Barbara Witkowska Journaliste

Innovation et confort, saupoudrés d’une touche sexy : tels sont depuis toujours les maîtres mots de Maud Frizon. L’Espagnol Carlos Puig Padilla y ajoute un souffle de modernité et de dynamisme. Très réussi !

Carnet d’adresses en page 92.

Au premier coup d’£il, on est séduit par les lignes souples et gracieuses, aériennes et élégantes. Puis le regard est flatté par une belle palette chromatique, extrêmement raffinée. Le camel voisine avec le marron. Le noir se marie superbement au marine ou au kaki. Le mauve des semelles s’allie admirablement à l’aubergine et au violet. Le blanc, légèrement cassé, habille avec beaucoup de chic des bottes et des boots. Les silhouettes, simples et sensuelles, s’agrémentent de liens très fins et serpentent sur le cuir, ondoient autour des chevilles. Les escarpins ont des découpes sophistiquées et jouent à cache-cache avec la peau. On épingle, aussi, le thème  » Agrafes  » où différentes pièces de cuir sont assemblées à l’aide d’agrafes en cuir. Voilà pour la toute première collection, dessinée par Carlos Puig Padilla pour Maud Frizon. Le designer espagnol a interprété avec maestria l’esprit de cette marque très parisienne, tout en lui insufflant, avec subtilité, une touche plus épurée et plus actuelle.

Né à Barcelone il y a trente-six ans, Carlos est un enfant de la Movida.  » Après la mort de Franco, en 1975, le mouvement de libération a déferlé, certes, sur toute l’Espagne, mais il a été le plus fort en Galice, au Pays basque et, surtout, en Catalogne « , souligne-t-il. Adolescent, il est emporté dans un tourbillon d’activités intenses et de vibrations incessantes. La mode explose. Fasciné par cet univers, Carlos étudie le stylisme et le modélisme, mais la théorie ne suffit pas. Avec le formidable enthousiasme de la jeunesse, il se jette à l’eau. Tout en poursuivant les études, il décroche un stage chez Antonio Miro, le  » Paul Smith espagnol « , collabore avec Camper, la célèbre marque de chaussures espagnole et fait la navette entre Barcelone et l’Italie, pour donner un coup de main chez Pancaldi, le roi italien des accessoires. Grâce à une bourse, financée en partie par le ministère de l’Industrie, il débarque à Paris. Sans ralentir le rythme, il fréquente l’école de mode Esmod, se perfectionne dans le dessin et fait régulièrement des sauts en Espagne, car la collaboration avec Camper se poursuit.

Dans cette période riche et éclectique, on apprécie beaucoup ses talents de dessinateur. On lui réclame des illustrations pour les cahiers de tendances, des croquis pour le quotidien  » La Gazette du Canada « , des couvertures pour les magazines espagnols  » Joyce  » et  » Cosmopolitan « , ou encore le quotidien  » El País « . Carlos commence aussi à tâter de l’écriture. Après quelques essais concluants, il devient l’envoyé spécial pour le quotidien  » La Vanguardia « , l’équivalent du  » Figaro « , se lance à fond dans le journalisme, aborde la mode, l’actualité, le cinéma et le tourisme. Pour ce boulimique d’action et de création, la vraie période de folie n’a pas encore commencé. Elle viendra, lorsqu’un ami lance, à Barcelone, le magazine haut de gamme  » Woman « … et lui demande de diriger l’antenne parisienne.  » C’était l’époque des grands top models, Linda, Claudia et Naomi, se souvient Carlos. J’organisais des prises de vue, je faisais du stylisme, j’écrivais, j’embauchais des journalistes et des photographes, je m’occupais de la pub à la télé. Un travail de fou, mais j’ai pris mon pied, pendant cinq ans.  »

En 1999, à la veille du nouveau millénaire, Carlos éprouve le besoin de se calmer, de respirer et de changer de vie. Il se lance alors dans la création de chaussures.  » Le choix, dans ce domaine, n’est pas suffisant, confie- t-il. Quand j’étais rédacteur de mode, il me manquait souvent des chaussures pour des prises de vue.  » La première collection sort en été 2000. Il ne s’agit pas vraiment de chaussures  » tendance « , à la pointe de la mode, mais plutôt de modèles intemporels et indémodables, sans être classiques. Ils s’accompagnent d’un concept très sophistiqué et 100 % espagnol. Les semelles sont de couleur Albero, nom du sable qui tapisse l’arène des corridas. Le rouge vernis est omniprésent, agrémenté de broderies inspirées des châles espagnols ou de lacets des picadores. Les chaussures sont présentées dans des boîtes faites à la main à Florence.  » C’était plutôt une collection de souliers pour aller déjeuner que de chaussures à porter au quotidien. Je revendiquais un chic certain mais voulais m’affirmer avant tout en tant qu’Espagnol « . Carlos soigne aussi l’image et la communication. Michael Zeppetello, assistant d’Irving Penn réalise les prises de vue. Laura Ponte et Nieves Alvarez, deux mannequins espagnols, Marisa Paredes, la comédienne fétiche de Pedro Almodovar, et Ana Yerno, danseuse de flamenco, entre autres, ont souhaité participer à l’aventure.

 » En dessinant cette collection, j’ai beaucoup pensé à ma mère, souligne Carlos. Elle est toujours très élégante et attache énormément d’importance aux accessoires. Le choix des souliers et du sac assorti sont pour elle un vrai rituel.  » Hélas, la marque Carlos Puig Padilla Souliers fait long feu. Malgré le succès, Carlos est lâché par les fabricants italiens. Ne se laissant absolument pas démonter par cet échec, il vit de sa plume de journaliste et reste très attentif à tous les mouvements dans l’univers de la chaussure, sa nouvelle voie.  » La chaussure, c’est le tout : c’est là où tout commence, c’est là où tout fini. On exprime beaucoup plus de choses avec ses pieds qu’avec ses mains.  » Son état d’esprit et sa disponibilité suffisent pour que les choses se mettent en place. Entre les responsable du groupe international The Beauty Group Ltd (nouveau propriétaire de Maud Frizon) et Carlos le courant passe immédiatement. On apprécie son bagage et sa créativité. Carlos, de son côté, trouve la marque  » très appétissante « .

Créée en 1969, Maud Frizon s’impose rapidement avec des modèles pleins d’originalité et d’esprit. Ses modèles phares (la sandale  » Fleur  » en 1974, la sandale-serpent  » Sinius  » en 1983, l’escarpin sexy à talon haut en forme de cône, dans les années 1980) sont plébiscités par Catherine Deneuve, Brigitte Bardot ou Sophie Marceau. Le nouveau propriétaire souhaite relifter subtilement ce nom, empreint d’une grande noblesse. Le talent multi-facettes et le savoir-faire de Carlos tombent à pic. Selon les termes du contrat, il est chargé de dessiner la partie la plus habillée et la plus pointue de la collection.  » J’assume le stylisme, ainsi que la direction artistique de la marque, souligne Carlos. Petit à petit, on voudrait changer l’image ainsi que le concept de boutiques, dont celle de Bruxelles. C’est un processus long et patient, il ne faut pas apporter de changements trop brusques.  » Carlos affine les formes et les talons, ajoute des détails décoratifs sobres et minimalistes, choisit le mauve comme nouveau code couleur de la griffe, l’applique sur les semelles. Les matières restent toujours les mêmes, nobles et haut de gamme : du chevreau, de l’agneau plongé et du python blanc. La cerise sur le gâteau ? Quelques modèles de petits sacs, des pochettes anglaises à soufflets, coordonnés aux chaussures. Un hommage discret à l’élégance de maman.

Barbara Witkowska

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