Aucun superlatif ne lui résiste. Du faste inégalé au superflu ostentatoire, la cité-émirat la plus riche du monde a tout misé sur le tourisme de luxe. Le nouveau terrain de jeu des grands architectes est en lice pour devenir la scène incontournable des acheteurs d’art contemporain. Naissance en direct d’une nouvelle Byzance.

Dubai, ce bout de désert coincé contre le golfe Persique, s’appréhende comme une marque. L’émirat n’a presque plus rien à vendre de son sol. Les ressources de pétrole sont bientôt épuisées et l’on ne croise presque aucun derrick. Dubai se réinvente donc comme un concept marketing mêlant soleil et meilleur des luxes. Hôtels, programmes immobiliers, équipements urbainsà Tout participe d’un même schéma : vendre un bout de désert aux élites d’Asie, d’Amérique et d’Europe. La ville profite d’une position géographique idéale :  » La région est à 6 heures de vol des capitales européennes et asiatiques « , explique Fabrice Ebner, le directeur général de la compagnie Etihad, un des nouveaux géants de l’aviation qui se développe à Abou Dhabi et Dubai. Le spectacle de son développement est aussi excitant qu’indécent. De nouveaux quartiers surgissent du désert tous les six mois, de nouvelles tours de verre sont érigées au milieu de vastes étendues de sable.  » J’ai l’impression d’assister à la naissance d’une nouvelle Rome « , explique Françoise Balland, dirigeante d’une société d’import-export spécialisée dans le luxe.  » Il y a la folie des hommes, le meilleur de la créativité mais aussi le pire, comme dans l’Antiquité. Les immigrés qui construisent la nouvelle cité idéale sont comparables à des esclaves.  » La population immigrée avoisinerait un million pour une population totale de 1,3 million d’habitants.

Architecture du futurà et démesure

Mais Dubai est aussi un miracle permanent car le pays se développe à proximité du chaos irakien et des dictatures iranienne et saoudienne.  » L’émirat sait que la tolérance est la clé de son développement. Je n’ai aucun souci en tant qu’Anglaise à mener ici une vie normale « , explique Stacey Monroe, agent immobilier dans ce nouvel eldorado.  » Toutefois, le pays a encore des progrès à réaliser, notamment sur le plan politique. Dubai est encore une dictature aux accents féodaux. La famille Maktoum dirige tout et possède les sociétés les plus importantes. Il n’existe aucun contre-pouvoir.  »  » Les médias libres sont inexistants, renchérit Sylvie Eza qui travaille pour un hôtel américain. La presse étrangère est censurée et l’accès au Web filtré. « 

Folie immobilière, hypercapitalisme, miroir du futur : Dubai joue avec toutes ces images. De Trump à Versace en passant par Armani, tout le monde veut sa tour, la plus grande, la plus luxueuse. Burj Dubai est annoncée comme la plus haute du monde. Sa construction vient de prendre un an de retard et l’inauguration est désormais prévue pour le 1er janvier 2010. Elle dominera le monde de ses 900 mètres (la tour la plus haute annoncée à ce jour étant la Russia Tower de Norman Foster à 612 m).  » Il n’y a ici pas de monuments et encore moins de musées, explique Mounir Hamad qui travaille pour un tour-opérateur local. La ville est très jeune. Le vrai développement a commencé dans les années 1960. Il faut donc l’appréhender différemment. Visiter Dubai est une plongée dans le futur, dans ce que l’architecture moderne peut offrir de meilleur : le projet de tour rotative ou nos quartiers pris sur la mer comme The Palm.  » Toute la planète créative a en effet un projet ici : les architectes, les designers et les grands chefs posent tous leur logo dans l’Emirat.

Il y est donc impossible de flâner comme dans une grande capitale. Ici, pas de promenade à pied mais des virées en 4 x 4 dans le désert ou les quartiers comme le récent Festival City où se concentrent les boutiques trendy. Le point de ralliement de la jeunesse locale se trouve dans les multiples palaces. On y montre sa dernière Lamborghini et on se pavane dans d’immenses salons. Le Kempinski ne finit pas d’attirer tout ce que le territoire compte de milliardaires bling-bling. Contrairement à l’Arabie saoudite voisine, les femmes de Dubai jouissent d’une relative liberté. Elles se déplacent sans l’autorisation de leur mari, peuvent travailler et aucun lieu ne leur est interdit. Toutefois, elles arborent toutes la tenue traditionnelle noire qui masque leur corps et une partie du visage. Aucune femme occidentale n’est obligée de porter le voile. Il demeure néanmoins évident de respecter une certaine décence vestimentaire dans les hôtels et centres commerciaux.

Faire tomber les clichés

La question se pose alors : une vraie vie existe-t-elle au-delà des dollars ?  » Dubai est une formidable rencontre du meilleur de l’Orient et des autres cultures, explique Nathan Walsh, collectionneur venu par curiosité à la deuxième édition du salon Art Dubaï. Cet événement a attiré les meilleures galeries internationales. Dubai détient une formidable carte à jouer sur ce point. A côté du boom immobilier, la culture pourra donner une âme à ce terrain de jeu pour milliardaires. La cité pourra aussi faire tomber certains clichés sur le monde arabe et musulmanà « 

Comme Venise il y a des siècles, Dubai vit avant tout du commerce et des échanges. Le Liban des banques y rencontre la Malaisie des matières premières et l’Iran y commerce secrètement avec les pays africains. Ce mélange des mondes possède une arrière-cour culturelle. Des galeries se développent, comme par exemple XVA Gallery, dirigée par une Anglaise qui présente des artistes du Proche-Orient, d’Australie et d’Asie.  » La partie la plus intéressante se joue à présent sur le terrain de la culture, estime Nira Salam qui travaille pour une autre galerie. Aura-t-elle le supplément d’âme de New York ou Shanghai ? Sombrera-t-elle dans l’ennui 100 % finance comme Monaco ou Luxembourg ? Dubai peut réussir le pari de la culture car la seconde génération de Libanais, Iraniens ou Indiens a envie d’une ville différente, plus créative et moins superficielle.  » A côté des grandes marques se développent des concept stores, des boutiques pointues et même des cafés arty. Ces derniers ne servent pas d’alcool mais tous les palaces de l’émirat ont une licence qui leur permet d’en proposer. C’est à Dubai que Zayan Gandhour, née à Beyrouth, a décidé d’ouvrir un lieu baptisé Sauce qui présente des créateurs différents de ceux exposés dans les malls de la ville. Une autre boutique, Five Green, met en scène une sélection impeccable de bijoux et vêtements dessinés par des créateurs libanais, turcs ou new-yorkais. Five Green favorise également les jeunes artistes locaux en exposant peintures et sculptures d’une scène émergente.  » C’est la rencontre apaisée des mondes occidentaux et moyen-orientaux, explique Birgit Dremkberg, une jeune Américaine expatriée. On parle toujours de finance mais on oublie l’aspect humain. Cette ville est la seule capitale du Moyen-Orient à être reliée directement par avion à New York, c’est un symbole fort. CNN a installé ici son siège régional avec plus de 200 journalistes. J’ai beaucoup d’amis iraniens ici et j’ai découvert la gastronomie pakistanaise à Burj Dubai.  » Birgit fait partie des immigrés qui représentent 87 % de la population ! Une grande majorité vient d’Inde, du Pakistan et du Bangladesh. Ouvriers ou directeurs d’hôtel, ce sont eux qui ont rendu possible le miracle dubaïote et qui influencent à présent culturellement l’émirat.  » Des quartiers entiers de Bombay sont venus tenter leur chance à Dubai, explique Sarita Panesh dont les parents se sont installés ici il y a quinze ans. L’émirat est devenu un mythe en Inde, une sorte de nouveau monde où l’on peut faire fortune. Bien que les films bollywoodiens présentent la ville comme un éden, on n’ignore rien des conditions de travail. Dans un mouvement inverse, Dubai est fortement influencée par la culture indienne. On y mange bien mieux indien qu’à Londres, d’ailleurs ! « 

Un peu d’épure

Souvent associé au mauvais goût et de la dorure, un autre Dubai existe à présent. Armani a réussi à importer son savoir-faire dans le décor de ses résidences au c£ur de Burj Dubaï. Sofitel et Park Hyatt, deux fleurons du luxe, ont ouvert des établissements dont la décoration orientale et mauresque joue d’une habile sobriété.  » Le Dubai des années 2000 était dans l’ostentation, explique Jorge Erroco, décorateur. L’hôtel Burj Al Arab – le seul 7-étoiles au monde – en est le symbole le plus criant avec ses chambres dont le prix de départ est à 1 000 euros, sa débauche de couleurs criardes et de stucs. L’émirat joue désormais une carte différente ; on commence à apprécier un design plus sage.  »  » La jeunesse de Dubai a beaucoup voyagé à Londres ou New York, résume Alice Orva qui s’occupe d’une nouvelle résidence. Elle aime les ambiances pop, lounge et déco. Les meilleurs exemples sont les restaurants Traiteur du Park Hyatt ou Almaz by Momo, un mix d’Orient, d’Asie et d’Occident, qui sont les lieux les plus branchés de la ville. Toute la jeunesse s’y donne rendez-vous.  » Un Dubaï nouveau se dessine sous nos yeux, une invitation à regarder de près le meilleur (et parfois le pire) de que ce pourraient être les années 2010. Un immense cahier de tendances à ciel ouvert ?

Dubai en pratique, pages 67-68.

Jean-Michel de Alberti Photos : Ludovic Maisant

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