Dans un univers où l’image est reine, Instagram est roi. L’industrie de la mode a bien compris l’équation. Ce réseau social où l’on partage ses photos pour mieux construire son histoire n’est pourtant pas qu’un outil de com’ visuel.

Le Festival international de mode et de photographie à Hyères, ce n’est pas seulement un concours, un défilé, une direction artistique orchestrée cette fois-ci par Karl Lagerfeld, c’est aussi un lieu d’échange où les questions qui taraudent l’univers fashion se débattent dans les jardins de la Villa Noailles. Fin avril dernier donc, les 15es Rencontres internationales du textile et de la mode avaient programmé une table ronde, Instagram, marketing de l’intime ? Au menu, quelques interrogations sur cette application, lancée en octobre 2010, et ses 300 millions d’utilisateurs –  » Quels sont les différents discours que les créateurs, marques de luxe et fashionistas ont construit via cette plate-forme ? Cette appli est-elle un moyen marketing d’atteindre les clients réfractaires à la publicité ? Le but est-il commercial ou Instagram se prête- t-il à l’expression d’un point de vue plus intime ?  » Aux côtés de la modératrice Jessica Michault, rédactrice en chef du site Internet NOWFASHION, on trouvait les créateurs Jean-Charles de Castelbajac, Felipe Oliveira Baptista et Simon Porte Jacquemus et deux professionnels de la question, Uche Pézard, fondatrice de Luxe-Mag.com, auteure notamment de Luxury Fashion Branding (2007) et de Luxury online (2010), et Michel Campan, spécialiste du digital dans l’industrie du luxe, fondateur de SAME SAME but different, conseil en communication digitale basé à Paris, Shanghai, Hong Kong et New York. Morceaux choisis, avec hashtags, ces mots-dièse ou mots-clés précédés du signe typographique croisillon.

#ORIGINEDURESEAU

 » Historiquement, il y a eu Twitter, qui existe toujours mais est moins à la mode. Il y a aussi eu évidemment Facebook, qui a énormément vieilli et perdu presque 3 millions de jeunes aux Etats-Unis – c’est la raison du rachat par Facebook d’Instagram en 2012, afin de rajeunir son audience. Cela dit, Facebook est toujours le premier réseau social au monde : un milliard deux cent millions d’utilisateurs, même si les jeunes et les trendsetteurs l’ont quitté, il existe encore bel et bien – en gros, c’est TF1. Instagram, ce Twitter de la photo, a été lancé en 2010, cela a marché, et le rachat par Facebook a permis d’augmenter la base des followers. Désormais, Instagram essaie de se développer comme un véritable écosystème, de fabriquer d’autres fonctionnalités, telle la vidéo, ce qui est pratique pour les annonceurs. Mais très concrètement, dans les chiffres, on constate qu’en termes de volume, cela ne fonctionne pas, seul marche ce qui fut à l’origine du réseau, l’échange instantané de photos. Instagram va donc vieillir, devenir  » has been  » et progressivement, un nouveau réseau prendra le relais.  » (Michel Campan)

#HASHTAGSPOINTUS

 » Que doivent faire les marques pour que cela cartonne sur Instagram ? Je déconseille d’acheter des likes et des followers, Instagram est tellement intime, direct et sincère que cela se voit tout de suite. En revanche, ce n’est pas suffisant d’avoir des followers, il faut les faire entrer dans l’univers de la maison virtuellement, qu’ils s’y engagent. Un bel exemple : l’opération lancée par Chloé sur WeChat, en Chine, qui s’appelle I’m a Chloé girl où chaque utilisateur est transformé en  » Fille Chloé « . Ou celle de Jimmy Choo et son hashtag I do with Choo, où les femmes qui se marient en Jimmy Choo postent leurs photos. C’est génial parce que ce sont de vrais unions, de vrais followers du label et que c’est un hashtag pointu et créatif. Et cela donne une campagne de pub réussie.  » (Uche Pézard)

#CONSEILDAMI

 » Que les marques arrêtent d’utiliser des hashtags dans leurs pubs, partout, cela ne sert à rien ! Ce qui marche, c’est la voix, une seule, cohérente, qui parle depuis le début. Le fonctionnement de base d’un réseau social, c’est d’avoir une incarnation, le créateur qui s’exprime et cela génère des groupes de fans, une communauté.  » (Michel Campan)

#MACHINEAFOLLOWERS

 » Comment définir les icônes d’aujourd’hui ? Time Magazine titrait dernièrement sur les 100 personnes les plus influentes au monde : Kanye West, Kim Kardashian, Rihanna… Instagram détermine désormais qui est une icône. Cela me dérange que ces gens soient ceux dont le métier est de mettre des selfies sur Instagram… Mais c’est efficace, Kim Kardashian a 32,4 millions de followers.  » (Uche Pézard)

 » Concrètement, les réseaux ne fonctionnent qu’avec les people, ce sont eux qui intéressent les gens, il n’y a qu’en France que cela étonne, pas en Chine ou aux Etats-Unis. Et c’est un business : Twitter essaie de rester à la mode, achète des agences de gestion de celebrities, Instagram tente de faire la même chose. Tous les réseaux veulent acquérir leurs followers et leur capacité à être des leaders d’opinion, c’est une tendance de fond, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle mais c’est ainsi.  » (Michel Campan)

#PROLONGEMENTDESOI

 » Instagram est le premier réseau né sur mobile. Or, quand on parle d’intimité, on parle de ce dernier : vous l’avez avec vous tout le temps, vous le perdez, vous n’avez pas de chargeur, vous êtes angoissé, on est donc sur un réseau addictif. Ce que les griffes cherchent, c’est de faire intervenir les gens dans la création de contenu, ce n’est pas juste pour faire plaisir ou pour vous divertir, mais parce que l’on sait que cela crée plus d’engagement. Or, c’est ça qui compte. Dans des opérations interactives, comme celles de la Chloé girl, on les fait entrer dans le label, on les fait interagir et, si tout va bien, on obtient de meilleurs taux d’engagement, donc une meilleure conversion parce que, excusez-moi de dire ces mots extrêmement malpolis, mais les marques cherchent d’abord à attirer des clients, qu’ils viennent voir les sites, les produits, les magasins et qu’ils achètent.  » (Michel Campan)

#EQUIPEMENT

 » L’équipement a énormément d’impact. La Chine est arrivée tardivement sur ce terrain, vers 2006. Dans ce pays de l’enfant unique, quand on a besoin d’un conseil, on ne le demande pas à sa soeur puisqu’on n’en a pas, on se tourne vers une copine. Les réseaux sociaux ont donc démarré tout de suite. Si ce pays a conçu un Internet séparé, c’est pour des raisons politiques mais aussi économiques, pour créer des champions. Il existe trois énormes groupes qui contrôlent là-bas le digital dont Tencent, qui a imaginé WeChat ; ce sont d’énormes multinationales tournées vers leur marché intérieur, le plus grand au monde, ils ont donc vraiment de quoi faire. Et quand ils lancent des outils et des réseaux, ils le font sans aucun complexe en prenant toutes les fabuleuses idées européennes, américaines, Instagram, Twitter, etc. Ils mélangent et en font quelque chose d’extrêmement pragmatique et orienté vers le service. Cela devient ainsi des petits écosystèmes, WeChat en est un, où l’on peut acheter, communiquer, regarder des défilés, des vidéos… Pourquoi en Europe, on ne l’utilise pas plus que cela ? Parce qu’on est lent et que pour Tencent, le challenge est d’abord chez lui. Progressivement, WeChat s’ouvre sur les Etats-Unis en rachetant des boîtes de celebrities pour avoir des followers. Les Chinois ont l’argent, la technologie et les développeurs. Et l’Europe, que fait-elle de mieux ? Les marques. En Europe, on sait ce que c’est une griffe et comment on la construit, dans la durée. En revanche, le temps passé sur un réseau social, c’est cela aussi qui fabrique un label. Sur Instagram, on passe en moyenne 5 minutes par jour, sur Facebook, 19 minutes et sur WeChat, 4 h 33…  » (Michel Campan)

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

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