Matériaux La course à l’innovation
Quatre pieds, une assise et un dossier… ce principe formel n’a pas fondamentalement changé. En revanche, le bois cintré de la première chaise industrielle, la fameuse n°14, dite Bistrot (1859), de Michael Thonet, a aujourd’hui largement cédé du terrain à une foule de matériaux ultratechniques. Quand Starck flirte avec l’invisible grâce au polycarbonate (La Marie, Kartell, 1999), Jasper Morrison, lui, n’hésite pas à nous faire asseoir sur du vide ou quasi : son Air Chair (Magis, 2000), en polypropylène, est truffée de bulles de gaz inerte. Deux chaises proposées à moins de 154 euros (6 212 F), qui renvoient à la préhistoire le temps où l’architecte designer Alberto Meda exhibait avec fierté sa chaise Light Light (Alias, 1987) en fibre de carbone. Révolutionnaire, certes – elle ne pesait que 1 kilo – mais pas vraiment donnée : 1 076 euros (43 406 F) pièce ! L’objet n’est d’ailleurs plus au catalogue du fabricant.
Meda a néanmoins lancé la mode des transferts de technologie. Depuis, les designers n’ont eu de cesse de prospecter d’autres secteurs que le leur, notamment les industries aéronautique et automobile. En 1996, avec l’aide du laboratoire d’astronautique de l’Institut polytechnique de Delft, Marcel Wanders met au point sa Knotted Chair (Cappellini), qui associe un procédé ancien, le macramé, à une matière ultracontemporaine, une fibre de carbone plongée dans la résine époxy. En 1999, quelque trente ans après les meubles autogonflables Up de Gaetano Pesce, François Azambourg s’inspire d’un système d’emballage pour Pack, une chaise molle en tissu polyester qui prend forme et se rigidifie lorsqu’on l’agite, par polymérisation de deux composants chimiques contenus dans son enveloppe. Las ! ce cocktail complètement frappé ne semble pas du goût des éditeurs. Le même Azambourg s’est récemment intéressé aux textiles en trois dimensions pour créer des lampes et un pouf, récompensés par le prix Top plastique 2000. Susanna Campogrande, architecte au service Innovathèque du Centre technique du bois et de l’ameublement, à Paris, prédit un bel avenir à ces textiles 3 D. Des tissages de fibres épais » encore très peu utilisés dans l’ameublement – Azambourg y réfléchit, justement – mais déjà présents dans les sièges de voiture, les bouées de sauvetage ou certains accessoires de sport, et qui constituent un très bon matériau de substitution aux mousses « . Seuls en sont aujourd’hui pourvus quelques sièges de bureau (Aeron, Herman Miller, 1994), et Ypsilon (Vitra, 2001).
Côté confort, notamment tactile, l’objectif n’est rien de moins que de » retrouver la douceur de la peau humaine « . Jean-Marie Massaud s’y est essayé avec Horizontal Chair (E&Y, 1998), une chaise longue en technopolymère à base de protéines animales mise au point par TS Tech Japan pour la firme automobile Honda. Mais c’est logiquement du secteur médical – du réconfort au confort, il n’y a qu’un pas – que proviennent, depuis la fin des années 1990, des gels techniques et des mousses à mémoire de forme, habituellement utilisés dans la confection des semelles et des matelas anti-escarres. Werner Aisslinger s’est emparé des premiers pour sa chaise longue Soft (Zanotta, 2000) et sa toute nouvelle Gel Chair (Cappellini, 2001). Quant aux secondes, elles sont utilisées par Matt Sindall pour son prototype de banquette Neil (2001), auquel s’intéresseraient les éditeurs italiens Sawaya & Moroni.
La nouveauté se décline aussi sur le mode optique. Au dernier Salon du meuble de Paris, Matt Sindall, encore lui, nous en a mis plein la vue avec sa » chaise chromatique « . Le prototype, présenté par VIA (1), était habillé d’un film lenticulaire, dont la couleur se modifie suivant la lumière et l’angle de vue. » Ma chaise raconte une histoire d’aujourd’hui, celle de la génération Internet et zapping, où les images changent à chaque instant ! » explique le designer. La chaise Hole de Ronan Bouroullec (Cappellini, 2000) arbore elle aussi un look aléatoire grâce aux reflets nacrés et changeants de sa peinture métallisée, proche de celle d’une voiture.
Si la surface varie en fonction de la lumière, elle peut également se modifier avec la température. C’est le cas de la table Dark Spirit, du duo AnArchi (Angie Anakis et Cyrille Azaïs), » qui pourrait se décliner en chaise, mais la démonstration est plus éloquente avec une grande surface « . Son plateau, recouvert d’une peinture thermochrome sensible à la chaleur, vire progressivement du noir intense à 20 degrés au blanc pur à 26 degrés, en passant par diverses nuances de gris. Epaulé par le VIA pour le Salon du meuble de Paris édition 2002, le duo propose Alice, une assise associant le nouveau tissu Xstatic de DuPont de Nemours, réputé » antistatique, antimicrobien, calorifuge et respirant « , à un système de microencapsulation. Des molécules libèrent, par friction, des composants odorants (herbe coupée, lavande, mousse…) ou hydratants. Elles auraient, en outre, la faculté d’être antistress… Un avant-goût du design du XXIe siècle? Pour Werner Aisslinger, cité dans » Designing the 21st Century « , éditions Taschen 2001, » le design innovant, excitant et visionnaire a toujours été amené par de nouvelles technologies et matières (…) Aujourd’hui, avec les fibres de verre, les gels, les mousses d’aluminium, les textiles et le Néoprène tridimensionnels, on peut créer des produits radicalement différents. Sur le plan esthétique, leurs lignes seront organiques, réduites, douces, épurées, modulaires et nomades. (…) Plus que jamais, les designers devront être réceptifs au dialogue entre les émotions et la technologie « . Dont acte.
(1) VIA : département Valorisation de l’innovation dans l’ameublement de l’Union nationale des industries françaises de l’ameublement.
Christian Simenc
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