Nation arc-en-ciel, l’île Maurice est constituée d’un patchwork d’influences culturelles qui se reflètent dans sa gastronomie. Au menu : saveurs douces, aigres, exotiques et épicées. Une  » cuisine arrangée « , comme l’appellent les Mauriciens.

Cette île de l’océan Indien de quelque 1,3 million d’âmes voit surtout ses habitants métissés de traits afro-asiatiques se concentrer au c£ur de la capitale Port Louis. Une ville grouillante de monde, évoluant à plusieurs vitesses, partagée entre un centre historique à l’atmosphère surannée, où se succèdent les anciennes maisons coloniales aux façades délavées, le quartier musulman, flanqué d’une belle mosquée indianisante et blanchie à la chaux, et le quartier chinois surtout dédié au commerce des gadgets électroniques. Résultat ? Une étonnante cité patchwork où femmes en saris chatoyants côtoient jeunes garçons en djellabas ou encore adolescentes serrées dans des jeans pailletés. Et pourtant, tous sont Mauriciens !

Poumon du vieux centre-ville, le marché couvert de Port Louis fait partie de ces lieux exceptionnels qui s’offrent comme un cadeau aux voyageurs avides de sensations authentiques. Un lieu magique, baigné d’une douce lumière, où se mêlent effluves douceâtres ou piquants, où formes et coloris inattendus s’entrechoquent pour créer une ambiance unique. Dédale de comptoirs surchargés de délices, il fait bon s’y perdre à la découverte de légumes ou de fruits complètement inconnus pour des touristes. Petit à petit, les émotions glanées au fil de cette balade gourmande prennent tout leur sens. Et si l’âme, l’essence, le feu brûlant de cette île se trouvaient au fond de ses casseroles ?

COULEURS ET ÉPICES

À Maurice, près de deux-tiers de la population est d’origine indienne – de confession musulmane et hindouiste – issue des migrations esclavagistes du XIXe siècle. Lors de leur arrivée sur l’île, les Indiens ont remplacé les travailleurs créoles jusque-là exploités dans les plantations. Quelques décennies plus tard, la communauté chinoise s’est, elle aussi, installée ici, développant tout particulièrement le commerce.

Cette brève carte d’identité culturelle ne tient évidemment pas compte des subtiles subdivisions communautaires. De cette mixité est née une diversité exceptionnelle, non seulement culturelle mais aussi gastronomique. Indien, créole, Malgache, Sino-mauricien : chacun a importé ses plats préférés ; les différentes communautés se régalant des spécialités des autres.  » Nos mets sont colorés et épicés, très axés sur les produits de la mer, affirme Arlando René, le chef des villas touristiques Sankhara situées dans le village côtier de Poste-la-Fayette, à l’est de l’île. Je constate aussi qu’une prise de conscience relativement récente de la richesse de la gastronomie mauricienne est en train de voir le jour.  » Ayant excellé dans plusieurs hôtels de l’île, mais aussi dans les restaurants de quelques étoilés européens, Arlando connaît les mille et un secrets de la cuisine mauricienne.  » Les épices proviennent d’Inde et de Madagascar, les fruits et légumes principalement d’Afrique du Sud. Nous dépendons fort des arrivages, il faut donc être imaginatif, mais les mélanges, c’est notre spécialité ! De plus, une partie de l’île abrite des cerfs, ce qui nous apporte une touche d’originalité ou de luxe, pour les événements festifs.  » Là encore, le métissage n’est jamais loin, puisque ce gibier d’héritage culinaire européen, introduit par les Hollandais au XVIe siècle, se marie au curry ou à la rougaille, une sauce rouge originaire de la Réunion toute proche, et constituée d’ail, de gingembre, de thym, de persil et d’ajinomoto, une variété de poivre. Mais ce qui lui confère sa couleur carmin, ce sont les pommes d’amour, nom poétique donné à une espèce de tomates locales. Au marché de Port Louis, elles forment des pyramides immenses, donnant envie d’y mordre à pleines dents !

UN PIMENT PEUT EN CACHER UN AUTRE

Un peu plus de prudence s’impose cependant face à un autre produit omniprésent dans la cuisine de l’île : les piments. De tailles, couleurs et préparations différentes, il y a de quoi multiplier les recettes. Arlando, lui, préfére les petits verts confits, conservés dans la saumure et le vinaigre, dans de mini-bouteilles en verre exposées au soleil.  » On dit d’ailleurs qu’ils goûtent le soleil !  » explique notre chef. Et puis, il y a aussi la  » poudre de becs d’oiseaux « , issue de piments réduits en poudre et que l’on utilise comme épices. D’autres sont employés en condiments, pour relever les achards, une autre spécialité d’ici. Après avoir été séchés ou cuits, les légumes sont mélangés à une sauce accommodée avec de la moutarde, du safran, des piments verts, des oignons, du vinaigre et parfois de la mangue. Les achards ont une consistance pâteuse, à l’instar des chutneys. Plus surprenant dans cette gamme de condiments : le chatini de coco, dont la pulpe est associée à de la menthe, du tamarin, du cajou et bien entendu, du piment. Un vrai régal, notamment pour accompagner les carrys, mais aussi le vindaye, un mets confectionné à partir d’une sauce elle aussi très épicée.

La communauté indienne musulmane aura quant à elle plutôt tendance à servir le briani, un riz aromatisé à la cannelle, cardamome, safran, agrémenté de viandes. Sans oublier qu’il est usuel de trouver aux côtés de ces saveurs indiennes, des plats chinois comme le mine-frit, préparé à base de nouilles sautées, mariées à une julienne de légumes, de fines lamelles de viande et d’£ufs brouillés, le tout baignant dans une sauce au soja aux champignons et au vin blanc sucré.

LES DÉLICES AMBULANTS

À côté des restaurants, les petites échoppes ambulantes constituent également un patrimoine culinaire inestimable pour le pays. Celles-ci offrent mille occasions de goûter aux recettes traditionnelles, transmises de génération en génération. Si les fameux samossas indiens sont présents partout, on peut aussi se procurer de savoureux beignets, notamment le mystérieux gâteau aux piments et le dholl puri, une sorte de crêpe à base de lentilles. Mais à Maurice, on aime aussi particulièrement l’association de l’acide et du salé. Même pour le goûter. La mangue verte salée est un exemple d’en-cas proposé par les vendeurs de rue. Coupée en gros morceaux, elle est parsemée de sel et de poudre de becs d’oiseaux. Une association sans doute étrange mais qui se révèle délicieuse…

Le long des routes, d’autres surprises surgissent. Sur les étals, s’alignent aussi, par exemple, de grands pots qui renferment des fruits débités grossièrement, figés dans un sirop. Les Mauriciens appellent cela des compotes : elles sont dégustées comme en-cas sucrés, un peu comme une glace. Autre richesse du pays : la canne à sucre dont la culture se concentre surtout dans l’extrême ouest, dans la région de Chamarel. La production filera tout droit au c£ur des rhumeries pour préparer l’alcool national. Mais ici, vous vous en doutez, le rhum est parfois  » arrangé « , c’est-à-dire aromatisé d’essences de vanille, d’ananas et de citron. Plus étonnant, l’intérieur de l’île accueille aussi une route du thé et un label célèbre à Maurice : celui de Bois-Chéri, connu pour son délicieux thé à la vanille. Eh oui, les Anglais aussi sont passés par là, léguant quelques coutumes tenaces… D’ailleurs qui n’est pas passé par Maurice ? Même Mark Twain, l’auteur des Aventures de Tom Sawyer, est tombé sous le charme. N’ayant pas peur des mots, l’écrivain s’exclama :  » Dieu créa l’île Maurice puis s’en inspira pour faire son paradis terrestre.  »

PAR SANDRA EVRARD

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