorkais pur jus, amoureux de la France et de sa mode, possède aussi sa propre griffe. Rencontre exclusive avec un surdoué du style.

L’homme est résolument à part sur la planète mode. Discret, calme et posé. Pire, il passe inaperçu dans les rues de Paris et fuit les mondanités si chères aux fashion victims. Et pourtant, Marc Jacobs est une icône. A 41 ans, l’Américain tranquille possède une aura et un talent incontestablement reconnu de ses pairs. Le nouveau miracle Louis Vuitton, c’est lui. Lorsque Bernard Arnault, PDG de LVMH, déniche ce New-Yorkais inconnu pour propulser la célèbre marque de maroquinerie sur une nouvelle voie textile en 1997, peu de spécialistes parient immédiatement sur son succès. Mais Marc Jacobs est visionnaire et sa révolution de velours porte rapidement ses fruits. En quelques mois à peine, le nouveau style Vuitton fait mouche et les ventes explosent. On s’arrache le monogramme revu et corrigé dans une splendide modernité ; les stars de cinéma craquent pour les silhouettes délicieusement nonchalantes de ce nouvel apôtre du luxe revisité. Mais Marc Jacobs ne se prend pas la tête et poursuit sereinement son travail. Pour Louis Vuitton et pour sa propre marque lancée il y a presque vingt ans déjà. Rencontre exclusive à Paris.

Weekend Le Vif/L’Express : Sofia Coppola a dit en découvrant vos créations :  » C’est la première fois que je vois des vêtements conçus par, et pour, quelqu’un de ma génération.  » Comment faites-vous pour créer des collections que les femmes de 25-40 ans ont exactement envie de porter ?

Marc Jacobs : Je me sens très inspiré par des filles comme Sofia, à la fois créatives et dans l’air du temps. Elles ont du style, elles sont sans codes ni tabou. Leur luxe, c’est la liberté absolue ! Ma mode est un peu à cette image et c’est sans doute pour cela qu’elles aiment porter mes vêtements.

Sissi Spacek, Chloë Sevigny sont aussi parmi vos fans. Est-ce important pour vous d’être en phase avec ces symboles d’une génération ?

Elles sont en effet les icônes d’une époque, mais ce n’est pas ce qui m’importe. Elles comptent pour moi parce qu’elles exercent un métier visuel et artistique. Ainsi, on se nourrit les uns les autres.

Vous avez eu vos périodes grunge, rock and roll, romantique… Mais toujours optimistes, chics et décalées. Comment définissez-vous votre style aujourd’hui ?

En quelques années, la mode a cassé les règles du  » vestimentairement  » correct. Désormais, je me sens le droit de faire cohabiter les extrêmes, un manteau court et une veste longue, par exemple. L’imperfection, le décalé ont droit de cité, ils sont même devenus des promesses de beauté. Aujourd’hui, je revendique aussi moins de messages, je ne m’excuse plus de faire des vêtements.

Vous avez suivi des cours de la prestigieuse Parsons School of Design, à New York. Qu’y avez-vous appris ?

Ces années ont confirmé mon goût pour les arts, quels qu’ils soient. J’y ai aussi appris la liberté de m’inspirer de toutes les formes artistiques pour aller jusqu’au bout d’un style.

Comment avez-vous débuté dans la mode ?

A l’âge de 12 ans, je me suis installé chez ma grand-mère, qui faisait beaucoup de tricot. Elle m’a appris la technique et j’ai même fait des pulls dans certaines de mes collections. Ensuite, j’ai travaillé chez Charivari, une boutique près de chez elle où je pliais des chemises. J’ai suivi les cours de la High School of Art Design, puis de la Parsons School of Design. A 15 ans, j’ai créé ma première collection de maille. A 23, j’ai choisi de commencer seul, alors que j’aurais dû être assistant dans une grande maison. C’était risqué, mais très instructif. Après la collection grunge imaginée en 1983 pour Perry Ellis, Robert Duffy, mon partenaire, et moi avons été virés. C’est grâce à cela que nous avons lancé la marque Marc Jacobs. Et c’est la reconnaissance du milieu liée à ce défilé grunge et mes premières collections qui ont suscité l’intérêt de Louis Vuitton.

Quelles ont été vos principales influences ? Et désormais, où puisez-vous votre inspiration ?

Depuis quelques années, je collectionne de l’art contemporain, ce qui stimule beaucoup ma créativité. Je m’intéresse aussi à la danse, aux ballets, qui m’ont inspiré pour la prochaine collection homme Louis Vuitton.

Y a-t-il aujourd’hui des couturiers dont vous vous sentez proche, dont vous appréciez le travail ?

Azzedine Alaïa, Yves Saint Laurent, Rei Kawakubo et Yojhi Yamamoto.

Vous avez signé avec Vuitton en 1997. Qu’est-ce qui vous a plu dans cette maison ?

J’ai bien sûr été séduit par le fait que cette marque est un symbole reconnu de tous, et dans le monde entier. Mais j’aime aussi que Vuitton ne soit pas fondamentalement une maison de mode. On fait des choses à la mode qui évoluent avec les humeurs du temps, mais le c£ur, l’esprit restent inchangés, et inchangeables.

Et, selon vous, qu’est-ce qui a séduit Bernard Arnault chez vous ?

Une personne de son équipe appréciait mon travail. Bernard Arnault est venu à New York pour me rencontrer. Il a été, je crois, impressionné par ma mode, à la fois jeune et sophistiquée, par mon soucis de la qualité et mon sens du détail. Avec Robert Duffy, mon associé, nous avons présenté une première ébauche de collection qui lui a plu. Et tout a commencé !

Comment avez-vous réinterprété les codes de la maison ?

J’ai beaucoup travaillé autour du monogramme, l’icône de la marque, en essayant de le rendre chaque saison plus attrayant et plus désirable. Je l’ai décliné dans différentes matières, j’ai joué avec la taille. J’y ai même appliqué des graffitis !

Vous avez beaucoup misé sur les accessoires et notamment sur les sacs, emblèmes de la marque avec l’artiste japonais Takashi Murakami. C’est sa fantaisie qui vous a plu ?

J’aime cette idée romantique, ce côté grande tradition française qui associe une marque à un artiste, comme à l’époque où Chanel et Schiaparelli collaboraient avec Dali et Picasso. J’étais sorti très enthousiaste de l’exposition Murakami à la Fondation Cartier, en 2002. Je lui ai proposé une collaboration. Il a tout de suite accepté et a créé pour le monogramme un univers multicolore, sur fond blanc ou noir. Il a également inventé des fleurs, que nous avons réalisées en édition limitée. Le résultat est gai, drôle, moderne. Et, maintenant, nous allons lancer le  » cherries bag « , après les arbres en fleurs, les fruits rouges, les cerises. L’équipe de Murakami, 12 assistants à New York et 8 au Japon, travaille en osmose avec la mienne. Ces sacs sont le résultat d’une réflexion commune. Dans la lignée des fleurs, on cherchait quelque chose de très féminin et appétissant. Les cerises se sont imposées.

Vuitton est l’une des marques les plus copiées au monde, notamment avec ses accessoires. Est-ce que cela vous gêne ?

La copie est une forme de reconnaissance, mais, en même temps, il faut combattre la contrefaçon… Ce qui n’est pas de mon ressort !

Pour cet été, vous proposez un vestiaire années 1940, avec des jupes ceinturées, des vestes courtes. Pourquoi cette période ?

Cette collection est directement inspirée du monde du spectacle. L’esprit des années 1940 y est enrichi avec des mélanges d’imprimés surprenants, pour des silhouettes fines et légères.

Il y a aussi une profusion de couleurs. Toujours le même optimisme ?

Pour cet été, j’ai voulu mettre en scène une femme heureuse et tout en fraîcheur. Ma pièce préférée est une robe ultraféminine, avec des imprimés très gais. J’adore les couleurs et l’impression de légèreté qui en ressort.

Que représente la robe pour vous dans le vestiaire féminin ?

La robe est, pour moi, le symbole absolu de la séduction et de la féminité. Elle transcende la silhouette, lui donne toute sa sensualité en conservant son mystère.

Vous imaginez également des collections sous votre propre nom depuis 1986. Comment définiriez-vous ce travail par rapport à celui pour Vuitton ?

Ce que je fais pour Marc Jacobs est plus jeune, plus romantique et plus urbain. C’est un instantané de la vraie vie new-yorkaise. Chez Louis Vuitton, les vêtements sont plus sophistiqués, ils traduisent une sensibilité très européenne…

Vous avez déjà lancé trois parfums pour femmes. Ce sont des compléments indispensables dans l’univers Marc Jacobs ?

Les parfums sont aujourd’hui l’évolution naturelle de la mode. Comme les vêtements, ils expriment l’identité d’une marque. Blush, créé l’automne dernier, mêle les senteurs de bergamote, de musc, de bois de santal et de jasmin, ma fleur préférée. Il possède un style très fort, très personnel, très  » Marc Jacobs « .

Vous venez aussi de lancer une ligne de tee-shirts à l’effigie de Hillary Clinton, les recettes des ventes servant à financer la campagne électorale de Madame la Sénatrice. Vous définissez-vous désormais comme un  » couturier militant  » ?

C’est mon associé Robert Duffy qui s’occupe de cela. Mais je le soutiens totalement dans cette action.

Depuis 1997, vous vivez très souvent à Paris, comment vous sentez-vous dans cette ville ?

Très bien, Paris est une ville idéale pour marcher. C’est un musée à ciel ouvert où l’on a envie de flâner. Mais je continue à passer la majeure partie de mon temps à New York.

Paris est-elle pour vous une capitale importante pour la mode ?

Essentielle, tous les grands noms y défilent !

Pourtant, sous votre nom, vous ne défilez qu’à New York, ni à Paris, ni à Milan ?

J’aime séparer les deux maisons. Et Marc Jacobs représente ce que je suis, un New-Yorkais.

Vous allez également ouvrir à Paris une boutique pour votre propre ligne. Vous avez mis beaucoup de temps à trouver un lieu. Pourquoi ?

Pour justement trouver le lieu qui correspondait le plus à l’esprit de la marque… Et ce sera le Palais-Royal. Pour moi, c’est le c£ur de la ville.

Propos recueillis Lydia Bacrie

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