Marché conclu

Jean-Georges Vongerichten, nouveau  » mandarin  » de la  » fusion food « , ouvre sa première enseigne à Paris. Le Market marie audace et classicisme… grâce au super patron François Pinault et au cinéaste star Luc Besson.

Chez les grands chefs aussi, la valeur n’attend pas le nombre des années. Et Jean-Georges Vongerichten n’échappe pas à la règle. Enfant, c’est vers lui que les regards se tournaient à l’heure du repas pour rectifier les assaisonnements des recettes familiales. Mais, aujourd’hui, c’est à quelques dizaines de milliers de clients qu’il s’adresse de par le monde.

A Paris, ce fameux chef d’origine alsacienne, dont la renommée outre-Atlantique égale celle de Alain Ducasse, a ouvert il y a peu le Market, son onzième restaurant mais son premier en France. Il signe ainsi son retour au pays après son départ, en 1985, pour les Etats-Unis. Dans le succès de sa carrière, c’est pourtant l’influence de l’Asie, où il séjourne entre 1980 et 1985 pour assurer la direction d’une dizaine de restaurants, qui sera déterminante. En 1993, Jean-Georges Vongerichten inaugure le Vong, sa première enseigne new-yorkaise, pour y marier les saveurs thaïes et françaises. Succès immédiat. Londres (1995), Hongkong (1997) et Chicago (1997) suivront. Dans le même élan, le Jean-Georges, près de Central Park, loué par  » Esquire  » et le « New York Times  » conforte sa réputation à New York.

Quant aux critiques gastronomiques français, ils avaient fait le deuil d’une toque d’exception, confortablement installée à l’étranger depuis vingt ans. Il y a deux ans, la rumeur d’un projet commun à Paris avec François Pinault, à la tête du groupe de luxe PPR (Pinault-Printemps-Redoute) circule néanmoins entre les tables jusqu’à ce que l’homme d’affaires repère avenue Matignon, à trois numéros de la maison de vente aux enchères Christie’s (détenue par François Pinault), un rez-de-chaussée aux dimensions idéales.

Avenue Matignon… La prestigieuse localisation convainc définitivement le chef alsacien. Une autre connaissance de Jo-Jo, comme l’appellent ses proches, se lance dans l’aventure : le réalisateur Luc Besson. Rien d’étonnant à cela. A Paris, il ne se passe pas une saison sans que des professionnels du cinéma et de la télévision n’investissent dans la restauration, à l’instar de Robert de Niro, Jean-Luc Delarue ou Smaïn.

Au générique des actionnaires du Market, il faudra bientôt ajouter le nom du célèbre décorateur Christian Liaigre qui – fait nouveau – en a profité pour revoir son style. Déjà auteur de la décoration du Mercer Kitchen à New York et de Dune aux Bahamas, deux restaurants de Jean-Georges Vongerichten, Christian Liaigre introduit ici quelques heureuses touches pop (verres teintés en vieux rose) au milieu d’un environnement dominé par la pierre et le bois.

Masques et boucliers d’art premier d’origine africaine ou océanienne suffisent à donner une âme aux lieux, sobrement mais remarquablement scénographiés. Subtilement intégré à l’arrière-plan de la première salle, un espace de vente offre une sélection internationale de produits de qualité. Des meilleures épices aux huiles et sauces d’accompagnement, chacun peut y faire son marché. La cuisine, visible au sous-sol, dans la cave à vin, participe à la vogue de la transparence du lieu de travail, chère à Terence Conran, le fondateur d’Habitat, gourou de la décoration.

Des détails conceptuels discrets mais qui en disent suffisamment long sur la volonté d’inscrire le Market dans le sillage des restaurants chic et trendy de la capitale française. L’adresse est très vite devenue le repaire des  » people « . Ici on a plus de chances de croiser Carla Bruni ou Catherine Deneuve que Jean-Georges Vongerichten lui-même, lequel reconnaît ne passer qu’une fois par mois à Paris. En son absence, c’est son chef de cuisine, le jeune américain Eric Johnson, formé à ses côtés à New York durant quatre ans, qui assure la continuité.

Chercheur de saveurs cosmopolites depuis deux décennies, Jean-Georges Vongerichten avait tous les atouts pour se glisser avec le plus grand naturel sur la vague de la  » fusion food « . Pizza au thon cru et crème de wasabi, homard au radis daikon, volaille de Bresse au gingembre et coriandre témoignent de ses associations sans frontières. A l’instar de la carte du Mercer Kitchen de New York, d’inspiration  » américano-provençale « , produits de France et de Méditerranée partent à la rencontre des contrées les plus lointaines. Plus qu’une tendance, une nouvelle manière d’élargir notre vision des plaisirs de table. De la daurade, subtilement transfigurée par un cocktail d’épices, au foie gras à la plancha accompagné d’un coulis de pistaches, voilà comment, en 2002, le classicisme ébouriffé par l’avant-garde fait le bonheur des nouveaux gastronomes.

Carnet d’adresses en page 81.

Antoine Moreno

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