Very british ! Pour  » Signes des temps « , Martin Parr a immortalisé ses compatriotes dans leur home sweet home. Entretien avec le photographe qui sait comme personne épingler les modes de vie.

On ne devrait jamais interviewer Martin Parr. Derrière ses lunettes noires et son sourire ironique, la star de la photo so british aime trop jouer au chat et à la souris. Ses réponses sont rarement plus longues que l’éclat de ces flashs avec lesquels il fixe les couleurs criardes de ses compatriotes dégustant une glace au bord de la mer ou se délectant du décor kitsch de leur petit pavillon de banlieue. Traduit un peu partout, demandé par les magazines les plus prestigieux, célébré par la critique, Parr, 54 ans, se retranche derrière ses clichés. Et pourtant, au final, ses silences, ses sourires et ses formules laconiques en disent peut-être plus long que de longues théories fumeuses.

Weekend Le Vif/L’Express : Comment est né le projet  » Signes des temps  » ?

Martin Parr : En 1992, le journaliste de la BBC Nicholas Barker a lancé une grande enquête et interrogé 80 personnes sur leurs goûts, et en particulier sur la manière dont ils aménageaient leur intérieur. Tout était filmé en plan fixe, très lentement. Cette série d’émissions a eu un retentissement phénoménal en Grande-Bretagne : les gens ont adoré ou détesté. Parallèlement, Nicholas Barker m’a proposé de photographier tous ces témoins dans leur cadre de vie. Je débarquais en général un ou deux jours après le tournage et je me suis attaché soit à faire des portraits, soit à reproduire certains détails de leur intérieur (gadgets posés sur une table, tableaux, mugs…). Ces photos ont ensuite été tirées en affiches et placardées à Londres, sur les arrêts de bus et dans le métro. Puis nous en avons fait ce livre.

Ces clichés, et surtout leurs légendes, bâties à partir de propos des personnes photographiées, sont souvent très cruels.  » Toutes proportions gardées, je pense que cela va être une des plus belles maisons du lotissement « , peut-on par exemple lire face à un intérieur sinistre…

Ah bon, vous trouvez ça cruel ? Moi, je ne porte jamais aucun jugement de valeur sur les gens que je photographie. Ils sont fiers de leur living-room, j’appuie sur le bouton, c’est tout. Je suis un intuitif, pas un intellectuel.

Il y a pour le moins de l’ironie…

Vous savez, l’ironie et le thé sont les deux seules choses que nous maîtrisons à peu près, nous autres Britanniques. Alors, oui, on peut voir dans cette série une forme d’understatement, ce goût très anglais pour le sous-entendu ironique. Mais pas de la moquerie.

Même lorsque vous photographiez en gros plan un interrupteur entouré d’une décoration kitschissime ?

Ce ne sont pas mes photos qui sont kitsch, c’est le monde qui l’est. J’ai pensé que cet objet était le moyen le plus pertinent de parler des gens qui habitaient cette maison. Je crois que ce genre de détails en dit très long sur la personnalité de nos contemporains. Ce travail n’est qu’une étape du projet au long cours que je mène depuis plus de trente ans autour du thème de la prospérité occidentale. Nous sommes de plus en plus riches. Moi-même, je voyage où je veux pour faire des photos et je suis de mieux en mieux payé pour faire cela. Et, comme tout le monde, j’adore faire du shopping. Mais tout cela finit par être problématique, non ?

N’y a-t-il pas une forme de nostalgie de la classe moyenne anglaise des années 1970 dans votre travail ?

Peut-être un tout petit peu à mes débuts, mais plus aujourd’hui. La nostalgie est une tentation forte, mais c’est une facilité. Aujourd’hui, je mets un  » préservatif moral  » pour m’en protéger. Je veux rendre compte de mon époque. Mais tout va très vite : les téléphones mobiles que l’on voit dans ma série de 2002 sont déjà démodés et les voitures de mon recueil sur les parkings sont pratiquement des pièces de collection. Mais la nostalgie que dégagent certaines de mes photos tient aussi peut-être à la technique : en utilisant le flash en plein jour, j’ai tendance à saturer les couleurs et à leur donner l’aspect un peu criard et lumineux des cartes postales ou des publicités des années 1950 (que j’adore, par ailleurs). Tout passe si vite sur cette terre… J’essaie juste de fixer quelques instants, rien de plus.

Cette vision de la classe moyenne occidentale et pavillonnaire rappelle beaucoup l’univers de votre compatriote le romancier J.G. Ballard…

Ah bon ? Je ne sais pas, je ne lis jamais.

Vous considérez-vous comme un photographe  » documentaire  » ?

Ce terme me va. J’ai toujours été fasciné par la photographie vernaculaire, dénuée de toute prétention artistique, les catalogues de vente par correspondance, les clichés de maisons dans les annonces immobilières, les cartes postales… J’utilise ce langage, tout comme les codes publicitaires ou ceux de la mode, pour le détourner. Disons que je suis, hum ! postmoderniste. Oh ! la la ! voilà que j’intellectualise, maintenant ! En fait, désormais, je voudrais essayer de photographier dans un style plus spontané, moins posé. Je vais commencer bientôt un nouveau projet sur les Britanniques dans cet esprit.

Et le photojournalisme ?

Lorsque j’ai commencé à photographier des gens sur leur canapé ou sur une plage anglaise, il y a trente ans, j’étais un peu méprisé par rapport aux reporters de guerre, l’aristocratie du métier. J’ai pourtant la faiblesse de penser que cela est au moins aussi pertinent que de photographier la famine en Afrique. Il y a quelque temps, j’avais bien pensé faire une série en Irak, sur les statues de Saddam Hussein. Mais il a été renversé entre-temps. Alors je me contente de collectionner les montres à son effigie. Je dois bien en avoir une soixantaine, maintenant…

 » Signes des temps « , par Nicholas Barker et Martin Parr, textuel, 128 pages.

Propos recueillis par Jérôme Dupuis

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