Fondateur de la marque Notify, ce quinquagénaire rêve de voir ses jeans à l’Opéra et concocte des projets avec les plus grands architectes du moment. Rencontre dans ses locaux parisiens.

On se pince. Sans plaisanter, Maurice Ohayon répond :  » Ma fierté ? Cette semaine, c’est d’avoir réussi les doubles rideaux que j’ai faits à la main, pour ma mère. Elle est très critique, rarement contente, là, elle a dit :  » C’est bien.  »  » Maurice Ohayon est le patron et fondateur de Notify, cette marque de jeans française qui ne s’est jamais payé de campagne de pub mais dont tous les magazines féminins parlent, qui moule le postérieur de toute fashionista qui se respecte, moyennant 200 à 300 euros pièce.

Voilà : Notify accomplit avec d’autres (Diesel, Replay, Citizens of Humanity, Renhsen…) la prouesse d’embourgeoiser le denim et de le faire admettre comme habit de lumière. Résul-tat, quatre ans après sa création, le bébé de Maurice Ohayon est joliment potelé, fort d’une croissance annuelle de 30 à 40 %, pour un chiffre d’affaires de 17 millions d’euros (en 2007). Récemment, des collaborations avec le prêt-à-porter de luxe (Stella McCartney, Karl Lagerfeld pour sa ligne K) l’ont définitivement affranchi du sportswear de base.

Et les projets en cours s’inscrivent clairement dans le haut de gamme : ouverture, à Paris, d’un atelier-galerie d’art de 500 m2 dans le prestigieux quartier Saint-Honoré à la fin de l’année (l’architecte est la très trendy anglo-irakienne Zaha Hadid), d’un showroom-galerie d’art en plein Milan en janvier 2009 (le designer israélien Ron Arad est aux manettes), lancement d’une ligne de bijoux, d’un sac – également conçu par Ron Arad, qui, par ailleurs, a imaginé la future villa de la famille Ohayon aux abords de Marrakech… On ne voit décidément pas le rapport avec les rideaux.

Merci maman

Le rapport, c’est la mère. Sa mère, l’affable Maurice Ohayon en parle tout le temps. Celle-ci était autrefois couturière sur-mesure, issue d’une famille d’Essaouira qui a toujours travaillé dans le tissu, fournissant notamment le palais royal en caftans.  » J’ai grandi dans la couture, j’ai toujours voulu en faire mon métier. Je me souviens parfaitement de ma mère affairée avec ses ouvrières, sur la table en acajou du salon qui ne devenait accessible que les jours de shabbat. « 

Les notables de Casablanca défilent chez Madame Ohayon, reine de l’astuce qui recommande à Untel, très voûté, une veste à poches hautes, qui le forceront à se redresser, ou déconseille à tel autre, rondouillard, des carreaux, qui vont le tasserà Concevoir la pièce qui s’adapte à la morphologie du client et en déjoue les défauts, c’est aussi devenu le credo de Maurice Ohayon, qui dit :  » J’adore le défi qui consiste à imaginer un jeans pour une femme qui se considère mal fichue. « 

Ohayon fils joue aussi des poches, allonge la jambe en recouvrant jusqu’au pied, imagine différentes cambrures, s’adapte à la grossesseà Et une grande partie de la production Notify est effectuée manuellement, en écho direct à la tradition familiale. L’atelier du quartier Saint-Honoré devrait d’ailleurs permettre au quidam d’entrer de plain-pied dans cet  » univers « , et de s’y faire réaliser des pièces uniques,  » à la couleur de vos yeux, si nécessaire « .

C’est au début des années 1980 qu’il a monté sa première enseigne, rue Chanzy, dans le XIe arrondissement parisien.  » Avec un copain, on faisait du sur-mesure. Mais c’était déjà obsolèteà Les vaches maigres, de toute façon, Maurice Ohayon connaît, depuis l’arrivée en France, en 1973 : la décision de quitter Casablanca avait été prise par ses parents pour accompagner sa s£ur aînée,  » grosse tête depuis toujours  » et admise en maths sup’ au lycée Louis-le-Grand à Paris.  » Ça a été un déchirement, et l’installation a été très compliquée : on a vécu un temps à l’hôtel, pour finalement s’installer à Courbevoie. « 

Aujourd’hui encore, ce collectionneur d’art contemporain, passionné de design et d’architecture (proche notamment de Jeans Nouvel), se souvient de sa mère s’échinant à dénicher un appartement pour sept,  » quand on avait les moyens pour 70 m2 « . Lui qui sacrifie peu à l’autosatisfaction franche et massive ne se rengorge qu’à un seul moment :  » On est à 100 % propriétaire, de la marque, des murs, des stocks, on vit à zéro crédit « .

Une erreur d’aiguillage

Le tournant, qui l’amène au jeans, est une erreur d’aiguillage : les deux compères de la rue Chanzy achètent par erreur un rouleau de denim à un vendeur du Sentier, alors qu’ils étaient venus pour de la laine.  » On a voulu échanger le rouleau, mais il ne faisait que ça, du denim. Et il nous a lancé :  » Mais c’est votre chance, travaillez ça, c’est l’avenir !  »  » Le vieil homme sera le mentor du jeune Maurice, celui qui lui fera crédit alors que la faillite guette. Las, le visionnaire ne connaîtra pas le succès de son poulain, qui d’abord s’arrache les cheveux sur un tissu qui bleuit la peau et bousille ses machines, mais très vite s’en entiche, et envisage les différents traitements susceptibles de modifier, singulariser la matière.

Cette phase expérimentale apporte à Maurice Ohayon sa première embellie : le jeans surteint (d’abord délavé puis recolorisé). En découlent des commandes par un gros fabricant, puis la participation à différentes sociétés. Jusqu’à ce mitan des années 1990 où  » vous êtes toutes en caleçon ! « , et où il divorce de la mère de ses trois enfants. Direction Los Angeles. C’est là que deux ans plus tard lui vient l’idée d’un jeans… couture :  » Je n’en pouvais plus du 501, mais je sentais que le jeans revenait, et je me suis demandé quel aspect auraient des pièces faites par des grands créateurs, et auxquelles on accorderait le plus grand soin : j’ai conçu des modèles avec un pli central. « 

C’est le décollage de Seven, marque qu’il revendra en 1999, avec l’idée d’en rester là et d’en profiter. Mais c’était compter sans les résultats d’une enquête, entendus à la radio, selon lequel la morphologie de la femme serait en train de changer et de s’acheminer vers l’androgynie :  » J’ai eu l’idée de pantalons à très longues jambes, plus grand entrejambe, et prévoyant des hanches plus étroites.  » Notify, entièrement fabriquée en Italie, était lancée, notamment auprès de mannequins comme Linda Evangelista – buzz assuré.

Et voilà comment Maurice Ohayon a fait le lien avec le culte du sur-mesure dans lequel il a grandi : en vendant des jeans ultratravaillés, et sans en inonder le marché. Son refus du réassort fleure bon la stratégie marketing (créer la rareté, un côté club de privilégiés) ? Il répond : volonté de rester dans des volumes de production à taille humaine. Idem de l’absence de boutiques en nom propre :  » Ça impliquerait de changer de taille, or je ne sais que conduire des voitures légères. « 

Quant à sa passion manifeste pour l’aspect technique des choses, notamment le traitement de la toile (Notify est connue notamment pour ses effets glossy, cirés), elle est liée à une recherche de sophistication. C’est ainsi qu’il dit, à propos d’un jeans en cours d’élaboration, qui prendra un aspect usé en l’espace de quinze jours :  » Attention, la toile n’est pas abîmée, scarifiée ou poncée, comme chez d’autres : nous, on la recouvre d’un vernis et c’est ce vernis qui s’effrite, s’estompe. « 

Un esthète du jeans, qui choie la toile, voilà le drôle d’ovni qu’est Maurice Ohayon. Qui rêve désormais qu’un de ses pantalons entre à l’Opéra aux côtés des robes longues. Qui soupire :  » On est sortis du mépris, et maintenant même les grandes maisons nous sollicitent, mais longtemps, c’était trop sale, pour eux.  » Toujours placide, il admet tout de même un sentiment de revanche accomplie.

Louise Witt

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